Rencontres nationales de la formation #2
Formation : l’enjeu de la qualité • Enssib, 4 juin 2018
Cette deuxième édition des Rencontres nationales de la formation organisées par l’Enssib s’inscrivait dans la droite ligne de la première, consacrée en 2016 à l’évolution des formations aux métiers des bibliothèques, des archives et de la documentation.
Le prisme adopté, celui de la qualité, faisait écho à la multiplication des injonctions d’évaluation adressées aux établissements d’enseignement supérieur et autres acteurs de la formation dans le cadre du rapprochement des systèmes nationaux au sein de l’Espace européen de l’enseignement supérieur promu par le processus de Bologne. Dans un contexte de concurrence accrue à l’échelle nationale comme internationale, ceux-ci se sont progressivement appliqués à intégrer différents types de normes et attentes (comme les Standards and Guidelines (ESG) for Quality Assurance in the European Higher Education Area) dans la construction de leurs offres de formations, concourant ainsi à l’affirmation d’un véritable « management de la qualité de la formation », dont l’« assurance qualité » – consacrée par la réunion de la Conférence ministérielle européenne de l’enseignement supérieur à Paris les 24 et 25 mai 2018 – est le dernier avatar en date.
Contexte et enjeux de l’évaluation
de la qualité de la formation
La diversité des intervenant·es convié·es a permis de prendre la mesure tant de la labilité de la notion de qualité que des nombreux enjeux liés à sa stabilisation. Toutefois, « l’amélioration continue », véritable leitmotiv de la journée, a été unanimement présentée comme principe même de la démarche qualité, quelle que soit la forme particulière prise par cette dernière et par les outils employés pour la mener, cette formule fédératrice présentant en outre l’intérêt d’en restituer la dimension processuelle et cyclique.
Le discours d’ouverture d’Yves Alix, évoquant notamment le cas de l’Enssib dans le cadre plus large de la démarche qualité impulsée par la ComUE Université de Lyon, mais aussi le projet d’inscription au titre de mention complémentaire au RNCP du parcours national délivrant le label de bibliothécaire formateur piloté par Médial, a souligné d’emblée l’impératif d’objectivation de la qualité des formations et des titres délivrés dans un contexte d’évolution rapide des métiers, où l’acquisition et l’actualisation constante des compétences sont la clé de la réussite individuelle comme collective. Les entreprises de formalisation des critères d’évaluation et l’émergence de dispositifs officiels de certification ont, dès lors, vocation à attester la reconnaissance officielle de la valeur et de la fiabilité des différents types de formations, et à fournir, aux apprenants ainsi qu’à leurs employeurs/financeurs, des repères dans un paysage foisonnant et difficilement lisible.
Démarche qualité, certification
et amélioration continue
À travers l’exemple de la démarche qualité engagée depuis 2014 à l’université de Franche-Comté (UFC), la conférence inaugurale de Laurence Ricq (vice-présidente de l’UFC, chargée de la formation tout au long de la vie et des relations avec le monde socio-économique, directrice du service de Formation continue, vice-présidente du réseau Formation continue à l’université – FCU) a illustré les modalités concrètes d’appropriation et de traduction de ces exigences plus ou moins diffuses au sein d’une université : le développement et la formalisation de processus et d’outils destinés à faire reconnaître – et ainsi à faire connaître plus largement – la qualité des formations répondent à la nécessité de s’adapter à un paysage universitaire mouvant (LRU, loi ESR de juillet 2013, regroupements d’établissements, arrêté du 22 janvier 2014 sur l’accréditation, création de l’AERES puis du HCERES…).
Pour l’UFC, l’objectif est de se (re)positionner en tant qu’acteur reconnu et certifié aussi bien pour la formation initiale universitaire, qui reste son cœur d’activité, que pour la formation tout au long de la vie sous ses différentes formes. La place de l’UFC dans le tissu socio-économique local s’est ainsi vue confortée successivement par l’inscription de ses formations au fichier RNCP en 2013, l’obtention de la certification ISO 9001 en 2015, puis, en 2018, de la certification de services FCU pour une durée de trois ans. Ces fruits de la démarche qualité initiée en 2014 s’apparentent à une forme d’assurance qualité à destination des candidats aux formations dispensées par l’UFC, parachevée par la production d’un référentiel d’autoévaluation propre, construit en collaboration avec l’Université-Louvain et la société Fa2L qui intègre les principales attentes des cadres normatifs et des instances d’évaluation et de certification français et européens.
De manière globale, le pilotage de cette démarche qualité a exigé un portage politique fort de la gouvernance, une mobilisation concertée de nombreux services de l’université, une forte implication et ouverture au changement de la part des équipes pédagogiques, couplés à la mise en place d’un dispositif spécifique d’appui pour l’accompagnement du processus et des expérimentations menées (notamment en termes de personnels), ainsi que l’association étroite des apprenants des différents types de formations.
Un enjeu de taille, pour l’UFC comme pour ses homologues, réside dans les implications en termes de financement de la formation professionnelle de la certification, qu’il convient dès lors de considérer comme une véritable « clé d’entrée sur un marché régulé » : esquissée par le décret n° 2015-790 du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue pris en application de l’article 8 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle, cette tendance semble en passe d’être confirmée et accentuée par le projet de loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
Des multiples dimensions articulées au cours de cette intervention, il ressort que les transformations du paysage global de l’enseignement supérieur et de la recherche, le rôle stratégique assigné à la formation, et l’essor corrélatif de dispositifs formels de certification de la qualité aboutissent à un double mouvement, a priori paradoxal mais logique d’homogénéisation et de recherche de différenciation des offres de formation. Les jeux croisés, d’une part, de l’édiction et de l’intégration dans ces offres de nouveaux standards de qualité, et, d’autre part, de la dynamique instillée par l’autonomie et l’inscription dans une concurrence nationale et internationale alimentent à la fois étalonnage réciproque et aspiration à la distinction : soucieux de répondre aux nouvelles attentes en termes de contenus et d’adéquation des compétences acquises, de « durabilité » des apprentissages, d’innovation pédagogique ou encore d’insertion professionnelle, les établissements et organismes de formation cherchent dans le même temps à se singulariser selon une logique proche de celle de la marque. Alors que les exigences de qualité sont de prime abord réputées attachées à une formation déterminée, c’est en réalité l’institution dispensatrice qui capitalise sur les assurances qualité venant parachever, en cas de succès, la démarche engagée.
Les outils de la qualité :
du diagnostic à l’évaluation chronique
Leïla Belaribi (référente qualité au sein du service Formation continue et alternance – FOCAL – de l’université Claude-Bernard Lyon-I) a tout particulièrement souligné au cours de sa présentation l’importance en soi de l’impulsion de la démarche qualité, avant de mettre l’accent sur les ressorts de cette dernière sous l’angle plus spécifique des outils et des méthodes à la disposition du « qualiticien ».
L’« amélioration continue » recherchée est largement tributaire du soin apporté à la phase cruciale du diagnostic initial, qui permet de faire le point sur l’organisme à travers la réalisation d’enquêtes, d’évaluations, d’audits et autres parangonnages. Une fois ce diagnostic établi, les actions nécessaires pour remédier aux insuffisances relevées peuvent être mises en œuvre, au moyen d’une variété de méthodes et d’outils ad hoc (PDCA – Plan, Do, Act, Check –, Six Sigma, Lean Management, Kaizen…) susceptibles d’enclencher le cycle vertueux de l’amélioration continue illustré par la roue de Deming.
Selon L. Belaribi, la démarche qualité est avant tout une démarche projet, requérant une planification rigoureuse soutenue par des outils adaptés à chacune des étapes. L’état des lieux initial et l’engagement de la démarche vont poser les jalons d’un système qualité qu’il s’agira par la suite d’entretenir et de perfectionner en ne cessant d’évaluer les évolutions engendrées. En matière de qualité, l’essentiel réside donc dans la décision de s’engager dans la démarche et ses conditions, le choix de l’outil pouvant varier par la suite en fonction de la nature de l’activité, de l’identité et de l’orientation de l’organisme.
Évaluer et améliorer la qualité de la formation
des professionnels des bibliothèques
La fin de la matinée et l’après-midi ont davantage resserré la focale sur les formations à destination des personnels des bibliothèques, de la documentation et de l’IST et sur les modalités des démarches qualité qui peuvent y être appliquées : d’abord dans le cadre d’ateliers parallèles animés par Mathilde Barthe (directrice de Medial), Noëmie Rosemberg (élève conservatrice stagiaire à l’Enssib), Frédéric Desprès (DGS de l’INSA de Lyon) et Pierre-Olivier Garand (université du Québec à Trois-Rivières), suivis de restitutions en séance plénière sur l’évaluation de la qualité de la formation du point de vue de ses différents protagonistes, puis d’une discussion entre Emmanuel Di Pretoro (enseignant-chercheur en sciences de l’information à l’Université libre de Bruxelles) et Stephan Holländer (représentant pour la formation continue de l’association suisse BIS) animée par Nathalie Marcerou-Ramel (directrice des études et des stages à l’Enssib) sur la qualité des formations des professionnels des bibliothèques en Belgique et en Suisse. Enfin, une table ronde conclusive, modérée par Gladys Gonfier (élève conservatrice stagiaire à l’Enssib) rassemblait, outre Nathalie Marcerou-Ramel, Brigitte Renouf (directrice du SCD de Saint-Étienne, membre de la commission « Évolution des métiers et des compétences » de l’ADBU), Coline Renaudin (directrice de Médiad’Oc) et Magalie Weistroffer (directrice adjointe en charge des formations à l’INET) : centrée sur les « outils de la qualité » sans pour autant se focaliser sur des démarches normalisées ou « certifiantes », cette table ronde a permis d’envisager la qualité des formations dans une optique plus pragmatique et quotidienne, à travers des retours d’expériences sur les outils et des dispositifs mis en œuvre.
Ces différents échanges ont souligné l’importance primordiale de la nature des dispositifs de recueil des besoins et des attentes et de leur adaptation au type de formation (initiale, continue, à distance…). Selon qu’il s’agit d’une formation « catalogue » ou commanditée et construite en intra avec l’encadrement, que les apprenant·es sont en formation initiale pré-affectation ou déjà en poste, selon leurs acquis préalables et leurs préférences pédagogiques, l’adéquation du contenu et du format de la formation aux besoins spécifiques de chacun est nécessairement inégale.
L’établissement de relations pérennes avec les directions et encadrements, notamment via ces relais que sont les correspondant·es formation, représente de ce fait un enjeu essentiel pour que les formations dispensées répondent au mieux aux besoins et attentes réels (tels que formalisés, par exemple, dans le volet formation des entretiens individuels annuels) tant des agents que de leurs employeurs et de leurs organisations. De fait, les projets de service ne sauraient aujourd’hui faire l’économie d’un plan de développement des compétences, idéalement construit en concertation étroite avec les organismes de formation. Face à la raréfaction tendancielle des transmissions de plans de formation spécifiques – de plus en plus souvent directement intégrés à ceux des établissements –, les correspondant·es formation ont vocation à mettre les CRFCB en prise directe avec la réalité des établissements afin d’ajuster l’offre de formations et les méthodes employées aux visées du service comme aux besoins individuels, en véritables « responsables du développement des compétences des personnels » (selon la formule de Marie-Madeleine Saby citée par C. Renaudin). Cette forme d’individualisation de l’approche est également le principe du questionnaire préalable désormais adressé à ses stagiaires par Médiad’Oc en concertation avec les formateurs, afin de cerner au mieux les besoins véritables des inscrits et d’éviter d’éventuelles « erreurs de casting ».
La qualité comme co-construction
En ce qui concerne l’évaluation proprement dite, les questionnaires de satisfaction remplis par les stagiaires à l’issue des formations (in situ ou plus tard en ligne), les évaluations « à chaud » (comme lors des clôtures des stages par les CRFCB) et « à froid » restent les modalités les plus courantes d’évaluation de la satisfaction et constitue une approche itérative de l’amélioration continue de l’offre de formations. Ces éléments et leurs conditions de recueil ne permettent cependant pas toujours d’apprécier et d’améliorer la qualité des formations de manière complètement satisfaisante.
L’association de professionnels, par exemple au sein de conseils de perfectionnement (comme à l’UFC, l’Enssib ou l’INET), l’implication des employeurs et la soumission à leur évaluation propre des formations suivies par leurs personnels permettent de diversifier les points de vue sur les formations suivies par les agents et de procéder ainsi à une évaluation élargie en formalisant et en institutionnalisant une véritable co-construction longitudinale de l’offre.
À l’Enssib, la réforme et le projet de masterisation du DCB, et l’objectif plus large d’amélioration de l’offre globale de formations, ont mis à contribution, en particulier pour la phase de diagnostic, les communautés professionnelles, les associations qui les représentent, les élèves et anciens élèves et des conseils de professionnels. Bien qu’internes, les outils mis en place ont eu le mérite d’initier une démarche d’amélioration. Le projet de masterisation du DCB a donné lieu au dépôt d’un référentiel de formation, démarche qui pourrait être renouvelée, par exemple, pour les formations à distance. L’Enssib a par ailleurs signé la charte qualité de l’université de Lyon. L’école est référencée dans Datadock depuis le 1er juillet 2017 pour son offre de formation tout au long de la vie.
La complémentarité et la cumulativité des compétences (a fortiori sanctionnées par une certification comme dans le cas du parcours de formation de formateurs issu de la coopération entre l’ADCRFCB, l’Enssib et, depuis peu, le réseau des Urfist) représentent une autre modalité de renforcement et d’attestation de la qualité : au-delà de la validation en cours du référentiel de compétences et du projet d’inscription au répertoire complémentaire du RNCP, l’appui du dispositif sur les compétences éprouvées et complémentaires de professionnels de la formation, par ailleurs engagés dans la mise en cohérence collective de leurs catalogues sur le modèle de véritables parcours de formation, constitue une autre forme de gage de qualité, qui repose avant tout sur la capacité de collaboration d’acteurs inscrits dans des logiques de réseaux de coopération.
C’est également une approche collaborative, fondée sur le dynamisme des associations professionnelles et les compétences spécifiques en matière de formation de certain·es de ses membres, qu’a évoquée B. Renouf en relatant les suites stéphanoises données au congrès de l’ADBU de Nice (2016), au cours duquel les méthodes d’UX Design appliquées aux bibliothèques avaient été mises à l’honneur. L’appropriation ultérieure de ces méthodes au sein du SCD de Saint-Étienne pour améliorer les assemblées générales des personnels a par la suite elle-même fait l’objet d’un retour d’expérience à l’occasion de la tenue à Saint-Étienne d’un séminaire de la commission « Évolution des métiers et des compétences » de l’ADBU pilotée par Nathalie Clot, consacré aux échanges de pratiques, alimentant ainsi à son tour la dynamique collective de mutualisation des pratiques.
Les contributions belge et suisse ont été l’occasion de constater, malgré les spécificités liées à leurs organisations politiques et territoriales respectives, la prégnance des mêmes problématiques chez nos voisins, qu’il s’agisse du poids non négligeable de l’autoévaluation comme modalité d’intégration et de conformation aux normes et aux attentes nationales et européennes, de l’amélioration continue et de l’assurance qualité, ou encore de l’importance croissante des agences d’évaluation. Comme en France, ces dispositifs, dans leur variété et leur complexité, ne doivent néanmoins pas conduire à négliger la richesse des retours informels directement glanés auprès des apprenants, quand bien même ceux-ci ne peuvent être intégrés qu’à la marge à une évaluation formelle de la qualité et de l’amélioration.