Retour sur la 53e Conférence annuelle de LIBER

3 au 5 juillet 2024, à Limassol (Chypre)

Jeanne Flamant

Début juillet 2024 s’est tenue à Limassol (Chypre) la 53e Conférence annuelle de la Ligue des bibliothèques européennes de recherche (LIBER). À cette occasion, des bibliothécaires du monde entier se sont réunis sous la chaleur chypriote pour échanger sur de nombreuses thématiques et sur les évolutions du métier.

Les bibliothèques françaises ont été largement représentées par de nombreux collègues, pas seulement en tant qu’auditeur·rices mais également en tant qu’intervenant·es, confortant notre position active lors de cet événement. Sur les 381 participantes, la France est le troisième pays le plus représenté avec ses 19 inscrit·es, derrière le Royaume-Uni (34 participant·es) et les Pays-Bas (29 participant·es). Trente-huit pays étaient représentés et les collègues venaient parfois de bien plus loin que l’Europe : on notera la présence de collègues venant du Mexique, de Nouvelle-Zélande, du Canada, des États-Unis ou du Nigéria. La liste complète des participant.es et le programme détaillé se trouve en ligne 1

.

Le nombre considérable d’invité.es a permis de proposer des programmes « à la carte », et il était possible de suivre des interventions au choix. Bien que logique, cette organisation peut susciter une certaine frustration puisque choisir un atelier, c’est renoncer aux sept autres se tenant simultanément.

Les thématiques traitées au cours des ateliers et des interventions sont des reflets fidèles des problématiques auxquelles sont confrontées les bibliothèques en 2024 : l’intelligence artificielle y a occupé une place de choix, mais les questions liées au rôle sociétal des bibliothèques ne sont pas en reste et ont été abordées par plusieurs intervenant·es. La science ouverte a également été un sujet récurrent, comme c’est désormais le cas depuis quelques années.

Intelligence artificielle et bibliothèques

Les questions d’intelligence artificielle ont surtout été abordées lors des ateliers marquant le début de la conférence ; il s’agissait d’une introduction et d’exercices pratiques pour la prise en main des outils. Bien évidemment, les possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle dans le traitement des fonds de bibliothèques ont été abordées de façon transversale par beaucoup de collègues et ne se sont pas limitées à une ou deux présentations.

Indicateurs de la science ouverte : évolution du métier et des pratiques

Cette session a notamment été animée par des Françaises : Madeleine Géroudet (Université de Lille et ADBU 2

X

Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation.

) est venue présenter les indicateurs de l’ADBU, et Laetitia Bracco (Université de Lorraine) a discuté du Baromètre de la science ouverte et de sa mise en place dans de nombreux établissements. Les résumés précis de leurs présentations sont disponibles en ligne 3. Leurs interventions ont été complétée par la présentation de Alicia Fatima Gomez (Instituto de Empresa Business School – IE University, Espagne) et Christina Huidiu (Wageningen University, Pays-Bas).

Toutes s’accordaient à souligner l’importance de la science ouverte dans leurs établissements et dans les bibliothèques en général, mais aussi la difficulté à mobiliser les collègues sur ces problématiques spécifiques, jugées parfois trop techniques ou trop éloignées du métier. Pourtant, la qualité et l’accessibilité des métadonnées produites et hébergées par les bibliothèques sont garantes de la transparence et de la reproductibilité des projets scientifiques menés par les équipes de recherche ; c’est aussi un excellent moyen d’évaluer les biais éventuels et de les contourner, et de mieux connaître les collections.

En revanche, le regard sur la science ouverte tend à évoluer, et de plus en plus de collègues s’impliquent sur ces problématiques. Le besoin et le désir de collaboration, de l’échelle nationale à l’échelle internationale, sont globalement ressortis de toutes les présentations de la conférence. L’importance de l’harmonisation des pratiques a évidemment été mise en exergue, pour permettre ces collaborations et la réutilisabilité des outils développés par d’autres.

Bibliothèque et responsabilité sociétale

Cette thématique a été selon nous l’une des plus richement discutées. Plusieurs intervenantes se sont succédé au fil des sessions pour discuter en détail du rôle central des bibliothèques pour l’inclusion dans la recherche : Alice Marples (British Library, Royaume-Uni), Michèle Meijer et Esther Nijland (Vrije Universiteit, Pays-Bas), ainsi que Hester Mountifield (Université d’Auckland, Nouvelle-Zélande).

L’intervention d’Alice Marples s’est centrée sur la politique volontariste de la British Library en matière de projets de recherche inclusifs. En encourageant des doctorant.es de tous les horizons à collaborer avec la bibliothèque dans l’élaboration de sa politique scientifique, la British Library cherche à donner de la visibilité à des projets liés à des collections jusque-là laissées de côté : mapping de la diaspora caribéenne, étude de manuscrits irlandais, recherche sur les origines des collections, études climatiques, ateliers d’écriture autour de l’esclavage, étude des œuvres de femmes au Moyen-Âge, collections liées à l’histoire orale, etc.

Les équipes de la bibliothèque accompagnent les chercheur·ses dans la formalisation de leurs projets, puis dans la création de leur corpus, mais également dans différents aspects de la vie quotidienne : financier (notamment pour les frais liés à la garde d’enfants), isolation et santé mentale, équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

Côté néerlandais, il était question du rôle central de la bibliothèque et de l’université dans la décolonisation. Il n’est pas question d’effacer l’histoire coloniale des Pays-Bas, mais de comprendre les biais présents dans les collections et de rendre celles-ci plus diverses en évaluant de façon objective les pratiques. Trois axes ont été proposés : dès l’acquisition des ouvrages, rester attentif à l’inclusivité des listes fournies par les enseignants ; lors du catalogage des collections, prêter attention aux termes choisis (à noter que lorsqu’un terme malheureux est entré dans le moteur de recherche du catalogue, les ouvrages renseignés correctement remontent) ; dans la présentation des collections, une attention particulière est portée au système de classification.

Le groupe de travail se penchant sur ces questions fait énormément de pédagogie à l’échelle locale (collègues, public… un decolonization lab a été mis en place) et à l’échelle nationale et internationale, en accueillant des collègues pour discuter des possibilités de mise à jour de classification des ouvrages. La VU University (Université libre d’Amsterdam) a de plus mis en place un accountability statement (charte de responsabilité) soulignant qu’il s’agit d’un travail en cours et proposant aux usager·ères de signaler des ouvrages ou des termes à reprendre.

Hester Mountifield a quant à elle abordé la question des étudiants d’origine aborigène en Nouvelle-Zélande, et a souligné la mise en place d’un espace dédié à la pratique linguistique à l’Université d’Auckland. Là encore, il y a une volonté explicite d’encourager les étudiant·es à se réapproprier leur patrimoine culturel et à l’utiliser dans leurs recherches.

Si la santé mentale des étudiants est un sujet de préoccupation pour les bibliothèques depuis la pandémie de 2020, il s’agit cette fois aussi de présenter la bibliothèque comme lieu d’accueil pour tous, et de valorisation de la diversité présente sur les campus.

En somme, cette conférence a été l’occasion de découvrir que, partout, les bibliothécaires travaillent sur des problématiques jumelles ; les opportunités d’échanges internationaux permettent de revenir en France avec un nouveau regard, de nouvelles idées, et de nouveaux outils. Cet événement a été la réaffirmation d’une volonté et d’un besoin de collaboration à l’échelle internationale et nationale, tant sur les outils que sur les pratiques et les collections.