« Depuis la crise sanitaire, les maires en milieu rural voient les bibliothèques comme des espaces essentiels de convivialité »

Entretien avec Céline Meneghin

Véronique Heurtematte

En écho aux mutations provoquées par la récente crise sanitaire, les journées d’études de l’Association des bibliothécaires départementaux (ABD), qui se tiendront les 26 et 27 septembre 2022 à Chamerolles (Loiret), auront pour thème « Des bibliothèques départementales agiles et adaptables ». Quel a été l’impact de la pandémie sur les bibliothèques départementales et les réseaux qu’elles desservent ? Que reste-t-il aujourd’hui de cette expérience ? Comment a-t-elle modifié la manière de concevoir le rôle des bibliothèques ? Céline Meneghin, directrice de la bibliothèque départementale du Loir-et-Cher, coprésidente de l’ABD avec Céline Cadieu-Dumont, nous livre son analyse.

BBF : Le thème des journées d’étude fait référence à la récente crise sanitaire. Quels en ont été les principaux impacts sur les bibliothèques départementales ?

Céline Meneghin : Cette thématique a effectivement été choisie par le conseil d’administration de l’association pour faire écho à ce qu’ont vécu les équipes des bibliothèques départementales et les collègues de leurs réseaux respectifs. Comme tous les autres secteurs d’activité, les bibliothèques ont dû s’adapter et se sont montrées inventives, mettant en place de nouvelles modalités sur nombre de leurs services. Nous avons dû notamment modifier nos propositions de formation puisque nous ne pouvions plus accueillir les bénévoles et les professionnels dans nos locaux. Même si cela s’est fait de manière variable selon les départements en fonction des matériels et des ressources mis à disposition, nous avons très rapidement mis en place une offre à distance par visioconférence. Nous avons également adapté les modalités des dessertes documentaires qu’il n’était pas question de suspendre car les collègues des réseaux, même s’ils ne pouvaient plus, dans un premier temps, accueillir les usagers, ont proposé du portage à domicile, du drive, puis à nouveau de l’accueil en jauge réduite. Cela a conduit certaines bibliothèques départementales à faire évoluer leur fonctionnement, en adoptant elles aussi le drive. Si on peut voir un aspect positif à la pandémie, c’est d’avoir donné du temps aux équipes pour se poser et réfléchir d’une manière globale à l’organisation de leurs services.

Nous avons dû aussi revoir les modalités d’accompagnement des bénévoles qui se sont beaucoup appuyés sur nous pour assurer la continuité de service. Nous avons eu plus de temps pour les appeler et les accompagner dans cette situation inédite. Beaucoup de personnes ont arrêté leur activité de bénévolat pendant la crise, il a donc fallu accompagner aussi les collectivités pour reconstituer des équipes, ainsi que les bibliothécaires salariés fragilisés dans la reprise de leurs activités par ce manque de bénévoles.

BBF : Quels changements observez-vous dans les réseaux et les collectivités desservis par les bibliothèques départementales ?

Céline Meneghin : La crise sanitaire a changé l’état d’esprit des collectivités, quelle que soit leur taille. Les maires, y compris dans de toutes petites communes, ont une vision différente de la bibliothèque dont ils veulent faire désormais un équipement essentiel de la convivialité dans leur village. On sent aussi la volonté de mettre en avant les ressources et les idées locales, de développer des partenariats avec des associations et acteurs locaux, dans un esprit de tiers lieu qu’on voyait jusqu’à présent plutôt dans les grandes villes ou les villes de taille moyenne, et qu’on trouve maintenant dans les zones rurales. À l’issue de cette crise, nous accompagnons des projets qui ont une philosophie différente, allant au-delà de la bibliothèque classique.

Cette approche a un impact direct sur la manière de concevoir les bâtiments. Les espaces sont plus grands et plus ouverts qu’avant la crise. Tous les projets de bibliothèques de communes très rurales qu’on voit émerger prévoient des espaces polyvalents pouvant accueillir des ateliers d’artistes, des expositions, des activités organisées par les habitants.

Nous voyons aussi arriver des bénévoles avec de nouveaux profils et de nouvelles attentes. Ils veulent bien donner de leur temps mais sur des activités qui leur font plaisir, des projets spécifiques, des animations. Il est en revanche de plus en plus difficile de recruter des bénévoles sur les activités traditionnelles de permanences, de gestion de la bibliothèque. Nous changeons donc notre manière de former les bénévoles en mettant l’accent sur la médiation et l’animation mais en montrant aussi qu’on peut faire des permanences de manière dynamique. Ce sont des changements sociologiques très intéressants.

BBF : L’émergence de ces bénévoles aux profils nouveaux est-elle à mettre en lien avec l’arrivée de nombreux néoruraux provoquée par la crise sanitaire ?

Cécile Meneghin : Probablement. On voit effectivement arriver une nouvelle population qui a envie de s’investir différemment dans la vie locale. Valérie Jousseaume, spécialiste des territoires ruraux à qui nous avons confié la conférence d’ouverture des journées d’étude, montre dans ses recherches et dans ses ouvrages comment l’identité rurale, dévalorisée pendant le XXe siècle, surtout dans la deuxième moitié, répond aujourd’hui à une évolution sociétale, dans des territoires inventifs qui jouent sur la proximité. Ce phénomène, que nous relevons dans le domaine de la lecture publique, existe dans beaucoup d’autres champs d’activité.

BBF : Les modalités mises en place pendant la crise sanitaire par les bibliothèques départementales vont-elles s’inscrire dans la durée ?

Céline Meneghin : Oui, ce sont des pratiques qui vont perdurer. Même s’il y a le souhait de revenir au présentiel, nous allons continuer à proposer pour les formations dont le sujet s’y prête et pour les réunions de réseaux des rendez-vous en format hybride. L’une des conséquences de la crise sanitaire, que les bibliothèques départementales constatent de manière unanime, est la montée en compétences très rapide des bénévoles dans l’utilisation du numérique. Par la force des choses, ils ont dû utiliser la visioconférence, y compris à titre privé, ce qui a levé la frilosité que certains pouvaient avoir envers les outils numériques. Des bénévoles qui venaient peu aux réunions ou aux formations les suivent maintenant en distanciel. Il faut donc maintenant veiller à préserver ces pratiques en conservant l’offre à distance. Certaines bibliothèques départementales vont aussi garder le drive car cela répond à la demande de souplesse et de rapidité concernant les dessertes, en tout cas pour les établissements situés à proximité de la bibliothèque départementale.

BBF : Comment vont se dérouler les journées d’étude 2022 ?

Céline Meneghin : La façon de travailler pendant les journées d’étude sera en adéquation avec notre thématique. On a fait appel au Bureau des possibles pour animer de manière dynamique et interactive tous les temps d’étude, y compris les séances plénières. Nous n’avons pas de réponses aux questions posées par les journées d’étude mais cette démarche d’intelligence collective va permettre à chacun de repartir avec des pistes très concrètes et de les explorer ensuite dans sa collectivité. Cela permettra aussi aux collègues d’expérimenter ce type de méthodes interactives et de les proposer dans leurs réseaux et dans leurs équipes. On s’est saisi de la problématique des journées y compris dans notre méthodologie d’animation.

Le réseau de lecture publique du Loiret est constitué de 170 médiathèques, bibliothèques ou points de lecture, 800 professionnels dont un tiers de salariés et deux tiers de bénévoles, plus de 280 000 documents dont les deux tiers sont constamment en circulation, et un portail de ressources numériques (Loiretek). Les deux actualités phares du Loiret sont :

• le Festival Ozélir !, le Mai littéraire du Loiret. Organisé par la médiathèque départementale du Loiret, cet événement compte 70 rendez-vous dans 27 villes, 39 lieux, avec 34 partenaires et 170 intervenants. Ce festival ouvert à tous les âges et à toutes les déclinaisons de la lecture a retenu, pour sa première édition en 2022, le thème « La lecture, grande cause nationale » ;

• un Label Bibliothèque numérique de référence (BNR). Labellisée par le ministère de la Culture, la médiathèque départementale du Loiret déploie sur trois années une politique d'envergure et de proximité en direction des bibliothèques de son réseau. Trois axes structurent ce programme qui vise à doter les médiathèques et bibliothèques d'ordinateurs : l'informatisation des bibliothèques, l'installation d'espaces dédiés à l'inclusion numérique, et l'acquisition de ressources et d'outils numériques (Fablab, etc.). À ce jour, plus de 66 bibliothèques ont été équipées, et à terme ce sera une petite centaine : une véritable modernisation à grande échelle du réseau loirétain.