Extension des services versus tension du cadre de fonctionnement

Quelle logique pour l’accueil en Lecture Publique ? – Journée d'étude ABF PACA – 26/11/2015

Julien Barlier

Alors qu'elles s'emploient depuis les années 2000 à repositionner leur offre pour s'adapter à l'évolution des pratiques culturelles et à la dématérialisation du siècle, les bibliothèques publiques sont aujourd'hui, on le sait, confrontées à un problème supplémentaire : la raréfaction des financements.

Il fallait faire mieux ; il faut dorénavant faire mieux avec moins.

Dans le sillage du dernier congrès de l'ABF (« Inventer pour surmonter ») et à l'initiative du groupe PACA de l'ABF, des bibliothécaires se sont rencontrés le 26 novembre 2015 à la médiathèque des Quatre-chemins, à La Trinité près de Nice. Sur cette idée : faire le point, lancer des pistes et partager sur les stratégies imaginées par les uns et les autres pour améliorer l'accueil de nos services de lecture publique en dépit de la crise. Plus précisément, la journée s'intitulait « Extension des services versus tension du cadre de fonctionnement : en 2015, quelle logique pour l'accueil en lecture publique ? »

Comme une manière de refouler d'emblée la tentation du quant-à-soi ou de la sinistrose, la journée a démarré sur un mot plein de promesses: la qualité. En donnant la parole à une intervante qui n'appartient pas au milieu des bibliothécaires : Mme Halimah Pujol, responsable développement du secteur public à l'AFNOR.

La qualité de l'accueil, eux et nous

La mission de l'AFNOR (Association française de normalisation) est d'élaborer des normes visant aux bonnes pratiques dans les secteurs d'activité qu'ils soient privés ou publics. Une sorte de « maison de la qualité » dont le travail de normalisation est bâti sur un mode collaboratif et volontaire avec les différents corps de métier. Aussi, lorsqu'on aborde la notion de «qualité d'accueil » en bibliothèque, il s'agit d'abord de la saisir dans les spécificités qui la définissent, en plaçant au centre cet individu particulier qu'est l'usager d'une bibliothèque et l'usager non pas tel qu'on se le représente mais tel que lui-même se présente, dans ses attentes, ses postures, ses besoins. Halimah Pujol fournit quelques pistes de réflexion aux bibliothèques qui souhaitent s'inscrire dans une démarche de qualité :

• la qualité n'est pas un aboutissement mais une démarche, autrement dit une façon de se positionner, un habitus, voire une hygiène éthique, qui vont porter une positivité profitable à l'usager comme aux agents et à l'organisation générale de la bibliothèque, laquelle bénéficie toujours du process d'évaluation sous-tendu par la démarche qualité.

• la qualité, c'est faire des choix. Dans un environnement financier et humain souvent contraint, la bibliothèque ne peut pas assumer une démarche de qualité totale. Il sera plus tenable, et plus efficient, de prioriser son accueil. Une piste est d'identifier, pour sa bibliothèque, les « valeurs basiques », attendues par le public (ex : trouver immédiatement l'adresse de la bibliothèque sur la homepage du portail web) et qui peuvent générer un fort déplaisir si elles sont malmenées, et les « valeurs bonifiées » (valeurs « waouh » : se voir offrir un sac de transport lors de son inscription par exemple) qui créent un effet inattendu de plaisir chez le lecteur, mais dont l'absence ne jouera cependant pas sur son insatisfaction. Chercher un équilibre entre ces deux types de valeurs enclenche déjà une démarche qualité.

• l'accueil est toujours polymorphe. Quel qu'il soit, l'usager de bibliothèque pratique toujours différentes dimensions de l'accueil. Pour construire avec la même exigence une qualité qui touche toutes nos modalités d'accueil (ex : la réactivité dans les échanges mail, au téléphone, en vis-à-vis...), il est pertinent de concevoir l'accueil dans une notion de parcours de l'usager. En effet, du seul fait du jeu de la fidélisation au service, l'usager de bibliothèque n'aura pas les mêmes attente à sa première inscription que dans sa fréquentation ultérieure, portée à des usages de prédilection (consultation de l'Internet, expertise littéraire ou musicale, accueil lors d'une animation...)

• la qualité, ce n'est ni l'offre ni la demande, mais un système dynamique où des éléments factuels, mais aussi ressentis, sont mobilisés dans chacune de ces deux sphères. L'analyse des écarts entre le service que ressent/attend l'usager et celui que produit/brigue la bibliothèque, marque en soi l'inscription dans une démarche qualité. Halimah Pujol nous présente le « carré de la qualité », un schéma qui traduit astucieusement cette nature duale et non finie de la démarche :

Illustration
La carré de la qualité

• le choix du dispositif : si la démarche qualité n'a pas obligatoirement à s'assortir d'une normalisation, cette dernière sécurise toujours les engagements pris par la bibliothèque envers son public. Différents référentiels existent : Marianne, ISO 9001, Qualiville, Qualibib... Le dispositif embrassé par la bibliothèque dépendra de l'affichage que la tutelle souhaite promouvoir, mais aussi de l'insertion éventuelle dans une démarche étendue aux autres services de la collectivité. Ainsi, un référentiel générique Marianne sera plutôt appelé à englober un ensemble de services publics avec une « customisation » pour la bibliothèque, tandis qu'un référentiel axé métier comme Qualibib offrira un affichage plus restreint mais permettra aux réseaux de lecture volontaires de travailler sur un outil bien balisé.

A la médiathèque communautaire André Malraux de Béziers, le choix s'est porté sur une labellisation Marianne. A partir d'un intéressant diaporama, Marie-Hélène Marigny, la bibliothécaire biterroise chargée du projet, nous détaille la méthodologie mise en place avec l'AFNOR. Traits saillants de ce retour d'expérience :

• Un engagement dans le temps. Si le label Marianne est délivré pour 3 ans, la mise en place est relativement longue et il faut s'assurer de ressources internes suffisantes pour pouvoir la mener au bout. A Béziers, on a compté 10 mois entre la première rencontre avec l'AFNOR et l'audit de certification, mais c'est ensuite 3 ans d'engagement au quotidien pour passer d'abord l'audit AFNOR de 18 mois, puis l'audit de reconduction 18 mois encore plus tard.

• L'implication humaine de l'équipe de la bibliothèque et l'entente sur les valeurs et les pratiques induites sont cruciales. A l'instar de la médiathèque de Béziers en 2008, l'ouverture d'un nouvel équipement constitue un scénario idéal pour entamer une démarche de normalisation. A tout le moins, Marie-Hélène Marigny le souligne : « adopter une démarche qualité, c'est forcément créer du changement » et, de facto, une gestion des tensions est à prévoir.

• Pour réussir dans son entreprise, la bibliothèque a tout intérêt à considérer non pas sa seule organisation, mais aussi ses périphéries : fournisseurs, prestataires, intervenants conventionnés, ainsi que les services support de la collectivité (informatique, technique, espaces verts, entretien...). En effet, la qualité attendue par l'usager de la bibliothèque ne repose jamais sur les seules prérogatives et compétences de la corporation des bibliothécaires. Elle engage aussi tous les acteurs autour d'eux (propreté des toilettes, résolution des pannes informatiques, réactivité dans les acquisitions de nouveautés...).

• La démarche devient vertueuse quand elle incorpore la notion de « référentiel ascendant », car les bonnes pratiques ne sauraient résulter d'une réflexion uniquement descendante des commanditaires ou de la bibliothèque. Il y a tout intérêt, dès le début, à proposer aux usagers de participer à l'élaboration du référentiel, selon des instances à adapter à l'établissement. Il est enfin important que l'axe qui structure les acteurs impliqués dans la démarche (usagers—professionnels—directions—élus) soit parcouru avec la même sincérité dans les deux sens.

• Mieux vaut, enfin, avoir une réflexion prospective sur les coûts qui seront occasionnés par la démarche. Cela ne concerne pas tant le coût direct de la certification (autour de 4000€), que toutes les dépenses indirectes, humaines et matérielles, qui seront nécessaires pour assumer les objectifs retenus. Par exemple, si la qualité de l'accueil téléphonique est ambitionnée, il faudra peut-être envisager l'ouverture de nouvelles lignes, le renouvellement des postes de standard, une gestion numérique des répondeurs...

A la suite de ces deux interventions, et pour replacer la notion d'exigence qualitative dans le contexte de crise économique qui touche les bibliothèques locales, une table ronde est proposée. Face à la salle, Virginie Lapprand, Mireille Ravier et Olivier Ploux, respectivement directeurs des médiathèques de Mandeure, du Beauvaisis et de La Trinité. Après que chacun ait présenté le fonctionnement et les problématiques de ses établissements, l'échange s'engage sur les idées que les bibliothèques peuvent mobiliser afin d'améliorer leur accueil malgré les élagages budgétaires.

Quelles que soient sa dimension ou ses contingences, avec un arc-boutant institutionnel ou non, toute bibliothèque peut se lancer dans une démarche qualité. A la médiathèque de la commune rurale de Mandeure dans le Doubs, Virginie Lapprand nous parle d'une démarche « freestyle », dans laquelle on a mis l'accent sur l'hospitalité mais aussi sur la rencontre et la collaboration avec les habitants. En imbriquant de manière structurante une politique d'animation élaborée dans une forme de mutualité qui, par le jeu des partenariats, a aussi l'avantage d'être moins coûteuse.

Un autre élément, peu onéreux en soi, pointe en filigrane : améliorer l'accueil, ne serait-ce pas avant tout, promouvoir une facilitation des usages pour les habitants ? Ne plus demander de justificatifs à l'inscription comme à La Trinité, permettre aux visiteurs de manger sur place comme à Mandeure ? Ces aménagements ne convoquent pas d'investissement financier et peuvent générer une plus-value notable dans le sentiment d'accueil.

A Beauvais, après un important programme de rénovation mené sur le réseau et la médiathèque centrale, le tassement budgétaire s'est invité. Pour que la dynamique insufflée ne se tarisse pas, Olivier Ploux pose la question de l'optimisation des moyens, voire de la réinterrogation raisonnée des activités ordinaires des bibliothèques. Les accueils de groupes scolaires monopolisent un temps important dans les équipes. N'est-ce pas le moment d'analyser leur efficience ? A La Trinité, où l'on mène une politique d'accueil généreuse mais aussi coûteuse (40 heures d'ouverture par semaine avec une demi-douzaine d'agents), Mireille Ravier abonde. L'encadrement des animations a-til toujours besoin d'être mené par autant de bibliothécaires ? Les visites en librairie sont-elles toujours supportables quand le temps manque ? Une centralisation des achats sur le gros des acquistions ne peut-elle pas soulager un réseau, tout comme des complémentarités claires et assumées dans la distribution documentaire entre les différents équipements ?

A côté de la rationalisation des ressources, l'externalisation de certaines activités peut également être considérée : un bénévolat bien encadré peut, par exemple, contribuer à une augmentation qualitative de l'accueil d'une bibliothèque sur ses actions connexes (soutien scolaire, ateliers créatifs, services transportés...).

En tout état de cause, et sans chercher plus avant l'exhaustivité dans les options qui se présentent aux bibliothèques, il ressort qu'aucune d'entre elles ne disposera jamais de recette, sinon celle qu'elle invente pour elle-même. Chaque bibliothèque, chaque territoire, porte son propre fonctionnement, sa propre identité, son propre liant collectif. Voici donc le fin mot de cette journée qui, décidément, fut plus riche de ses questions que de ses réponses : l'obligation d'être imaginatif et de jouer collectif, en expérimentant dans des biotopes certes plus contraints qu'avant (mais plus dynamiques aussi), ces nouvelles façons de faire vivre la bibliothèque dans l'utilité sociale et la joie culturelle qui continuent de la fonder.