Patrimoine écrit : du plan de conservation au plan d’urgence
Journée ARALD / DRAC Auvergne-Rhône-Alpes – 1er mars 2016 – Archives Départementales du Rhône
La Charte de la Conservation dans les bibliothèques
La matinée a été consacrée à une présentation de la Charte de la Conservation dans les bibliothèques par Noëlle Balley, chef du bureau du Patrimoine au Service du Livre et de la Lecture (Ministère de la Culture et de la Communication).
Cette charte est née des réflexions d’un groupe de travail mené en 2011-2012 par une douzaine de personnes, issues de différents ministères, comprenant des conservateurs de musée, de bibliothèques, d’archives… Elle est conçue comme un document déontologique des professionnels des bibliothèques qui exprime une philosophie de la conservation dans les bibliothèques. Elle se présente donc davantage comme un idéal à atteindre que comme un manuel de recettes ou de bonnes pratiques. Ce sont les villes, les collectivités, les universités, en un mot les tutelles, qui peuvent en être les signataires, afin que cette charte ait un impact plus important.
La charte comprend 150 articles, après un exposé des motifs, quelques articles sont consacrés à des définitions, les autres sont des articles normatifs classés thématiquement. Les rédacteurs ont souhaité insister sur les aspects pour lesquels l’écart entre la réalité et l’idéal est le plus fort.
Plusieurs articles de la charte ont fait l’objet d’un commentaire plus approfondi : l’article 5 qui évoque la notion de patrimoine par décision, ou l’article 7 qui pose la conservation comme un acte de communication. La conservation concerne l’ensemble des collections : seule la notion de document rare et précieux est retenue et non celle de document ancien, pour poser clairement que le patrimoine n’est pas une question de date (pensons au patrimoine numérique par exemple). De la même façon, toutes les équipes d’un établissement doivent pouvoir se sentir concernées par les principes de cette charte et non les seules équipes patrimoniales : la conservation est bien un état d’esprit pour tout un établissement.
Est évoquée dans cette charte également la nécessité pour les bibliothèques de disposer de plans de conservation, de plans d’urgence et de plans de sûreté. Il faudrait aussi mettre en place des récolements réguliers et constituer des dossiers d’œuvre, tels que cela se pratique déjà dans les musées. C’est en formant le personnel, en planifiant et en priorisant ces actions que la conservation pourra être efficace et effective.
Plusieurs questions ont émergé à la suite de l’exposé : pourquoi la charte n’est-elle pas obligatoire ? Est-elle le prélude à la fameuse loi sur les bibliothèques ? La notion de « patrimoine par décision » n’est-elle pas dangereuse (face à un maire qui voudrait par exemple se débarrasser de son fonds XVIIe) ? Cette charte ne fait-elle pas redondance avec la Charte sur les bibliothèques ? Plusieurs doutes ont été émis sur le fait que les municipalités la lisent attentivement avant de la signer : faut-il l’assortir de recommandations concrètes ?
Actuellement une dizaine de villes a signé (dont Rouen, Nice, Bordeaux, Reims, Le Havre…). Les universités sont en revanche très en retard. Aucune bibliothèque française n’est en conformité totale avec la charte mais plusieurs établissements travaillent activement dans ce sens.
Rédiger un plan d’urgence : pour quoi faire ?
L’après-midi a été consacré à une table ronde autour des plans d’urgence, animée également par Noëlle Balley. Etaient présents des représentants d’établissements assez divers : la Bibliothèque municipale de Lyon, la BMC de Chambéry, les archives municipales de Chambéry, la BMC de Moulins, la médiathèque de Vienne, la Bibliothèque Diderot de Lyon et l’association française du Bouclier bleu.
Un petit scénario catastrophe a lancé les débats : une fuite d’eau survient un 15 août à 15h dans votre établissement, avec un directeur en vacances, des collègues presque tous absents etc. Qu’avez-vous prévu pour faire face à une telle éventualité ?
Aucun des établissements présents n’avait la prétention d’avoir un plan d’urgence parfait et testé. En revanche, beaucoup avaient réalisé des procédures d’urgence, ou étaient en cours de rédaction d’un plan d’urgence (Chambéry, Moulins, BmL) ; tous les établissements présents avaient subi des dégâts, notamment liés aux inondations, et avaient su faire face d’une façon ou d’une autre.
Il est ressorti que :
- les catastrophes arrivent toujours aux moments les moins opportuns (l’été, les week-ends…) ;
- la plupart des catastrophes auraient pu être évitées si les professionnels avaient été écoutés plus tôt (moisissures à Vienne, inondation suite à un orage aux archives municipales de Chambéry) ;
- les services sur lesquels on croit pouvoir compter ne répondent pas toujours présents (les services techniques d’une mairie, par exemple, qui ont d’autres priorités, ou certaines sociétés privées) ;
- des solidarités fortes au niveau local (BMC et archives à Chambéry) ou national (conseils téléphoniques, déplacements de cadres…) se révèlent souvent efficaces;
- les petits sinistres ont un fort effet pédagogique.
De l’avis général, il s’avère que la rédaction d’un plan d’urgence est un travail long, toujours améliorable, jamais vraiment achevé. Pour être efficace, il doit embrasser l’ensemble des collections de la bibliothèque et être validé par la direction ; c’est un travail assez administratif et très relationnel (avec les pompiers, avec des entreprises de congélation agro-alimentaire, avec la ville, avec les autres institutions culturelles, etc.), parfois ingrat, mais qui à terme ne peut que porter des fruits.
Sur le plan théorique, beaucoup de documentation existe (site de la BnF, sites suisses, articles en ligne), des stages de qualité sont également proposés, mais il n’y a malheureusement pas de recette ou de plan-type adaptables partout : chaque établissement est unique, dans un environnement institutionnel et administratif particulier ; dans chaque cas, le travail est à faire patiemment : plans des magasins, plans des tuyauteries, emplacement des armoires électriques, collègues à contacter en cas de problèmes, visites avec les pompiers, etc.
La situation d’urgence s’anticipe dans la politique de conservation : en évitant de placer des documents sur des rayonnages trop bas, on évitera par exemple certaines destructions. Comment choisir 10 documents à sauver prioritairement ? Ou même 100 documents ? Il faut envisager plusieurs scenarii car les magasins, la bibliothèque, ne seront pas touchés de la même façon par un incendie, un dégât des eaux, une infestation ou une inondation globale.
De l’aveu général, l’idéal semblerait presque d’être confronté à une « petite catastrophe test » qui permet de mettre à l’épreuve son plan d’urgence et de l’améliorer, mais surtout de sensibiliser les élus et les responsable qui prennent alors conscience que si la gestion du risque a un coût, la gestion des sinistres effectifs en a un autre !