Journées d’étude de l’Abes 2025

22 et 23 mai 2025 – Atrium, Montpellier

Mathieu Cordonnier

Les 22 et 23 mai 2025 se sont tenues, dans les locaux de l’Atrium à Montpellier, les premières journées d’étude de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes). Cette nouvelle formule alternera désormais avec les traditionnelles Journées de l’Abes (JABES). L’ambition est notamment de réunir l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) autour de problématiques transversales. Lors de son mot introductif, le directeur de l’Abes, Nicolas Morin, a d’ailleurs tenu à souligner la diversité des profils des participants présents – bibliothèques, laboratoires, services de pilotage de la recherche, directions du numérique, etc.

Pour cette première édition, le sujet retenu était celui des données pour le pilotage de la recherche, avec une approche à la fois technique (outils, solutions logicielles, etc.) et organisationnelle (pilotage, gouvernance des données, évolution des métiers, etc.).

Les premiers temps de ces journées ont permis de poser une distinction claire entre les « données de la recherche » et les « données sur la recherche ». Les données de la recherche sont celles produites par les chercheurs eux-mêmes. On y trouve notamment les jeux de données ou encore les codes sources. Les données sur la recherche englobent, quant à elles, les données de la recherche, mais aussi celles relatives aux acteurs (chercheurs, laboratoires, institutions), aux moyens (financements, outils) et aux effets de la recherche (publications scientifiques, brevets, impacts environnementaux et sociétaux). Ce sont ces données sur la recherche qui, dès lors qu’elles sont normalisées, mutualisées et interconnectées, rendent possible le pilotage des politiques de recherche, tant au niveau des établissements qu’au niveau national.

Piloter sans restreindre : les données au service de la recherche et des chercheurs

En ouverture de ces journées, l’intervention 1

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Mot d’accueil de Nathalie Vienne-Guerrin et Sarah Hatchuel : https://vimeo.com/1088386785

de Nathalie Vienne-Guerrin et Sarah Hatchuel, vice-présidentes du Conseil scientifique de l’Université Montpellier Paul-Valéry, posait la problématique centrale, et les principaux enjeux liés au pilotage de la recherche par les données. Elles ont en effet rappelé que les apports de la recherche et sa richesse échappent bien souvent à l’immédiatement mesurable. Les activités de recherche se prêtent difficilement à une réduction en indicateurs chiffrés ou en tableaux de bord. L’enjeu du pilotage est donc de parvenir à mesurer, accompagner et orienter l’activité de recherche en fonction des objectifs définis par les tutelles, sans pour autant remettre en cause l’autonomie des chercheurs, leur singularité ou la diversité des approches disciplinaires.

Une des clés de réussite des initiatives menées en matière de pilotage réside dans l’engagement collectif de l’ensemble des parties prenantes (tutelles, opérateurs, organismes de recherche, professionnels de la donnée, etc.), dans la définition des objectifs, de la feuille de route et des indicateurs à construire. L’adhésion de ces acteurs repose sur une condition essentielle : que le pilotage soit pensé au service de la recherche et des chercheurs.

Cet objectif a été au cœur de l’intervention d’Isabelle Blanc, administratrice ministérielle des données, des algorithmes et des codes sources au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), qui a souligné que la stratégie nationale de gestion des données visait avant tout à réduire la charge administrative pesant sur les chercheurs et les institutions. Cela se traduit par la mise en œuvre de solutions reposant sur le principe du « Dites-le-nous une fois », qui permet aux chercheurs de ne saisir une information qu’une seule fois, puis de la réutiliser facilement, notamment pour les demandes de financement, les évaluations, ou encore les rapports d’activité. Cet allègement passe aussi par l’accès facilité aux données déjà disponibles dans d’autres systèmes (gestion des ressources humaines, contrats de recherche, etc.).

Structurer, partager et interconnecter : les défis techniques et organisationnels

La plupart des interventions lors de ces journées, notamment celle de Joachim Schöpfel 2

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Intervention de Joachim Schöpfel, Board member d’euroCRIS : Outils et circulation des données en Europe : état des lieux par le consortium euroCRIS : https://vimeo.com/1088405292

, membre du groupe de recherche sur les systèmes d’information de la recherche (ou Current Research Information Systems [CRIS]), ont rappelé un constat largement partagé : les données sur la recherche existent déjà, mais elles sont dispersées entre différents services (ressources humaines, bibliothèques, services financiers, laboratoires, etc.) et se présentent sous différents formats suivant différents standards. L’enjeu majeur dans la conception de ces CRIS est donc d’identifier ces données, enfermées dans des silos, de les rendre accessibles aux autres systèmes, et de créer des connexions entre elles.

Cette volonté de créer des ponts entre les entrepôts de données est un axe majeur de la stratégie ministérielle présentée par Isabelle Blanc. L’adoption d’identifiants uniques et pérennes ou Persistent Identifiers (PID), tels qu’Open Researcher and Contributor ID (ORCID) ou Research Organization Registry (ROR), constitue la première clé de cette interopérabilité. Ces identifiants permettent de relier les données des différents systèmes, et de s’appuyer sur des registres faisant office de référentiels partagés. Lorsque les outils internationaux, comme ROR, ne couvrent pas entièrement les besoins spécifiques d’un pays, il est parfois nécessaire de les compléter par des dispositifs nationaux, à l’image de RNeST (anciennement Registre national des structures de recherche), porté par l’Abes mais conçu pour être interopérable avec ROR.

La constitution de ces registres doit impérativement s’accompagner d’une gouvernance des données, chargée de maintenir à jour les informations, de garantir leur qualité et d’adapter les référentiels aux évolutions des usages. Cette gouvernance doit s’exercer à la fois au niveau des établissements et des opérateurs nationaux. Comme l’a souligné Nicolas Morin en clôture des journées, la réussite de ces projets repose sur l’appropriation collective des identifiants pérennes. Ce mouvement d’appropriation peut être favorisé, selon lui, par la mise en place de mesures incitatives conditionnant, par exemple, l’octroi d’aides ou de subventions à l’adoption et à l’usage de ces identifiants pérennes par les organismes financés.

Les présentations de solutions comme Pure (Elsevier) 3

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Intervention de Jacques Noirbent, Solution Manager, Elsevier : Données de recherche : comment en garantir l’accessibilité, la transparence et l’intégrité ? https://vimeo.com/1090503117

ou Esploro (Clarivate) 4
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Intervention de Bastien Blondin, Researchstrategyadvisor, Clarivate : Automatiser, valoriser et analyser la production scientifique : https://vimeo.com/1090871149

ont montré que les réponses techniques existent. Il est d’ores et déjà possible, grâce à ces identifiants, de relier des données de tous types (brevets, jeux de données), issues de réservoirs multiples (HAL, OpenAlex, Scopus, etc.), aux acteurs de la recherche. C’est l’agrégation de ces données qui rend possible la construction d’indicateurs et de tableaux de bord adaptés aux besoins de chaque établissement.

Des outils multiples mais un objectif commun

La présentation d’initiatives nationales 5

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Intervention d’Arnaud Delivet, responsable commercial, Online Computer Library Center (OCLC) : La gestion de l’information sur la recherche dans un environnement décentralisé : https://vimeo.com/1090120819 et celle de Simon Larger, directeur de l’Agence de mutualisation des universités et des établissements (Amue) : SI Recherche, pilotage et référentiels : le défi des données et des solutions : https://vimeo.com/1090478153

, comme la plateforme research.fi 6 en Finlande ou PT CRIS 7 au Portugal, ainsi que de projets locaux tels qu’IRD Pilog 8
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Intervention de Michel Labadie, directeur du Développement des usages numériques innovants, IRD : Quelle organisation pour des indicateurs de pilotage de la recherche ? https://abes.fr/evenements/journees-d-etude-abes/journees-etude-abes-2025/

, mis en place par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Lillanalytics 9
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Intervention de Madeleine Géroudet, responsable du département Services à la recherche et aux chercheurs, SCD de l’Université de Lille : LillAnalytics : retours d’expérience : https://vimeo.com/1088421549

à l’Université de Lille ou Biblioref 10
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Intervention d’Aurore Cartier, directrice du SCD de l’Université Jean-Moulin Lyon-3, Marie-Émilia Herbet, responsable du département Appui à la recherche et aux projets, Laurence Cauchy, urbaniste : Répondre aux besoins de pilotage de la recherche en SHS : la contribution de BiblioRef : https://vimeo.com/1089622240

à l’Université Lyon-3, a illustré la grande diversité des systèmes d’information existants, tant dans leur périmètre que dans leurs choix techniques et organisationnels. Comme le soulignait Joachim Schöpfel, les solutions mises en œuvre – allant du simple tableur Excel aux outils open source, en passant par des développements internes ou des logiciels propriétaires – reflètent les spécificités de chaque écosystème. Pourtant, cette diversité n’empêche pas une convergence des besoins.

Deux caractéristiques communes émergent en effet de ces initiatives. D’une part, elles mobilisent des types de données similaires (identifiants pérennes, données bibliométriques, données financières, etc.). D’autre part, elles ont toutes pour objectif de faciliter la gestion, la valorisation et le pilotage de la recherche. Les exemples de Lillanalytics et de Biblioref montrent bien l’importance pour les établissements de mieux connaître leur production scientifique pour soutenir les politiques de science ouverte, mieux répondre aux évaluations institutionnelles, comme celles du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), ou encore s’appuyer sur des données fiables dans la prise de décision.

L’enjeu largement partagé est qu’il ne s’agit plus seulement de collecter des informations, mais de concevoir des outils utiles, accessibles et adaptés aux besoins des utilisateurs. Derrière la diversité des approches, une volonté commune se dessine : faire des données sur la recherche un véritable levier stratégique au service du pilotage et de la valorisation des activités scientifiques.

Vers de nouveaux métiers et compétences

Les journées d’étude se sont conclues par une table ronde 11

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Table ronde animée par Julie Mistral, Abes. Avec la participation de Nathalie Marcerou-Ramel, directrice de l’Enssib ; Madeleine Géroudet, SCD de l’Université de Lille ; Noémie Schneersohn, université Paris Dauphine-PSL ; Romain Pierronnet, université de Lorraine : Pilotage des données sur la recherche : compétences, métiers émergents et nouvelles collaborations : https://vimeo.com/1091173717

qui a permis de rappeler que le pilotage des données sur la recherche ne se réduit pas à des questions de systèmes ou de technologies. Il transforme en profondeur les pratiques professionnelles et fait émerger de nouveaux besoins en compétences. Pourtant, certaines fonctions émergentes, comme celle d’intendant des données, peinent encore à trouver leur place dans les référentiels métiers officiels, faute de reconnaissance institutionnelle ou de formations spécifiques. Les échanges ont notamment mis en évidence que le traitement, la structuration et l’exploitation des données exigent désormais des profils hybrides, capables de comprendre à la fois les enjeux de la recherche et les logiques techniques et organisationnelles des systèmes d’information. Travailler sur les données, c’est donc aussi – et surtout – savoir dialoguer entre métiers : bibliothécaires, informaticiens, responsables de la recherche, directions du numérique. Au-delà des compétences individuelles, c’est bien une culture collective de la donnée qu’il s’agit de faire émerger dans les établissements. Cela suppose de partager les informations, de construire des pratiques communes, mais aussi d’accompagner les usages sur le long terme.

La place de l’intelligence artificielle a également été abordée à plusieurs reprises. Si elle promet d’automatiser certaines tâches, elle repose avant tout sur l’existence de données fiables, structurées et bien gouvernées, et nécessite donc un travail en amont dans lequel l’expertise humaine reste indispensable.

Des avancées et des perspectives

Ces premières Journées d’étude de l’Abes ont ainsi permis de dresser un état des lieux lucide, mais aussi porteur d’élan, sur les enjeux liés au pilotage des données de la recherche. S’il est évident que les outils, les référentiels et les systèmes jouent un rôle central, leur efficacité repose avant tout sur une appropriation collective et une gouvernance partagée.

Le principal enseignement est clair : construire des solutions techniques ne suffit pas. Encore faut-il qu’elles soient adoptées, soutenues et intégrées dans les pratiques quotidiennes des chercheurs, des institutions et des services. Le défi est donc aussi organisationnel que technologique : il s’agit de dépasser collectivement la « dette organisationnelle » – c’est-à-dire le poids des habitudes, des silos et des outils existants – pour construire un écosystème de la donnée ouvert, interopérable et durable.

Dans ce paysage encore en construction, la mobilisation des acteurs, qu’ils soient publics ou privés, locaux ou nationaux, est décisive. L’avenir du pilotage des données passe par un engagement coordonné, une vision stratégique claire et la capacité à transformer rapidement les idées en usages concrets.