Les enjeux de la médiation numérique dans les institutions culturelles

4e Rencontre « Médiation et numérique dans les équipements culturels » / 4e Semaine digitale – Bordeaux, octobre 2014

Nicolas Beudon

Au cours du mois d’octobre dernier, deux évènements successifs ont posé la question de l’impact du numérique dans les institutions culturelles, en particulier dans le champ de la médiation. Les 6 et 7 octobre, la 4e rencontre « Médiation et numérique dans les équipements culturels » se tenait au Centre Pompidou à Paris. Quelques jours plus tard, le 16 octobre, se déroulait la conférence plénière de la Semaine digitale, une manifestation organisée par la ville de Bordeaux qui en est, elle aussi, à sa 4e édition. À Paris comme à Bordeaux, les tables rondes et les retours d’expérience ont permis de dresser un état des lieux de la médiation numérique dans des domaines aussi variés que la lecture publique, les musées ou le spectacle vivant. Malgré la singularité des cas individuels, force est de constater que les différents professionnels de la culture sont aujourd’hui face à un ensemble de problématiques et d’enjeux étonnamment similaires (d’où l’intérêt de ces rencontres transversales).

Des usagers actifs et productifs

L’une des caractéristiques essentielles de l’ère numérique est la convergence – au sein d’un même terminal – d’outils de consommation, de production et de communication. Chaque internaute est simultanément un consommateur et un producteur en puissance. Les professionnels de la culture ont pris acte de cette mutation et s’efforcent de l’encourager ou d’en tirer parti. La médiathèque du pays de Mauriac dans le Cantal a ainsi mis en place un blog ado qui est conçu comme un bac à sable : les jeunes usagers sont impliqués dans l’ensemble du site, de l’administration à la rédaction.

Pour les institutions qui s’adressent à un jeune public, l’idée d’un usager actif et productif est un enjeu pédagogique. La Petite Bibliothèque Ronde de Clamart s’efforce d’extraire les enfants du simple rôle de consommateurs en encourageant la manipulation et le détournement d’objets technologiques. De nouveaux formats d’animation voient le jour, comme les « coding goûter », des initiations ludiques à la programmation informatique qui s’adressent aux plus jeunes.

L’une des sources d’inspiration de ce type d’activité est l’éducation scientifique et technique, en particulier le travail des pionniers de l’association « La main à la patte ». Autre philosophie revendiquée : celle des Fablabs, ces lieux ouverts où des outils de création et de prototypage (comme des imprimantes 3D) sont mis à disposition du public. En France, il n’existe pas encore de Fablab en bibliothèque mais les Espaces publiques numériques (souvent abrités par des médiathèques) développent de plus en plus d’ateliers dans cet esprit, à côté des traditionnelles initiations au web et à la bureautique (l’ABF s’est d’ailleurs dotée récemment d’une commission Fablab).

Les équipements culturels se rénovent
et deviennent des médias à part entière

Si les usagers sont de plus en plus productifs, les institutions culturelles ne sont pas en reste. Les bibliothécaires ont l’habitude depuis longtemps de confectionner des produits documentaires (comme des bibliographies ou des dossiers). Le numérique accélère cette tendance. À l’occasion de la refonte de son site web, la Bibliothèque publique d’information a développé un véritable magazine en ligne intitulé Balises auquel contribue l’ensemble des bibliothécaires. Balises emprunte les codes du journalisme en ligne et son apparence rappelle celle d’un blog. Le développement de produits éditoriaux ne se limite pas aux bibliothèques : la Comédie de Caen a mis en ligne une encyclopédie des techniques scénographiques baptisée Machina Theatralis. Cette ressource a vocation à grandir et, à terme, à s’ouvrir peut-être aux contributions extérieures sur le modèle de Wikipedia.

La création de plateformes de médiation numérique nécessite souvent un investissement financier important. L’État contribue à ces efforts à travers l’appel à projets innovants du ministère de la Culture ou, sur un plan plus local, via des initiatives comme le programme REAL (Ressources éducatives et artistiques en ligne) de la Drac Basse-Normandie (qui a apporté son soutien à Machina Theatralis). L’avantage de l’État sur les collectivités territoriales (dont les actions sont parfois dispersées) réside dans sa capacité à mutualiser certains chantiers. La Réunion des musées nationaux a ainsi piloté la refonte simultanée d’une vingtaine de sites de musées (comme le musée de Cluny à Paris, le musée national de la Renaissance à Écouen ou le musée Marc Chagall à Nice). Chaque site est conçu sur un canevas identique, tout en ayant son identité propre.

Ces nouveaux sites pensés comme des espaces éditoriaux doivent être alimentés en contenus. Le musée de Cluny, qui ne dispose pas d’effectifs dédiés à cette tâche, a opté pour une solution originale : il a sollicité des étudiants en histoire de l’art qui ont rédigé bénévolement les dossiers de son site web. Bien souvent, ces rédacteurs étaient déjà familiers de l’écriture en ligne (notamment sur Wikipedia).

Intégrer le numérique :un enjeu technique,
organisationnel mais aussi culturel

Le recrutement de contributeurs bénévoles ne doit pas occulter le fait que nous sommes en train d’assister à la naissance de nouveaux métiers qui sont parfois en voie de professionnalisation, comme celui de community manager 1. Trop d’institutions se précipitent encore sur le web et les réseaux sociaux sans réfléchir de façon approfondie aux moyens à mettre en œuvre. L’animation de communautés virtuelles nécessite des compétences, des outils et une véritable stratégie éditoriale. C’est ce qu’illustrent les expériences les plus réussies en la matière (comme le compte Twitter de Gallica, qui est suivi par plus de 23 000 abonnés).

L’apparition de ces nouvelles fonctions est forcément adossée à des problématiques délicates d’évolution des compétences. Pour répondre à cet enjeu, la bibliothèque municipale de Bordeaux a envoyé 120 agents se former à l’écriture sur le web. À la BPI, l’organigramme et les fiches de poste des acquéreurs ont été revus pour intégrer la médiation, la valorisation et la production de contenu au même titre que la constitution et la gestion des collections.

La médiation numérique n’est pas seulement une question technique et organisationnelle. Elle nécessite de maîtriser certains outils mais également d’être familier avec des formes de culture parfois éloignées des standards institutionnels. Comme le souligne Samuel Bausson (webmaster des Champs Libres à Rennes), la culture web est peu hiérarchisée, elle manie volontiers la dérision et elle est éminemment participative. Pour intégrer ces différentes dimensions, on ne peut pas se contenter des parcours de formation habituels. Afin de convaincre les professionnels qui considèrent encore le numérique comme un gadget ou un corps étranger, il y a un véritable travail d’acculturation à mener qui peut s’appuyer sur la communication interne, sur des temps d’échanges informels, ou sur l’émulation au sein de réseaux professionnels comme Muzeonum (pour les musées) ou TmnLab (pour le spectacle vivant), deux associations de « geeks » qui étaient largement représentées à Bordeaux et à Paris.

Ces professionnels de médiation culturelle et de technologies numériques militent pour la transformation de nos pratiques professionnelles. Cette évolution est devenue essentielle aujourd’hui car c’est d’elle que dépend la capacité de nos institutions à être en phase avec la société contemporaine.