Journée Bibliopat 2014
À prendre ou à laisser ? L’enrichissement des collections patrimoniales par des acquisitions non onéreuses : don, legs, dépôt, collecte, échange… La Courneuve, Centre des archives du ministère des Affaires étrangères – 20-21 novembre 2014
Depuis 2007, l’association Bibliopat (créée en 2006), organise chaque année des journées d’étude. La particularité de ces journées réside dans le fait qu’une place importante est laissée à la parole de la salle. Un temps passé au second plan, cette préoccupation a repris la première place, comme le montre bien le programme des journées 2014, consacrées aux dons, et plus largement à toutes les acquisitions non onéreuses. Après une introduction proposée par Dominique Morelon sur les particularités du don du point de vue des anthropologues et des sociologues, trois tables rondes ont permis aux intervenants de présenter leurs expériences, avant que la parole ne soit laissée à la salle pour des questions, toujours nombreuses. Selon les tables rondes, la première qui posait la problématique en abordant le rôle des dons dans la gestion des fonds, la deuxième qui proposait quelques études de cas et la troisième sur les méthodes (avec notamment les questions juridiques), la parole était plus au moins structurée, les questions plus ou moins orientées en de grandes thématiques.
Soulignons que l’association Bibliopat incite chaque année de manière plus insistante les participants des journées à adhérer. En début de séance, la place accordée cette année à la présentation du site, qui a été créé en 2012, mais qui s’est vraiment développé en 2014, et dont la plupart des ressources sont réservées aux adhérents, montre bien la volonté des membres du conseil d’administration de ne plus faire reposer les frais des journées d’étude, financées presque uniquement par les adhésions (et supportés aussi bien sûr, en particulier cette année, par les établissements qui les accueillent), sur une poignée de personnes, environ 80 en 2014, alors que les deux tiers des inscrits de ces journées ne sont pas des adhérents.
Mais revenons au programme lui-même. Le thème du don a été retenu car il avait été proposé par des collègues présents aux journées de 2013. Choix pertinent s’il en est, tant on sait à quel point il (pré)occupe les personnels des bibliothèques comme des archives. Il a en effet joué un rôle important dans la constitution de certaines collections, en particulier à Roubaix comme l’a noté Esther de Climmer, et, comme le soulignait Guillaume Fau, il reprend la première place en ces temps de disette budgétaire… Il est également au cœur des deux campagnes de « Grande Collecte » des souvenirs de 14-18, évoquées par plusieurs intervenants, qui avaient la spécificité, relativement rare en bibliothèque, même si l’exemple de Roubaix est à ce titre édifiant, de collecter des copies numériques, sans obligation de dépôt des originaux. Certes, toute situation est particulière et de nombreux intervenants ont insisté sur la nécessité qu’il y avait d’être à l’écoute des histoires et des affects des donateurs, mais les expériences, dans ce domaine, sont bonnes à partager. On se souvient peut-être de la journée juridique sur les dons et legs dans les bibliothèques publiques organisée par l’Enssib et le Centre de conservation du livre en 2007 ; la journée Bibliopat de 2014 ne fait pas double emploi avec celle de 2007, déjà ancienne : l’approche est différente, probablement plus pratique, moins théorique, comme aime le faire Bibliopat.
Le jeudi matin, une visite permettait de découvrir le Centre des archives diplomatiques (salle de lecture, salle de références, magasins des archives et de la bibliothèque) et une partie de leurs collections, comme le seul exemplaire conservé d’un chiffre diplomatique.
En début d’après-midi, Dominique Morelon a présenté une histoire du don dans l’anthropologie et la sociologie, tout en faisant des rapprochements avec l’expérience des bibliothécaires. Elle a proposé une esquisse historique qui est partie bien sûr de Marcel Mauss, lui-même ayant analysé les travaux de deux de ses prédécesseurs, et a été conclue par une vidéo d’Alain Caillé, qui a synthétisé de manière magistrale une vie de recherche. Les travaux de Mauss font du don un fait social et total ; ils jouent parallèlement un rôle important dans la fondation de la sociologie moderne. Mauss met également en avant le triptyque « donner – recevoir – rendre ». Après lui, les penseurs ont accordé plus ou moins de place à la notion d’intérêt dans l’analyse du don ; ils ont de ce fait proposé une vision plus ou moins positive des comportements humains. Alain Caillé, quant à lui, ne nie pas que l’intérêt joue un rôle important dans le don – on le voit d’ailleurs, dit Dominique Morelon, dans les attentes, voire les motivations, de certains donateurs –, mais il estime qu’il n’est pas toujours premier.
La première table ronde, animée par Isabelle Aristide-Hastir, responsable du département des Archives privées aux Archives nationales, a d’abord donné la parole à Christine de Joux, conservateur honoraire aux Archives de France, ancienne chargée de mission pour les Archives privées, qui a insisté sur l’importance du discernement et de la psychologie. Elle a rappelé qu’il ne faut pas accepter des dons dont les charges sont trop lourdes ou contraires aux missions de l’établissement et qu’il est nécessaire d’estimer la capacité du service à assurer la conservation ; il est également indispensable de mesurer l’intérêt du fonds. Marc-Edouard Gautier, conservateur responsable du patrimoine à la bibliothèque municipale d’Angers, a souligné que les dons avaient des conséquences importantes sur la politique documentaire. Puis une intervention à deux voix par les chargées de missions Patrimoine Interbibly (Émilie Chevalme) et Midi-Pyrénées (Élodie Mitaine) a montré que la plupart des dons étaient faits dans les grandes bibliothèques. Lors du temps de questions, il était prévu d’aborder quatre grandes thématiques : l’évolution des dons, la géographie, la stratégie (acceptation ou refus) et les relations avec les propriétaires. Seules les deux premières thématiques ont malheureusement été abordées à ce moment-là ; fort heureusement, les deux autres ont finalement été traitées dans d’autres tables rondes. Les questions ont par ailleurs permis de souligner que la difficulté vient souvent de la présence d’intermédiaires, qui veulent jouer un rôle actif ; elles ont également montré que l’analyse des évolutions des dons n’était pas facile à mener : il faut distinguer au préalable les types de bibliothèques et les types de documents.
Le vendredi, la deuxième table ronde, animée par Élisabeth Maisonnier, conservateur au Cabinet des arts graphiques du château de Versailles, commença par une intervention de Françoise Aujogue, conservateur du patrimoine au Centre des archives du ministère des Affaires étrangères, qui souligna l’ambiguïté du terme « remettre », important dans la procédure de don. Elle incita aussi à envisager ce qui se passe après la mort du donateur, quand celui-ci fait un don de son vivant et garde un lien avec le centre d’archives ou la bibliothèque ; elle rappela également qu’il fallait se mettre à la place du donateur, qui donnait souvent dans un contexte émotionnel compliqué : il est donc nécessaire de le rassurer, de le réconforter et d’établir une relation de confiance avec lui. Daniel Peter, directeur des archives municipales de Nancy, a évoqué le rôle important que joue le fonds de l’Académie Goncourt dans ses archives et a insisté sur l’importance de l’accueil. Esther de Climmer, qui dirige la BMC de Roubaix, a souligné que les dons occupent une place importante dans la constitution des collections de sa bibliothèque. Frédérique Joannic-Seta, conservateur à la BDIC, a quant à elle souligné le fait que chaque agent de la BDIC est censé être collecteur. Elle a également précisé que, lors de la campagne 2013 de la Grande Collecte, il avait été compliqué de refuser des dons. Elle a rappelé que le don n’est pas toujours une source d’acquisition gratuite ; quand il s’agit de sources numériques, le coût du stockage est important. Il faut par ailleurs vérifier que le donateur est bien l’auteur de ce qu’il apporte, en particulier pour les dossiers de thèses. Frédérique Joannic-Seta a également montré que le métier d’acquéreur change car de plus en plus de presse militante et de littérature grise se trouvent sur internet.
Le temps des questions donna aux intervenants l’occasion de rappeler qu’un don pouvait être refusé quand on savait qu’il faudrait beaucoup l’expurger des données personnelles récentes ou que les délais légaux avant consultation seraient longs. Il permit également d’aborder les problèmes de coûts (matériel de conservation, mais aussi temps de travail) et les difficultés liées aux œuvres sous droits.
La dernière table ronde, consacrée aux enjeux et animée par Guillaume Fau, conservateur au département des Manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, a donné la parole à Anca Iliutu, juriste au Service juridique du musée du Louvre, pour une approche juridique claire et structurée, à Marie-Lise Tsagouria, directrice de la Bulac, qui a évoqué la charte des dons de la Bulac, pour laquelle les dons sont presque une « trop grande richesse », et à Jean-Claude Martin, directeur adjoint des archives départementales de l’Orne, qui a insisté sur la nécessité d’un échange d’informations au moment du don. La table ronde a été suivie par des questions, qui sont devenues, comme l’a souligné une personne de la salle, une séance de conseil juridique sur les différents problèmes rencontrés par les collègues présents. Était-ce vraiment l’objectif ? On peut se le demander…
Avant de terminer, revenons sur quelques remarques importantes faites pendant ces journées et revenues de manière récurrente : l’importance à accorder à la personne qui donne et à son attachement possible aux documents, la nécessité d’adopter une attitude positive pour susciter le don, la complexité juridique et, enfin, l’absolue nécessité de vérifier que le donateur est le propriétaire.
Quelques petites critiques… Nous aurions aimé que la question du numérique, rapidement survolée, soit davantage traitée, avec les problèmes qu’elle pose en termes d’espace de stockage. Nous regrettons également que certaines interventions des tables rondes aient été un peu longues, notamment lors de la première, ce qui a empêché le modérateur de faire le tour de toutes les questions prévues.
Soulignons pour finir que les actes de ces journées, plus exactement tous les documents (diaporamas, résumés, autres) que les intervenants auront bien voulu confier aux membres du conseil d’administration de Bibliopat, seront mis en ligne sur le site, mais seront réservés aux adhérents. Une raison de plus de rejoindre l’association et de lui être fidèle !