Les bibliothèques et l'université
Journées d'étude des bibliothèques universitaires, Paris, 19-21 décembre 1956
Des Journées d'étude ont réuni à Paris, pour la troisième fois depuis 1949, les bibliothécaires des universités françaises, les 19, 20 et 21 décembre 1955.
Le thème général de ces journées, les bibliothèques et l'université, avait été annoncé dès le mois d'avril 1955 1, la Direction des bibliothèques de France marquant ainsi nettement son intention de mettre à l'ordre du jour, non seulement les problèmes propres aux bibliothèques universitaires, mais aussi la question des bibliothèques d'instituts et de leurs relations avec les bibliothèques universitaires.
Aussi, des quatre rapports préliminaires rédigés avant les journées d'étude, trois étaient-ils consacrés à l'étude des bibliothèques d'instituts et de laboratoires, à Paris, à Strasbourg et dans les autres universités françaises où des enquêtes avaient pu être menées à la fin de 1954 et en 1955.
Les bibliothécaires des bibliothèques universitaires des départements avaient été invités à fournir un rapport détaillé sur la situation des bibliothèques des instituts et laboratoires dans leur université, au cours de l'année scolaire 1953-1954. C'est d'après les résultats de leurs enquêtes qu'un rapport a pu être rédigé au Service technique de la Direction des bibliothèques de France sur « Les Bibliothèques d'instituts et de laboratoires et leurs relations avec la bibliothèque universitaire » (Y. Ruyssen, octobre 1955.).
M. Piquard, conservateur en chef chargé de l'administration des bibliothèques de l'Université de Paris, ayant d'autre part été chargé par M. le recteur de l'Académie, sur la demande du directeur des Bibliothèques de France, d'une enquête sur les bibliothèques d'instituts et de laboratoires de l'Université de Paris, a pu remettre à la Direction les premiers éléments d'une étude sur les bibliothèques de la Faculté des lettres : « Les Bibliothèques d'instituts de Paris. Faculté des lettres et disciplines littéraires » (novembre 1955). De son côté, à la demande de la Direction des bibliothèques, M. Collon, conservateur en chef, administrateur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, exposait la situation telle qu'elle se présente à Strasbourg, dans son rapport : « Les Bibliothèques d'instituts et de laboratoires de l'Université de Strasbourg et leurs relations avec la Bibliothèque nationale et universitaire » (décembre 1955) qui fut diffusé directement par la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.
Ces trois rapports préliminaires, en évoquant, dès avant l'ouverture des journées d'étude, le problème des bibliothèques d'instituts et en exposant la situation actuelle de ces bibliothèques, devaient permettre aux participants d'échanger leurs points de vue en pleine connaissance de cause, tout en leur évitant de faire porter la discussion sur des points de détail relatifs à cette situation 2.
Le quatrième rapport préliminaire, préparé au Service technique par Mlle Ruyssen : « Le Prêt aux étudiants dans les bibliothèques universitaires » (novembre 1955), constituait une brève mise au point de cette question : simple commentaire suggéré par l'étude comparative des statistiques de l'année universitaire 1953-1954 dont les chiffres avaient été publiés au cours de l'année 1955 3.
L'ordre du jour suivant avait été communiqué à l'avance aux participants :
Lundi 19 décembre.
10 h. Séance d'ouverture.
- Allocution de M. Julien Cain, directeur des Bibliothèques de France.
- Thème général des journées : exposé de M. P. Lelièvre, inspecteur général.
15 h. Les bibliothèques des universités et la recherche : en particulier, problèmes posés par la recherche médicale.
- Exposé du Dr A. Hahn, conservateur de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris. - Interventions de membres de l'Enseignement supérieur. - Echange de vues et conclusions.
Mardi 20 décembre.
9 h. 30 Questions générales diverses.
15 h. Les bibliothèques des universités et les étudiants.
- Les bibliothèques de « groupes d'études » à Paris, communication de Mme Spire, conservateur à la Bibliothèque de la Sorbonne.
- Le rôle des bibliothèques de la Cité universitaire et des foyers d'étudiants, communication de Mlle Legras, bibliothécaire à la Bibliothèque de la Cité universitaire de Paris.
- Les étudiants et la lecture publique, communication de M. F. Pitangue, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Montpellier.
- Echange de vues et conclusions.
Mercredi 21 décembre.
9 h. 30 Le problème des acquisitions dans les bibliothèques universitaires.
- L'information bibliographique dans les bibliothèques universitaires, communication de Mlle P. Salvan, conservateur au Service technique.
- Le rôle des commissions des bibliothèques universitaires, communication de Mme Messonnier, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Lyon.
- Echange de vues.
- Conclusions générales, par M. l'Inspecteur général Lelièvre.
14 h. 30 Visite des nouvelles installations de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, sous la directeur du Dr A. Hahn, conservateur.
17 h. Visite du Centre international de l'enfance. Allocution de M. le professeur Debré.
Les séances des journées d'étude ont eu lieu dans la salle du Conseil supérieur de l'Education nationale.
Comme en 1952 4, la Direction des bibliothèques de France avait convoqué les conservateurs et bibliothécaires chefs de service des bibliothèques universitaires des départements ainsi que les conservateurs et bibliothécaires chargés de sections dans ces mêmes bibliothèques. Pour Paris, les chefs d'établissements et chefs de service de la Bibliothèque de l'Université ainsi qu'un grand nombre de leurs collaborateurs participèrent aux différentes séances.
La Bibliothèque nationale, la Bibliothèque de l'Institut, la Bibliothèque Mazarine, les Bibliothèques du Muséum national d'histoire naturelle, du Musée de l'homme et de l'Académie nationale de médecine y furent également représentées.
D'autre part, le rôle des bibliothèques municipales vis-à-vis du public universitaire, et en particulier des étudiants, motivait la présence aux journées d'étude de M. Vaillant, conservateur de la Bibliothèque municipale classée de Grenoble et de M. Fillet, bibliothécaire de la Bibliothèque municipale classée de Tours, qui avaient l'un et l'autre été chargés par la Direction des bibliothèques d'enquêtes auprès de leurs collègues des bibliothèques municipales des villes d'université et des grandes villes non universitaires.
Avaient également répondu à l'invitation de la Direction des bibliothèques de France pour la Division des bibliothèques de l'Unesco, M. Carter et Mme Ravage; pour le Centre international de l'enfance, Mlle Garnier et M. Bernard Meyer; pour l'Institut Pasteur, M. de Préobrajensky et M. Brygoo.
La Direction des bibliothèques avait en outre convié à ces journées des représentants de l'Enseignement supérieur dont certains participèrent activement aux séances de travail. Nous noterons ici la présence de M. Jean Sarrailh, recteur de l'Université de Paris, de M. le recteur Souriau, directeur de la Résidence universitaire d'Antony, de M. le professeur J. Callot, assesseur du Doyen de la Faculté de médecine de Strasbourg, de M. Jean Wyart, professeur à la Faculté des sciences de Paris, directeur du Service de documentation du Centre national de la recherche scientifique, de M. Charles-Edmond Perrin, professeur à la Faculté des lettres, de M. Maurice-Marie Janot, professeur à la Faculté de pharmacie. M. le Dr M. Sauguet, secrétaire de l'Institut de psychanalyse, s'était fait représenter. M. Petit, secrétaire général des centres pédagogiques régionaux, de la Direction de l'Enseignement du second degré, prit part à plusieurs séances.
M. Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale, directeur des Bibliothèques de France, présidait les séances.
Compte rendu des séances
Nous ne publions ici qu'un compte rendu chronologique sommaire des séances. Les principaux rapports et communications paraîtront dans un fascicule des Cahiers des bibliothèques de France qui sera spécialement consacré aux Journées d'étude des bibliothèques universitaires de 1955 et qui donnera le compte rendu détaillé des travaux.
Séance d'ouverture (lundi 19 décembre, 10 h.)
Après avoir salué la présence au bureau de M. le Recteur Sarrailh et présenté les excuses de différentes personnalités et de bibliothécaires qui ne purent assister aux Journées 5, M. Julien Cain prononça l'allocution d'ouverture.
Suivant la tradition, M. Julien Cain exposa les résultats acquis par la Direction des bibliothèques en faveur des bibliothèques universitaires depuis les dernières Journées d'étude.
Pour le personnel, le plan de dotation esquissé en 1952 a été progressivement réalisé : des emplois ont été créés, 15 nouveaux sous-bibliothécaires ont été nommés, 9 commis, 8 sténodactylographes, 20 employés de bureau, 25 gardiens et magasiniers. De plus, 8 nouveaux postes de bibliothécaires ont été affectés à titre temporaire au cadre scientifique des bibliothèques universitaires. La réforme de l'auxiliariat a permis d'autre part de pérenniser la totalité des cadres de bureau et de service et d'améliorer ainsi la qualité du recrutement. Enfin des emplois de gardiens ont pu être transformés en emplois de magasiniers.
Après le réajustement des crédits de subvention obtenus en 1952, déjà insuffisants alors pour permettre le développement normal des bibliothèques universitaires, la Direction des bibliothèques n'a cessé de demander à la Direction du budget de substantielles majorations de crédit en s'appuyant en particulier sur les vœux exprimés par les Conseils d'universités et de facultés : « J'ai souligné que les bibliothèques universitaires doivent toujours faire face à des hausses de prix, que le nombre des étudiants et le nombre des chercheurs ne cesse dans l'ensemble de s'accroître en province comme à Paris, et surtout que les créations de chaires et de nouveaux enseignements dans les universités, et principalement dans les facultés des sciences, imposent à ces bibliothèques des achats importants de traités et de grandes collections. »
Reconduits en 1953, les crédits de subventions ont été majorés de 5,6 % en 1953, de 33 % en 1955, par rapport à 1952. Cependant, pour 1955, c'est une majoration de 75 % qui avait été demandée, compte tenu de la création de nouveaux services : Bibliothèque universitaire centrale des étudiants malades, nouvelles sections de médecine résultant de la transformation en facultés des trois écoles de plein exercice de médecine et de pharmacie de Clermont-Ferrand, Nantes et Rennes.
Pour 1956, les propositions budgétaires, tout en reprenant celles de 1955, devaient prévoir, bien entendu, le développement des services récemment créés. Et si, pour le budget primitif de cette année, la Direction des bibliothèques a pu assurer aux bibliothèques universitaires des sommes à peu près équivalentes aux subventions totales de 1955, elle doit également tenir compte des besoins nouveaux qui lui sont signalés.
« Les rapports que nous recevons pour l'année 1954-1955, après ceux de 1953-1954, font état de nouveaux et nombreux enseignements créés et le développement des bibliothèques universitaires a déjà subi, de ce fait, un certain retard par rapport au développement de l'Enseignement supérieur dans certaines universités. La majoration de 50 % que nous espérons obtenir pour 1956 se justifie donc comme une mesure urgente si l'on ne veut pas voir cette situation s'aggraver encore dans l'avenir. »
M. Julien Cain rappelle ensuite l'effort particulier accompli auprès du Ministère de la reconstruction et du logement en faveur des bibliothèques universitaires sinistrées et notamment pour celles de Caen et de Strasbourg.
Cependant le point principal sur lequel il y a lieu d'insister est certainement l'importance des crédits ouverts depuis 1950 et surtout de 1953 à 1955 pour le programme de construction et d'aménagement des bibliothèques universitaires : 835 millions, puis 1.475.000.000 F, soit, depuis 1949, 2.419.000.000 F. En dehors de très nombreux travaux d'aménagement intérieur, des travaux plus importants ont pu être exécutés, à Paris, à la Bibliothèque de la Faculté de médecine et à la B.D.I.C. ; à Strasbourg, à Besançon, Lille et Lyon. Des dépenses ont été engagées pour la construction de la Bibliothèque de la Faculté des sciences de Marseille, pour des agrandissements à Clermont-Ferrand et à Rennes; de nouveaux chantiers sont ouverts ou le seront prochainement : à Paris, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et à la Bibliothèque de la Faculté de pharmacie; à Marseille-médecine, à Besançon, Lyon, Montpellier, Rennes, Strasbourg. Ne sont pas compris dans ces chiffres les deux importantes réalisations de Caen (crédits M.R.L.) et d'Aix (presque entièrement prise en charge par l'Enseignement supérieur).
Malgré cela, la Direction des bibliothèques ne peut ignorer l'insuffisance des locaux d'un grand nombre de bibliothèques et elle s'emploiera à améliorer cette situation au cours des prochaines années. Aussi les bibliothécaires sont-ils invités à demeurer attentifs à toutes les possibilités d'extension qui peuvent se présenter à eux et à en saisir immédiatement l'Inspection générale et la Direction des bibliothèques.
M. Julien Cain rappelle ensuite brièvement l'aide que la Direction des bibliothèques s'est efforcée d'apporter aux bibliothèques universitaires sur le plan technique : catalogues collectifs, service de multigraphie, publication régulière des statistiques. Il annonce qu'à partir de 1956 seront réunis en une seule revue imprimée le Bulletin d'informations de la Direction des bibliothèques de France et le Bulletin de documentation bibliographique préparé à la Bibliothèque nationale.
Pour conclure, M. Julien Cain réaffirme, malgré leur évidente insuffisance, l'importance des résultats déjà obtenus depuis dix ans par la Direction des bibliothèques en faveur des bibliothèques universitaires. La Direction des bibliothèques continuera à montrer dans l'avenir que le développement indispensable de ces bibliothèques est au tout premier rang de ses préoccupations.
M. Julien Cain donne ensuite la parole à M. Pierre Lelièvre pour une introduction générale aux différents thèmes des Journées d'étude que nous résumons ici.
Ces Journées d'étude seront consacrées en partie à l'examen des problèmes que pose au bibliothécaire le service public. C'est une erreur et une injustice de représenter le bibliothécaire comme avant tout soucieux de préserver les collections dont il a la garde contre tous risques de dispersion et de dégradation et de l'imaginer plus attentif à ce problème qu'à celui d'une communication libérale et d'une utilisation judicieuse.
Quel est le travailleur intellectuel, qu'il soit enseignant ou chercheur, qui ne souhaiterait pouvoir utiliser la bibliothèque publique exactement comme il fait de la sienne? Ce vœu, dont il ne faut pas méconnaître la légitimité, est difficile à accorder avec les exigences d'une stricte conservation. Qui n'admettra, après quelque réflexion objective, que la loi du grand nombre s'oppose à sa pleine satisfaction? Ce qui est possible dans une bibliothèque spécialisée dont les lecteurs sont peu nombreux, est inconcevable dans une grande bibliothèque encyclopédique ouverte à des milliers d'usagers.
D'autre part, faut-il rappeler que les conditions d'utilisation de la bibliothèque varient beaucoup avec les disciplines. Distinguer sciences humaines, sciences de la nature et techniques n'est pas suffisant : il y a, selon les disciplines, des démarches d'esprit, des méthodes, une organisation matérielle de la recherche qui imposent des solutions très diverses.
On imagine volontiers un colloque qui, réunissant bibliothécaires et usagers, permettrait à ces derniers de définir leurs vœux et, aux premiers, d'indiquer dans quelle mesure ils peuvent y donner satisfaction. Car, entre bibliothécaires et lecteurs, les malentendus malheureusement sont fréquents. Les exigences, les servitudes des classements et des catalogues sont parfois mal comprises; on s'imagine qu'un peu de bonne volonté suffirait pour les réformer; on mesure mal l'ampleur du travail que représenterait le reclassement des collections d'une grande bibliothèque et on somme le bibliothécaire de l'entreprendre sans se rendre compte qu'une telle entreprise paralyserait la vie de la bibliothèque pendant des années.
Tout autant qu'aux professeurs, c'est aux chercheurs, c'est aux savants, que pensent les bibliothécaires. Si nous avons choisi de traiter cette année des sciences médicales, c'est que l'équipement des facultés de médecine, récemment créées dans les universités de Clermont-Ferrand, de Rennes et de Nantes, la prise en charge par l'État des écoles de plein exercice de médecine et de pharmacie, posaient des problèmes urgents. En particulier, nous pensons que la nécessité d'une liaison entre bibliothèques centrales, bibliothèques de laboratoires, bibliothèques d'instituts et centres de documentation, sera fort utilement examinée à l'occasion de ce débat ouvert sur les bibliothèques médicales. Quelles solutions devront être retenues? C'est ce que nous essaierons de préciser, en soulignant que la solution apparemment idéale aujourd'hui ne doit pas engager sans réserve l'avenir.
Que sont, que doivent être les rapports de la bibliothèque universitaire avec les étudiants? Autre problème actuel et difficile. Il n'est pas seulement nécessaire de fournir aux étudiants les auteurs du programme, les dictionnaires et les manuels dont ils ont besoin pour la préparation scolaire de leurs examens, il faut aussi que l'étudiant acquière, pendant ses années d'étude, cette culture générale professionnelle et cette culture tout court, si importante pour le bon usage des connaissances et des techniques sanctionnées par les diplômes.
Malheureusement, là encore, le nombre s'oppose à la qualité. Et, sans paradoxe, on peut dire que l'étudiant parisien, tout au moins au niveau de la propédeutique et de la licence, est, de tous, le plus déshérité : trop peu d'exemplaires des livres indispensables et, surtout, trop peu de places dans les salles de travail et les salles de lecture. Le régime des cours multigraphiés, en donnant-aux étudiants l'illusion qu'ils détiennent l'essentiel lorsqu'ils en ont acquis les fascicules, contribue encore à aggraver une situation d'autant plus inquiétante que, ni dans le milieu familial où ils vivent, ni ailleurs, les étudiants parisiens ne sont sollicités de faire les lectures cependant indispensables. La constitution de groupes d'étude montre bien l'urgence du problème que l'université n'a plus les moyens matériels de régler sainement. La Direction des bibliothèques a préconisé l'ouverture de salles de travail où les étudiants, groupés par disciplines, trouveraient les ouvrages fondamentaux. Ce serait certes mieux que rien. Mais, en limitant le cercle des curiosités, en se bornant à offrir aux étudiants des manuels et des répertoires, on faciliterait sans doute le travail des plus studieux, mais on encouragerait aussi la paresse d'esprit et le conformisme. Tous les bibliographes, tous les chercheurs s'inquiètent de la prolifération accélérée des publications scientifiques spécialisées. Il faut beaucoup de clarté, d'expérience et de jugement pour séparer le bon du médiocre et du pire dans cette production surabondante. Il serait vraiment paradoxal que celui qui, demain, aura, comme chercheur ou comme maître, la responsabilité de ce choix ait été, au cours de ses études supérieures, pratiquement écarté de ce commerce permanent avec les livres qui est la raison d'être du travailleur intellectuel.
Une place importante a été réservée à cet autre problème majeur : la politique d'acquisitions. Ce problème appelle dès maintenant quelques remarques. La première, c'est que, de fondation relativement récente, avec des fonds anciens très fragmentaires, les bibliothèques universitaires ne sont pas en mesure d'offrir à l'historien, au critique, au philologue, au sociologue, la documentation de base qu'ils réclament.
Deuxième remarque : du fait de leur constitution, ces bibliothèques ont été subordonnées étroitement à l'organisation et à l'orientation des enseignements donnés dans les facultés. Leurs achats ont été ceux que dictait l'urgence quotidienne, en fonction des chaires existantes dans les facultés, en fonction aussi des travaux personnels et des curiosités des professeurs. Il en résulte une certaine incohérence et, notamment, un manque d'équilibre entre les diverses disciplines. Cette situation se révèle particulièrement fâcheuse pour l'ensemble des sciences humaines, tout spécialement pour l'histoire littéraire, l'histoire de la philosophie, l'histoire des idées et des sciences.
Troisième remarque : l'évolution des disciplines, l'extension du domaine de la recherche ont fait apparaître - et font apparaître - sous une lumière crue les lacunes et les insuffisances de nos fonds universitaires. Alors que nous pensions qu'il suffisait de conserver dans une bibliothèque nationale un exemplaire spécimen de tout ce qui a été publié, nous prenons conscience aujourd'hui du fait que ces matériaux de l'histoire que sont les documents imprimés devraient exister en bien plus grand nombre pour satisfaire la curiosité de chercheurs constitués en équipes de plus en plus nombreuses.
La participation de plusieurs membres de l'enseignement à ces journées d'étude sera l'occasion, nous en sommes persuadés, d'utiles confrontations. Organisme complexe, une grande bibliothèque ne peut vivre et se développer harmonieusement que si l'on respecte certaines règles. Une politique y est nécessaire... mais, comment cette politique pourrait-elle être définie, sinon en fonction d'une politique plus générale de l'enseignement, de la recherche et de la culture?
Après l'exposé de M. Lelièvre, M. Perrin, M. Janot puis M. Callot prirent la parole, apportant ainsi le point de vue de professeurs de l'Enseignement supérieur pour des disciplines différentes; leurs interventions et la discussion qui s'engagea alors soulignèrent en particulier les conditions très inégales dans lesquelles travaillent les étudiants, suivant qu'ils font leurs études à Paris ou dans une ville comme Strasbourg et, d'une manière générale, l'insuffisance des moyens mis à leur disposition avec tous les dangers que comporte une telle situation.
Les Bibliothèques des universités et la recherche (séance du 19 décembre, à 15 h.).
Après avoir remercié les personnalités présentes de l'intérêt porté aux Journées d'étude et notamment les représentants du Centre international de l'enfance, M. Julien Cain donne la parole au Dr André Hahn, conservateur de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, pour son exposé sur « Les Bibliothèques des universités et la recherche médicale. »
Dans son introduction, le Dr Hahn pose le problème général des bibliothèques d'étude tel qu'il se présente actuellement en face des progrès de la science, de la complexité et de l'étendue croissantes des connaissances. Comment résoudre à la fois le problème de la culture générale - de l'humanisme - et celui de la recherche scientifique, de plus en plus spécialisée? Comment résoudre en particulier, à l'intérieur de l'université, l'apparente contradiction entre la bibliothèque encyclopédique et la bibliothèque spécialisée? Comment concevoir la tâche des bibliothécaires devant l'immense travail de documentation qu'exige la recherche scientifique ?
Le Dr Hahn examine ensuite plus spécialement les problèmes de la recherche médicale et pose la question : « Nos bibliothèques universitaires répondent-elles aux besoins de l'enseignement et de la recherche scientifique? » Les résultats d'une enquête menée auprès des bibliothèques universitaires de province et des écoles de médecine permettent de répondre négativement à cette question qui, même à Paris, n'est pas entièrement résolue.
Après avoir envisagé d'autre part le rôle des bibliothèques spécialisées associées à des centres de documentation (comme au Centre international de l'enfance par exemple), le Dr Hahn propose aux bibliothécaires des bibliothèques universitaires l'étude, dans des perspectives d'avenir, d'un certain nombre de suggestions concernant les bibliothèques médicales : leur organisation, leur personnel, leurs ressources, l'orientation des lecteurs, les catalogues, les acquisitions, la coordination entre les divers établissements, la documentation.
M. Callot expose alors le point de vue des lecteurs des bibliothèques universitaires médicales : professeurs, chercheurs, cliniciens, étudiants, dont les exigences sont sensiblement différentes de celles des autres usagers de la bibliothèque universitaire. Il évoque ensuite l'expérience faite à Strasbourg d'un « fichier central » des instituts, cliniques et laboratoires de la Faculté de médecine qui rend de grands services aux chercheurs comme aux étudiants, mais qui ne résout pas, comme le souligne également M. Lelièvre, tous les problèmes particuliers que pose, en matière de bibliothèque, une cité hospitalière aussi étendue que celle de Strasbourg.
M. Wyart, parlant de la recherche scientifique dans son ensemble, insiste sur la tâche de plus en plus lourde qui attend les bibliothécaires. Le problème de la documentation s'aggrave sans cesse avec la complexité et l'imbrication croissantes des spécialisations scientifiques, l'augmentation considérable du volume des publications scientifiques dans le monde, des périodiques en particulier et les problèmes de traduction.
Le rôle des centres de documentation et de leurs services photographiques fait ensuite l'objet de diverses interventions : M. Wyart pour le Centre national de la recherche scientifique, M. Brygoo pour l'Institut Pasteur, M. Bernard Meyer pour le Centre international de l'enfance.
M. Lelièvre reprend ensuite la question des rapports entre bibliothèques universitaires et bibliothèques d'instituts, en particulier en ce qui concerne les dépôts de collections. Au cours de l'échange de vues qui suit son intervention, les opinions qui se manifestent font apparaître une hostilité assez générale à ces dépôts. M. Lelièvre conclut sur ce point en montrant les dangers d'une dispersion des collections que la bibliothèque universitaire a pour tâche à la fois de conserver et de mettre à la disposition de tous ses lecteurs.
Le Dr Hahn, puis M. Lelièvre répondent ensuite à la question posée par Mlle Garnier, du Centre international de l'enfance, sur la coordination entre bibliothèques universitaires et bibliothèques spécialisées 5. M. Lelièvre souligne à ce propos le souci qu'a eu la Direction des bibliothèques de ne pas limiter les entreprises collectives destinées à l'orientation des recherches aux seules bibliothèques de l'Éducation nationale, mais d'y associer très largement tous les établissements scientifiques et d'en faire bénéficier tous les chercheurs où qu'ils soient.
Séance du mardi 20 décembre (9 h. 30) 6.
Cette séance devait être consacrée à la discussion de problèmes divers concernant les bibliothèques universitaires : informations données et questions posées par la Direction des bibliothèques, questions soulevées par les bibliothécaires eux-mêmes. Nous résumerons ici les différents points qui firent l'objet d'interventions et d'échanges de vues, en insistant principalement sur les questions d'ordre technique.
Catalogues collectifs. - M. Cain donne d'abord la parole à Mlle Ruyssen pour un bref exposé sur la situation des entreprises de catalogues collectifs de la Direction des bibliothèques à la fin de l'année 1955, la participation des bibliothèques universitaires à ces catalogues et les services qu'elles en attendent.
Après trois années d'existence, le Catalogue collectif des ouvrages étrangers compte 400 organismes participants et 204.000 fiches. Le service de renseignements prend peu à peu de l'importance, notamment en ce qui concerne le prêt « interuniversitaire » et fonctionne en liaison avec le Service central des prêts de la Bibliothèque nationale.
Mlle Ruyssen souligne ensuite l'apport considérable des bibliothèques universitaires en ce qui concerne les listes départementales des périodiques français et étrangers en cours et l'intérêt qui se manifeste pour ces entreprises, si l'on en juge par le nombre généralement important des nouvelles adhésions obtenues à l'occasion des mises à jour de 1954 et de 1955.
Quant à l'Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours (I. P. P. E. C.), les périodiques étrangers reçus par les bibliothèques universitaires en 1955 figureront dans le deuxième tirage du fichier qui sera fourni à ces bibliothèques dans le courant de l'année 1956. L'I. P. P. E. C. recense actuellement les périodiques étrangers de 1.710 organismes : soit 20.000 titres, dont 3.000 titres nouveaux par rapport à l'enquête de 1953.
Les bibliothèques universitaires elles-mêmes commencent à utiliser le service de renseignements de l'I. P. P. E. C. pour l'orientation des recherches. Mais l'I. P. P. E. C. permet aussi de déceler les lacunes qu'il serait utile ou urgent de combler 7.
M. Lelièvre insiste à son tour sur le rôle du Catalogue collectif des ouvrages étrangers dans le prêt entre bibliothèques universitaires et sur la nécessité de faire appel en premier à ce catalogue collectif pour tous les ouvrages étrangers récents.
Au cours d'un rapide échange de vues, des questions sont posées, des suggestions sont faites, en ce qui concerne notamment le Catalogue collectif des ouvrages étrangers. M. Calmette ayant demandé à combien de titres correspondaient les 204.000 fiches reçues, Mlle Ruyssen rappelle que, d'après un sondage effectué en 1955,80 % des ouvrages n'étaient signalés qu'une seule fois au Catalogue collectif. M. Calmette insiste sur l'intérêt que présenteraient des sondages systématiques pour voir comment l'immense production internationale est représentée numériquement dans les bibliothèques françaises. Mlle Bruchet pense d'autre part qu'une ventilation sommaire des fiches par grandes disciplines permettrait sans doute de faire apparaître la spécialisation des acquisitions par régions.
M. Garnier suggère que le Catalogue collectif recense systématiquement les publications des congrès, journées d'étude, symposia, etc. même français, généralement difficiles à repérer; il lui est répondu que l'Unesco se propose d'établir des listes de congrès qui seront diffusées.
Au sujet des listes départementales de périodiques en cours, la proposition de M. de Tournadre de n'effectuer de mises à jour que tous les deux ans, fait l'unanimité 8.
Service de multigraphie. - Mlle Salvan expose dans ses grandes lignes le travail accompli par le Service de multigraphie que dirige Mme Delsaux depuis sa création en 1953 9 : diffusion de listes, puis de fiches multigraphiées qui, tout en aidant à la refonte des catalogues, seront une source précieuse de renseignements, en vue du prêt, pour le service du Catalogue collectif et le Service central des prêts et qui permettraient éventuellement aux bibliothèques de regrouper leurs collections et de compléter leurs acquisitions. Ainsi a pu être dressé sur la base des collections de la Bibliothèque de l'Université de Paris l'état de 2.847 « suites » et ouvrages en cours pour lesquels 70.000 fiches ont été diffusées avec des listes de mots vedettes pour les catalogues alphabétiques de matières.
D'abord destinée aux seules bibliothèques universitaires l'entreprise a été étendue à d'autres bibliothèques, notamment à un grand nombre de bibliothèques municipales. Les travaux actuels concernent les collections françaises : les listes sont en cours de pointage dans les bibliothèques. Priorité a été donnée aux collections courantes. Le service de multigraphie s'occupera ensuite des collections étrangères. Un autre projet est à l'étude : la multigraphie des fiches d'ouvrages au programme des examens et concours. La multigraphie des fiches de thèses étrangères pourrait également être envisagée.
Mme Delsaux donne ensuite quelques précisions sur ses méthodes de travail.
M. Masson demande qu'on ne perde pas de vue, bien que cela concerne surtout les bibliothèques municipales, la question du dépouillement des périodiques généraux 10.
M. Piquard pense qu'il faudrait envisager le développement du service de multigraphie et mettre à l'étude la question de la multigraphie des fiches de thèses étrangères.
M. Lelièvre estime qu'un ordre d'urgence doit être établi. Mais il faut veiller à ce que le travail projeté suive dans sa réalisation une cadence qui n'excède pas les possibilités du service de multigraphie, et n'alourdisse pas à l'excès non plus la tâche des bibliothécaires.
Une discussion s'engage alors sur ces divers points. D'une manière générale les bibliot hécaires paraissent souhaiter l'envoi de fiches multigraphiées en même temps que les thèses étrangères elles-mêmes. Cependant, si la priorité semble devoir être donnée à ce travail, certains bibliothécaires notamment M. Sansen (Rennes) et Mlle Jacquin (Bibliothèque Sainte-Geneviève) estiment, avec M. Masson et M. Lelièvre, que le dépouillement des périodiques généraux intéresse également le public des bibliothèques universitaires : ces périodiques échappent en effet aux bibliographies spécialisées. M. Lelièvre proposerait, pour éviter l'encombrement qui paraît être, pour un certain nombre de bibliothèques, le seul obstacle à la constitution d'un fichier d'articles de périodiques, la publication d'une bibliographie signalétique. Cette bibliographie pourrait prendre, selon les demandes, la forme d'un bulletin ou la forme d'un fichier. Mme Delsaux pense que ce projet serait tout à fait réalisable.
Bibliothèques des instituts. - Mme Kravtchenko pose la question du recrutement de personnel contractuel pour les bibliothèques et centres de documentation des instituts : à Grenoble en particulier où se crée un centre d'études nucléaires qui comportera 12 sections. M. Lelièvre annonce qu'une réforme du Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire est envisagée dans ce sens : une option nouvelle est prévue qui répondra exactement à ce genre de travail.
Statistiques des bibliothèques universitaires. - M. Koelbert estime difficile le calcul par catégories de lecteurs (professeurs, étudiants, « lecteurs autorisés ») du nombre d'usagers de la bibliothèque, de communications et de prêts de livres. Il demande que des instructions soient données pour permettre aux bibliothécaires de déterminer ces chiffres d'une manière uniforme.
Mlle Salvan insiste sur la nécessité de connaître la répartition de ces chiffres par catégories de lecteurs. Il est intéressant notamment de savoir la proportion d'étudiants qui fréquentent les bibliothèques universitaires. Il est sans doute difficile de l'établir de façon précise étant donné que seuls ceux qui empruntent des livres à domicile sont tenus de déposer à la bibliothèque le bulletin délivré par le secrétariat de leur faculté. Une solution consisterait à étendre cette obligation à tous les étudiants fréquentant la bibliothèque. Au reçu de ce bulletin, un employé de la bibliothèque apposerait un tampon spécial sur la carte de tout étudiant venant pour la première fois dans l'année. Cette proposition recueille l'approbation générale.
Un échange de vues a lieu ensuite sur les moyens de contrôler le chiffre des entrées à la bibliothèque et, d'autre part, celui des communications de livres compte tenu du nombre d'usuels directement accessibles au public, qui doit apporter un correctif au nombre de volumes communiqués par l'intermédiaire du personnel de la bibliothèque.
Thèses françaises. - L'irrégularité des dépôts des thèses françaises est une fois de plus évoquée ( (Mlle Barthélemy, Dijon). La difficulté existe surtout pour les thèses imprimées après la soutenance et parues sous un titre différent. Mlle Bruchet fait état d'une proposition d'un des doyens de l'Université de Lille qui prévoit des sanctions en cas de non dépôt. M. Julien Cain pense qu'il y aura lieu de poser la question à la Direction de l'Enseignement supérieur.
A propos des thèses dactylographiées pour lesquelles la circulaire aux recteurs en date du 6 juillet 1953 n'est pas toujours observée, M. Cain annonce que la Direction de l'Enseignement supérieur pense obtenir pour 1956 un crédit supplémentaire important pour l'impression des thèses.
Questions administratives diverses. - Le voeu du Conseil de l'Université d'Alger transmis par M. Koelbert et concernant le relèvement des droits de bibliothèque ne paraît pas devoir être retenu.
M. Koelbert souhaiterait voir modifier le décret du 21 juillet 1897 : le conservateur de la bibliothèque universitaire devrait pouvoir siéger de façon permanente et officielle au Conseil de l'Université. Mlle Bruchet, M. Pitangue notamment appuient cette demande. M. Cain en saisira la Direction de l'Enseignement supérieur.
La Direction des bibliothèques s'est occupée de la demande faite par plusieurs bibliothécaires (Mlle Barthélemy, M. Mironneau) concernant l'établissement des états de traitement à l'échelon national par le service de mécanographie de l'Administration centrale. D'autre part des postes de commis sont prévus pour toutes les bibliothèques universitaires.
L'admission à la bibliothèque universitaire des étudiants inscrits dans un institut (Centre d'études supérieures de civilisation médiévale à Poitiers) sans le contrôle du secrétariat d'une faculté ne peut faire l'objet d'une réglementation générale. Chaque problème de ce genre doit trouver une solution locale. Un système de cautionnement fonctionne à Lyon pour les étudiants étrangers (1.000 F), à Dijon et à Toulouse (2.000 F).
Au cours de cette séance d'autre part, Mlle Salvan a eu l'occasion de signaler la modification intervenue dans la réglementation en France du système des « bons Unesco » (circulaire du Ministère des Finances de juin 1954) 11. L'application de cette circulaire entraîne pour les bibliothèques certaines difficultés et la Direction étudie actuellement avec le Ministère des Finances un assouplissement éventuel de la procédure.
M. Bleton, conservateur au Service technique, rappelle comment doivent être constitués les dossiers de travaux d'architecture et d'aménagements pour qu'ils puissent être examinés et approuvés rapidement. Il insiste pour que les conservateurs et bibliothécaires suivent eux-mêmes l'exécution des travaux et fassent part au Service technique de leurs observations. C'est en effet dans la mesure ou des critiques auront été formulées à l'égard de telle ou telle installation que des mises en garde pourront être faites ou des dispositions prises pour éviter ailleurs les mêmes erreurs.
M. Decollogne, administrateur civil (2e bureau), introduit un échange de vues sur le problème administratif de la reliure. Il expose ensuite la politique suivie par la Direction vis-à-vis des bibliothèques, de la Commission des marchés et de la Chambre syndicale des relieurs.
Les bibliothèques de l'Université et les étudiants (séance du mardi 20 décembre à 15 h.).
Par suite d'une modification apportée à l'ordre du jour, la séance commence par des exposés et des échanges de vues sur les bibliothèques de cités universitaires.
M. le recteur Souriau, directeur de la Résidence universitaire d'Antony, définit les caractéristiques et les buts de la Résidence et les diverses installations que celle-ci doit comporter : en particulier la bibliothèque, qui aura à remplir une double fonction, celle d'une bibliothèque d'étude et celle d'une bibliothèque de culture générale et de détente.
Mlle Legras, bibliothécaire de la Cité universitaire de Paris, expose ensuite la situation actuelle de la Bibliothèque centrale et des bibliothèques des différentes maisons de la Cité. Elle rend compte également d'une enquête menée dans les foyers et maisons d'étudiants de Paris et qui révèle une carence presque totale en matière de bibliothèque.
M. Masson, après avoir excusé M. le recteur Marchaud, délégué général à la Fondation nationale de la Cité universitaire de Paris, qu'il représente à cette séance, précise qu'une autre bibliothèque existe à la Cité dans les salons de la Maison internationale : bibliothèque de distraction créée sur l'initiative d'étudiants et fonctionnant grâce à des équipes d'étudiants.
Après un assez long échange de vues sur l'évolution de ces questions à Paris, M. Koelbert mentionne l'existence des bibliothèques de la Cité universitaire d'Alger. Puis M. Lelièvre expose le projet d'une bibliothèque d'accueil et de lecture publique pour les étudiants de Marseille, qui sera alimentée par la Bibliothèque centrale de prêt des Bouches-du-Rhône située elle-même à proximité de la future Cité universitaire.
M. Julien Cain donne alors la parole à M. Pitangue pour sa communication : « Les Étudiants et la lecture publique ». M. Pitangue fait état principalement de l'expérience qu'il a pu mener à Montpellier grâce à la Bibliothèque centrale de prêt de l'Hérault dont il est directeur : dépôts de livres à l'Association générale des étudiants, à la Cité universitaire de Montpellier, dans divers foyers de la ville et dans un chalet universitaire de l'Aigoual. Le succès de cette expérience est très encourageant.
M. Vaillant intervient au nom des bibliothécaires des bibliothèques municipales des villes universitaires auprès desquelles il a mené une enquête et recueilli quelques doléances et des suggestions. L'afflux des étudiants dans les bibliothèques municipales (80 % des lecteurs) entraîne pour ces bibliothèques « une révision de leurs conceptions anciennes concernant la lecture sur place, le prêt et surtout l'orientation des achats ». M. Fillet expose brièvement le problème des grandes villes non universitaires et pose la question des rapports entre la bibliothèque municipale et les instituts ou écoles d'enseignement supérieur. Il insiste également sur le double rôle de la bibliothèque municipale vis-à-vis des étudiants, bibliothèque d'étude et bibliothèque de lecture publique.
Avec la communication de Mme Spire, c'est à nouveau le problème de l'étudiant à l'intérieur de l'Université qui est posé. Mme Spire, conservateur à la Bibliothèque de la Sorbonne, dresse un tableau de la situation des bibliothèques des « groupes d'études ». Ces associations d'étudiants sont particulières sous cette forme à l'Université de Paris où le très grand nombre des étudiants a amené ceux-ci à se grouper et à s'organiser par discipline. En étudiant successivement l'installation de ces bibliothèques, la constitution de leurs fonds, leurs ressources financières, leur fonctionnement, Mme Spire montre les difficultés auxquelles se heurtent ces entreprises : misère des locaux, insuffisance des budgets, inconvénients inhérents au travail bénévole et à l'inexpérience, malgré tout le dévouement et l'ingéniosité déployés, malgré la coopération importante de la Bibliothèque de la Sorbonne qui dépose des livres dans ces bibliothèques.
Les groupes d'études dans leur état actuel rassemblent néanmoins une proportion considérable des étudiants en lettres et en sciences (de 33 à 50 %) et méritent d'être aidés. C'est là d'ailleurs une des solutions qui peuvent permettre de pallier dans l'immédiat l'insuffisance de la Bibliothèque de la Sorbonne en face du nombre actuel d'étudiants en lettres et en sciences.
M. Calmette annonce l'ouverture prochaine d'une salle d'accueil pour les étudiants de la Sorbonne. Tout en confirmant d'autre part l'aide systématique apportée par la bibliothèque centrale aux bibliothèques de groupes d'études, il donne quelques précisions sur les mesures prises en 1954-55 pour améliorer le service du prêt et le rendre plus accessible aux étudiants.
Une discussion s'engage ensuite sur les questions du prêt aux étudiants à Paris et en province.
Le problème des acquisitions dans les bibliothèques universitaires (séance du mercredi 21 décembre à 9 h. 30).
Dans son exposé sur « le problème de l'information bibliographique », Mlle Salvan se propose surtout d'étudier comment le Service technique de la Direction des bibliothèques a pu aider les bibliothèques universitaires dans ce domaine et comment il pourrait les aider dans l'avenir, qu'il s'agisse du « fonds commun » de ces bibliothèques ou de la documentation de « haute spécialisation », inégalement répartie entre celles-ci.
C'est surtout en ce qui concerne le « fonds commun » que la Direction des bibliothèques peut apporter son concours aux bibliothèques universitaires. Ainsi la deuxième partie du Bulletin des bibliothèques de France répondra désormais à la nécessité d'une information sur les ouvrages et articles concernant la profession. Pour les ouvrages de culture générale, pour les textes littéraires et philosophiques français, pour les usuels, des solutions peuvent être étudiées : bibliographies sélectives sur fiches, ou listes. Pour les grandes collections, les ouvrages aux programmes, le Service de multigraphie a déjà élaboré un plan de travail.
La documentation de haute spécialisation pose des problèmes plus complexes. On ne peut guère envisager en France une planification rigoureuse des spécialités propres à chaque université, qu'il s'agisse des acquisitions nécessaires à ces spécialités, ou de « spécialités marginales ». C'est à la fois par les catalogues collectifs et les services de renseignements qu'on peut aider les bibliothécaires comme les chercheurs, sur le plan régional comme sur le plan national, et par le développement des services bibliographiques proprement dits.
Les questions soulevées par l'exposé de Mlle Salvan donnent lieu ensuite à un assez long échange de vues sur l'aide que le Service technique est susceptible d'apporter aux bibliothèques, notamment en ce qui concerne la confection des fiches à l'échelon national.
La solution la plus simple serait sans doute que chaque livre édité pût être livré avec sa fiche imprimée. Mais Mlle Dougnac, conservateur en chef à la Bibliothèque nationale, rappelle que la loi de 1943, qui prévoyait cette mesure, n'a jamais pu être appliquée.
M. Lelièvre expose alors un projet d'établissement de fiches sur la base des notices de la Bibliographie de la France, grâce à un pointage sélectif régulier des ouvrages à retenir. Les bibliothécaires approuvent en principe ce projet qui sera mis à l'étude.
La discussion porte ensuite sur les critères d'acquisitions, notamment pour les œuvres d'auteurs contemporains, généralement assez mal représentés dans les bibliothèques universitaires.
M. Julien Cain donne la parole à Mme Messonnier, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Lyon, pour son exposé sur le « rôle des commissions de bibliothèque dans les acquisitions des bibliothèques universitaires ». Mme Messonnier pose d'abord le problème de l'établissement des programmes d'achat de la bibliothèque universitaire et des principes généraux qui guident la commission de la bibliothèque dans la sélection des demandes d'achat et la répartition de ces achats entre les différentes disciplines. Cependant, peut-on parler véritablement de programme, si la commission se borne à sanctionner des demandes individuelles? Quant à la coordination indispensable avec les autres organismes de l'Université, elle demeure subordonnée à une politique générale d'acquisitions sur le plan de l'Université : la commission de la bibliothèque universitaire, dans sa forme actuelle, ne peut résoudre cette question. L'institution de commissions beaucoup plus larges et plus représentatives, serait peut-être une solution, malgré les obstacles administratifs et psychologiques auxquels se heurterait inévitablement semblable proposition. Mme Messonnier examine, pour finir, le rôle du bibliothécaire vis-à-vis de la commission : rôle d'information et de conciliation qui n'exclut nullement l'initiative et la responsabilité.
Dans le débat qui suit cette communication, les différents avis qui s'expriment (M. de Tournadre, M. Guinard, Mlle Bruchet, M. Kolb, Mlle Arduin, M. Le Chapelain, M. Mironneau) apparaissent généralement comme assez peu favorables à l'institution d'une commission élargie, officiellement chargée d'élaborer un programme d'achats pour l'ensemble de l'Université. Sur la possiblité de créer des sous-commissions pour préparer, dans chaque faculté, le travail de la commission, les avis demeurent partagés.
Pour terminer, M. Julien Cain donne la parole à M. Pierre Lelièvre pour dégager les conclusions de l'ensemble des interventions et des débats de ces trois journées.
M. Lelièvre constate que deux tendances se sont manifestées : tendance à « l'éclatement » des bibliothèques universitaires et volonté certaine de regroupement et de cohésion.
« Éclatement » des bibliothèques universitaires en sections, dépôts de livres dans des instituts et des laboratoires, prolifération de bibliothèques parallèles, tous ces faits sont liés à la fois à l'évolution rapide des sciences et des techniques et, en même temps qu'à des considérations topographiques, aux conditions mêmes de l'enseignement, et surtout de la recherche, en constante évolution.
Quant à la volonté de regroupement que l'on peut constater, elle ne se manifeste pas seulement parmi les bibliothécaires. C'est le professeur Callot, alors qu'il était doyen de la Faculté de médecine, qui a décidé la création d'un centre bibliographique, pour pallier les inconvénients résultant de la dispersion entre vingt-sept bibliothèques de la documentation médicale à Strasbourg, et il estime nécessaire le regroupement de cette documentation dans une bibliothèque médicale centrale.
En fait, le terme de bibliothèque risque d'être équivoque parce qu'il recouvre des éléments très divers. Parmi les organismes dont il a été question dans les rapports préliminaires, un certain nombre seulement mérite le nom de bibliothèque. Ailleurs, il ne s'agit en réalité que d'un matériel documentaire destiné à l'usage courant, assimilable au matériel expérimental dans un laboratoire et dont la conservation ne s'impose pas.
Quant à la bibliothèque universitaire, elle ne doit être vis-à-vis des autres bibliothèques de l'Université ni « un magasin d'intendance » destiné à alimenter des dépôts de livres, ni un lieu de débarras pour des collections périmées. La bibliothèque universitaire est un organisme complet et doit subsister comme tel. C'est en fonction de ce principe que doit être envisagé en particulier le problème des acquisitions.
M. Lelièvre insiste sur la nécessité, pour les bibliothèques universitaires, d'une véritable politique d'achats qui, tout en maintenant l'équilibre entre les disciplines, soit en même temps une politique d'avenir, qui tienne compte dans toute la mesure possible des développements prévisibles de la recherche et de l'enseignement. L'élaboration d'une telle politique est l'une des responsabilités essentielles du bibliothécaire. Il doit, cela va sans dire, y associer les membres de l'enseignement. Mais c'est à lui d'en définir l'harmonie et d'en maintenir l'équilibre.
M. Lelièvre résume ensuite, dans un tableau critique, la situation des bibliothèques universitaires françaises, bibliothèques très « jeunes » qui ne s'appuient pas sur de riches fonds anciens, et qui ont suivi, avec retard et trop étroitement, l'évolution des enseignements et des recherches dans leurs universités. On n'a jamais posé leur problème dans une perspective historique, à l'intérieur d'un système organique.
Vis-à-vis des étudiants, et malgré des expériences parfois assez heureuses en province où l'on est, moins qu'à Paris, « victime de la loi du nombre », la bibliothèque universitaire ne remplit pas non plus son rôle. Il est paradoxal que « dans un monde où les collections se chiffrent par millions, on fasse des études supérieures avec des cours polycopiés et quelques dizaines de livres. Comment le chercheur de demain menacé d'être submergé par le flot montant des publications spécialisées serait-il préparé au choix nécessaire de sa documentation s'il a été, tout au long de ses études, tenu pratiquement éloigné des livres et des revues dont il devrait être familier ». Mais pourquoi ne pas le reconnaître? Avec les moyens dont nous disposons actuellement, il ne semble pas y avoir de solution satisfaisante à ces problèmes.
Une politique d'achat des bibliothèques universitaires ne saurait en effet se définir en dehors d'une politique générale de l'enseignement et de la recherche. Des colloques entre membres de l'enseignement supérieur et bibliothécaires devraient permettre la recherche en commun de solutions valables, compte tenu des servitudes bibliothéconomiques trop souvent ignorées ou méconnues.
Nous devons rester attentifs à l'évolution du travail intellectuel et de la recherche scientifique. Les institutions que nous avons le devoir de maintenir et de préserver doivent s'adapter à de nouveaux besoins. Des méthodes nouvelles, pour notre travail technique lui-même, doivent être recherchées. Si certaines solutions ne dépendent pas de nous, si certains problèmes demeurent insolubles dans les termes où ils sont actuellement posés, nous n'avons pas à nous dérober à une confrontation des bibliothécaires avec les usagers des bibliothèques. La participation de membres de l'enseignement supérieur à ces Journées et l'intérêt qu'ils ont porté à nos discussions, ont clairement montré que les problèmes des bibliothèques universitaires sont aussi ceux de l'enseignement et de la recherche.
M. Julien Cain, après avoir remercié M. Pierre Lelièvre, définit brièvement l'attitude de la Direction des bibliothèques de France et le sens qu'elle entend donner aux Journées d'étude qu'elle a instituées : étude en commun des problèmes, et non dirigisme étroit. Il conclut en rappelant le rôle important de la délégation des bibliothécaires français au Congrès de Bruxelles en 1955, dans la discussion des problèmes généraux de portée internationale.
Visite au Centre international de l'enfance
En incluant dans l'ordre du jour des Journées d'étude des bibliothèques universitaires une visite au Centre international de l'enfance, la Direction des bibliothèques marquait son intention de compléter les échanges de vues de la séance du lundi 19 décembre plus spécialement consacrée aux problèmes de la recherche médicale et d'attirer l'attention des bibliothécaires sur l'existence et le fonctionnement d'un centre de documentation spécialisé.
Cette visite, organisée sous la direction de M. le Dr Étienne Berthet, directeur général du centre, par Mlle E. Garnier, chef du service de documentation, eut lieu le mercredi 21 décembre en fin d'après-midi.
Le Dr Berthet expliqua brièvement aux bibliothécaires les buts et les activités du C.I.E. Après un court historique, il insista sur le caractère général de l'institution, centre de synthèse où l'on doit tenir compte de l'interdépendance de disciplines différentes : médecine, psychologie, sciences sociales et juridiques. Formation de personnel scientifique et social de tous pays, étude de problèmes nouveaux, diffusion de la documentation internationale et publications, actions pratiques dans les pays en voie de développement, tels sont les quatre groupes d'activité du C.I.E. dont le Dr Berthet développa ensuite les caractéristiques essentielles 12.
Puis il donna la parole à Mlle Garnier qui exposa les problèmes propres à la bibliothèque et au centre de documentation : problèmes complexes posés par une documentation très vaste et non homogène et par la nature et l'urgence des recherches. Créée en 1950, ouverte en 1951, la bibliothèque compte actuellement 5.000 ouvrages, 850 périodiques, 8.000 dossiers. Elle a reçu 4.000 lecteurs en 1955. La classification systématique adoptée est la classification de Mrs Cunningham 13, classification alpha-numérique, très détaillée mais qu'il est nécessaire d'adapter au travail de dépouillement entrepris par le centre pour ses correspondants.
Pour tous les lecteurs éloignés, souvent isolés de tout centre médical, la bibliothèque doit évidemment se doubler d'un centre de documentation qui envoie à ses correspondants, outre les analyses contenues dans le « Courrier » du C.I.E., des fiches de références; le centre se charge également d'établir des bibliographies. Le C.I.E. envoie actuellement à ses abonnés de 1.800 à 2.000 fiches par mois (93.621 fiches ont été diffusées du 1er janvier au 30 novembre 1955), 135 bibliographies ont été établies par lui en 1955. Grâce à cette documentation les correspondants du centre peuvent se procurer au moins les microfilms des articles qui les intéressent.
Mlle Garnier pour conclure insiste particulièrement sur l'intérêt que présente une constante liaison entre ces deux activités. Si le développement du centre de documentation est fonction du développement de la bibliothèque, le travail de documentation est également fécond pour le bibliothécaire qui, en se substituant au chercheur éloigné, est amené à mieux comprendre le point de vue de ses lecteurs.
M. le professeur Robert Debré, président du Conseil d'administration du C.I.E., avait également tenu à accueillir les bibliothécaires et à les entretenir lui-même quelques instants des problèmes que pose la bibliographie médicale. Il dressa pour eux un tableau critique de la situation actuelle, illustré d'exemples particulièrement saisissants : d'une part une production polyglotte, accablante par sa profusion, de plus en plus compartimentée, généralement peu séduisante à lire, de plus en plus difficile à apprécier pour sa valeur scientifique; d'autre part ccux qui ont à utiliser cette production, professeurs et chercheurs de grands centres hospitaliers et universitaires ou de centres médicaux de moindre importance et enfin le médecin isolé qui ne peut avoir directement accès à une documentation sérieuse.
Étant donné la rapidité de l'évolution des sciences et des techniques médicales l'information dans ce domaine pose des problèmes d'une urgence extrême. Comme les professeurs, les bibliothécaires de centres médicaux ont donc de graves responsabilités. Aussi leur appartient-il de rechercher des méthodes nouvelles pour aider plus efficacement les chercheurs et en particulier les chercheurs isolés.
M. Julien Cain répondit au professeur Debré en le remerciant d'avoir dégagé, dans une passionnante causerie, tout l'intérêt et toute l'urgence des problèmes qui se posent actuellement aux bibliothécaires des sciences médicales.
M. Julien Cain ainsi que les bibliothécaires présents furent ensuite invités à visiter les différents services de la bibliothèque et du centre de documentation du C.I.E. que Mlle Garnier et ses collaboratrices leur présentèrent : salle de lecture, salle des catalogues, salle des périodiques, service de la classification.
Au début de l'après-midi avait eu lieu une visite de la Bibliothèque de la Faculté de médecine. Le Dr Hahn avait réuni ses collègues des bibliothèques universitaires dans la nouvelle salle des périodiques pour leur parler de l'aménagement et du fonctionnement des services installés au cours de ces dernières années. Il leur présenta ensuite, en les commentant, les plans des futures installations de la rue de l'École de médecine 14.
Ces deux visites, à la fin des Journées d'étude, constituaient une excellente illustration des différentes questions soulevées au cours des débats à propos de la recherche et de la documentation médicales 15.