Hétérogène, ça vous gêne ?
Mâcon, 17 janvier 2019
La journée d’étude « Hétérogène, ça vous gêne ? Bibliothèques intercommunales, municipales, associatives, comment travailler ensemble ? », qui a eu lieu à Mâcon le 17 janvier 2019, était organisée par la commission Bibliothèques en réseau de l’Association des bibliothécaires de France (ABF). Elle a été plébiscitée par 99 professionnel.le.s issu.e.s de bibliothèques (inter)communales et départementales de la France entière, et a bénéficié de la présence d’Olivier Caudron, inspecteur général des bibliothèques.
Territoires et réseaux
Après un propos introductif de Loriane Demangeon (Bibliothèque intercommunale, Épinal et présidente du groupe Lorraine de l’ABF) puis politique d’Hervé Reynaud 1, Claire Gaudois (bibliothèque départementale du Val d’Oise – BD95) a présenté un état des lieux de la réforme territoriale élaboré avec Dominique Lahary (retraité de la BD95, entre autres). Elle a commencé par planter le décor : les territoires, ce sont d’abord des gens qui habitent, travaillent, étudient, achètent, se distraient, se cultivent, ont une vie sociale. On raisonne donc en bassins de vie, ce qui implique un maillage territorial des services. Un bref résumé des différents actes de la réforme territoriale a abouti au constat suivant : les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont diminué de moitié en deux ans (1 263 au 1er janvier 2018 contre 2 062 au 1er janvier 2016). Elle a également rappelé que la compétence « lecture publique » n’existe pas. Il s’agit de la compétence « équipement », qui est optionnelle ou obligatoire selon la taille de l’EPCI. Les bibliothèques font partie des équipements qui peuvent être définis comme d’intérêt communautaire dans le champ culturel. Mais même lorsqu’il s’agit d’une compétence obligatoire, son application dépend de la définition de l’intérêt communautaire, librement déterminée par les élu.e.s... Cependant, la prise de compétence peut être complète ou partielle, de la même façon que la typologie du réseau peut varier (réseau intégré de bibliothèques intercommunales, réseau de bibliothèques municipales, accord entre communes volontaires…). Du « réseau sans transfert » au « transfert sans réseau », (presque) tout est possible !
Les fusions d’EPCI ont créé des situations complexes où des cultures et des modèles différents de réseaux doivent trouver ensemble une façon commune de réinventer leurs services aux publics 2. En l’absence de modèle, voici quelques conseils 3 donnés pour « survivre à la fusion » : mener une réflexion sur les relations entre le centre et la périphérie, ainsi que sur l’équilibre des rapports entre les bibliothécaires salarié.e.s et bénévoles.
Les freins à la mise en réseau sont : les habitudes (« chacun chez soi »), la possessivité (« mes lecteurs », « ma collection »), le complexe petit/gros (le petit : « on va se faire bouffer », le gros : « c’est moi qui sait faire ») mais aussi l’absence de portage politique. Par ailleurs, les opportunités se déclinent ainsi : construire et adapter l’offre à la population, travailler en concertation avec les partenaires en s’appuyant sur les missions et compétences de chacun, évaluer et faire évoluer l’offre, mais aussi partager, échanger, communiquer, visiter…
Quelle place pour les bénévoles ?
Afin de réveiller la salle et permettre les échanges, Claire Gaudois a ensuite animé un débat mouvant sur les enjeux et le positionnement des bénévoles et des salariés dans les réseaux de lecture publique. Les phrases proposées, clivantes et/ou polémiques, ont permis d’amorcer de façon ludique et informelle une discussion de groupe sur les représentations de chacun.e à propos des bénévoles, de leurs motivations et de leur place. Si l’exercice rend la discussion facile, il rend aussi visible le fait qu’il est difficile de convaincre. Faut-il en tirer des leçons sur l’advocacy dans le domaine des bibliothèques ?
Françoise Minetti (formatrice-consultante en lecture publique, ex-bénévole en bibliothèque) a proposé un point de clarification sur le bénévolat. Du latin benevolus (bonne volonté), le bénévolat est ainsi défini par le Conseil économique, social et environnemental : « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial. » Le bénévolat représente en France 1,4 millions d’emplois équivalent temps plein (ETP), dont 18 000 en bibliothèque (répartis sur 81 000 bénévoles). De fait, 43 % de la population française de plus de 18 ans a une participation bénévole, dont 35 % en tant que membre d’association 4. Et 46 % des participations bénévoles sont concentrées dans les domaines du sport, de la culture et des loisirs.
Cependant, dans 52 % des cas, cette participation reste occasionnelle ; ce qui questionne le bénévolat en bibliothèque. En effet, la.le bénévole-type en bibliothèque est « une bénévole, retraitée ou agée d’une cinquantaine d’années, ayant fait des études secondaires, venue à la bibliothèque par amour des livres, et envie de le transmettre, par désir de lien social, lui consacrant un maximum de 5 heures par semaine, intéressée par une formation plutôt courte et thématique 5 ».
Aujourd’hui, le bénévolat est, de plus en plus souvent, ponctuel (« à la carte ») basé sur des compétences cibles.
Cela s’explique par des mutations sociales dont notamment l’évolution des technologies et de l’offre qui en découle (numérique), mais aussi par l’évolution du rapport au temps (sentiment d’urgence quasi permanent). La population, bénéficiant de moins de temps libre, s’investit plus de manière ponctuelle. L’émergence d’un bénévolat à la carte se traduit dans les équipes par un noyau de bénévoles impliqué.e.s dans la gestion du quotidien, épaulé.e.s par des bénévoles ponctuel.le.s en charge d’activités ciblées. Dans ce cas, le recrutement se fait autour du projet de service en fonction de compétences manquantes ou à renforcer au sein de l’équipe. L’avantage en est un renouvellement des profils (plus jeune, pas nécessairement lecteur, plus masculin) ; ce qui apporte plus de diversité et moins d’entre soi.
Retours d’expériences
Lors de l’après-midi, les participant.e.s pouvaient choisir d’assister à un atelier ou de rejoindre directement le salon des solutions et expériences. L’atelier était proposé par Françoise Minetti et avait pour objectif de réfléchir à la façon de travailler ensemble entre salarié.e.s et bénévoles, de s’organiser pour mieux collaborer. Répartis en trois groupes, les participant.e.s ont travaillé sur la « fabrique du consentement », les outils du quotidien et la mutualisation des compétences.
La « fabrique du consentement » consiste à rechercher l’adhésion des différents acteurs en amont de la mise en réseau. L’idée phare du groupe semble avoir été un « world tour » des bibliothèques avec « bonnes bouffes », visites pour les professionnel.le.s et les élu.e.s, et des rencontres afin de se connaître, partager une culture commune et des objectifs communs, et d’élaborer un diagnostic du territoire et des bibliothèques en co-construction.
Les outils du quotidien recensés pour faciliter le travail en équipes ou les réseaux mixtes sont assez classiques mais sans doute encore sous-utilisés. Ils concernent essentiellement la communication et la logistique : agenda partagé, mail et partage de documents en ligne, répertoire, organigramme et trombinoscope, newsletter et/ou blog, SIGB commun et navette, casiers, etc. Il est nécessaire d’identifier, pour chaque tâche, un référent de proximité et/ou dans la « super-structure ».
La mutualisation des compétences consiste soit à mettre en œuvre des processus de formation et de transmission des savoirs afin de faire monter en compétences les bibliothécaires salarié.e.s et bénévoles, soit à faire effectuer certaines tâches pour l’ensemble du réseau par celles.ceux qui les maitrisent le mieux. Pour cela, il faut identifier et recenser les compétences présentes sur le réseau, mais aussi les besoins et les manques. Les principaux freins seront le déplacement des personnes et la limite imposée par des fiches de poste non révisées.
Le salon des solutions et expériences consistait en six stands animés par différents réseaux de bibliothèques autour de leurs expériences. La communauté de communes Sud Vendée Littoral (Vendée) est un réseau important et très composite, en structuration suite à la fusion de quatre EPCI, avec une tête de réseau, des petites bibliothèques et des points lecture. Des problématiques importantes relèvent du fait que les locaux des bibliothèques intercommunales restent municipaux.
La communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs (Nièvre) est un réseau composite issu de la fusion de trois EPCI, sur un territoire très étendu, constitué par de nombreux établissements mixtes (agence postale-cinéma-bibliothèque par exemple). Une étude temporelle y est en cours.
L’agglomération Golfe du Morbihan-Vannes (Morbihan) est un réseau en construction avec un projet politique de démarche collaborative pour un réseau coordonné avec une offre de services complète à terme, organisé en bassins de vie.
La Commune nouvelle de Mauges-sur-Loire (Maine-et-Loire) est un réseau ancien devenu homogène depuis la création de la nouvelle commune fin 2015, qui a été initié par le biais de l’action culturelle.
L’établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir (Seine-et-Marne et Val-de-Marne) est un réseau important de la métropole parisienne issu de fusions de réseaux dont certains en zones plus rurales avec des bénévoles : le choc des cultures y est typique de cette configuration.
La communauté de commune du Grand Autunois Morvan (Saône-et-Loire) est un réseau de 16 bibliothèques (13 salarié.e.s et 70 bénévoles) pour 36 communes. 14 des 16 bibliothèques ne pourraient fonctionner sans l’implication de ses bénévoles.
N’oublions pas les personnels « mixtes »
Cette journée, plus tournée vers les rapports entre salarié.e.s et bénévoles sur fond de réseaux que vers les problématiques propres aux réseaux de bibliothèques, a été passionnante et enrichissante ! La pertinence d’évoquer les problématiques liées à la relation et aux difficultés d’organisation entre bénévoles et salarié.e.s ne fait pas débat. Cependant, il aurait été intéressant d’y ajouter une dimension supplémentaire en incluant dans la discussion les personnels « mixtes » en charge de bibliothèques.
De fait, de plus en plus de bibliothèques en zones (hyper)rurales sont ouvertes par le personnel de la mairie et/ou de l’agence postale, parfois jusqu’à 20 ou 30 heures par semaine. Il s’agit très souvent d’une simple présence cumulée avec d’autres tâches (secrétariat de mairie et/ou guichet de l’agence postale) mais qui comprend a minima les opérations bibliothéconomiques de base telles que la gestion de l’emprunt de documents et les relations avec la bibliothèque départementale. Méconnus, ces personnels sont rarement perçus comme faisant partie de la bibliothèque, tant par l’administration que par les publics. Si leur investissement dans la bibliothèque varie, l’absence de formation est une constante ; la nécessité des permanences municipales et postales leur ôtant quasiment toute possibilité de formation. Pour autant, ces personnels permettent bien souvent l’existence de ces toutes petites bibliothèques, point d’ancrage essentiel pour un maillage complet du territoire. Le service est certes souvent minime, mais son amélioration passera nécessairement par la prise en compte, et la formation de ces personnels « mixtes ». En étant pleinement intégrés dans les réseaux de bibliothèques ils gagneront en reconnaissance professionnelle, et les bibliothèques en proximité et en visibilité auprès des habitant.e.s ainsi qu’en amplitude horaire et en ouverture sur le monde.
La captation vidéo, les diaporamas de la journée et la synthèse du débat mouvant sont disponibles sur le blog de la commission Bibliothèques en réseau.