Être bibliothécaire jeunesse aujourd'hui

Journée ABF Nord-Pas-de-Calais – Coulogne, Médiathèque l’Octogone – 07 décembre 2015

Valérie Barbage

Ce fut une belle façon de clôturer l’année 2015 que d’assister à la journée d’étude proposée par le groupe régional ABF Nord-Pas-de-Calais, dans une toute nouvelle médiathèque, chaleureuse, accueillante et moderne, située dans un écrin de verdure ! Retour sur le 1er épisode et rendez-vous pour la 2nde en mars 2016.

Etre bibliothécaire jeunesse aujourd’hui ? Un exercice passionnant auquel se sont prêtés des intervenants passionnés par leur métier !

En préambule, une intervention de Mina Bouland (responsable de la commission nationale Jeunesse ABF), a remis le métier de bibliothécaire dans son contexte historique et explicité le chemin entre la bibliothèque scolaire et la bibliothèque populaire : un long cheminement depuis 1862 !
Modèle dominant pendant de nombreuses années, la bibliothèque scolaire était la porte d’entrée à l’univers du livre. Le véritable tournant intervient en 1924, le 12 novembre plus précisément (quel symbole au lendemain du 11 novembre !) avec la naissance de la Bibliothèque de l’Heure Joyeuse, bibliothèque qui a pu voir le jour grâce à une fondation américaine, oeuvrant pour la reconstruction de la France. L’Heure Joyeuse est une bibliothèque de consultation sur place mais surtout permet l’emprunt gratuit à domicile. Des caractéristiques modernes également avec une mixité filles-garçons, une mixité sociale et des espaces aménagés de manière plus conviviale, en quelque sorte pour différencier la bibliothèque publique et la bibliothèque scolaire. La notion de plaisir est pleinement assumée avec également des actions culturelles : lectures hors les murs, l’heure du conte, etc…
Cette période de plein essor des bibliothèques va de pair avec la professionnalisation du métier de bibliothécaire jeunesse, dont la mission est de participer à la formation du citoyen de demain, dans le respect du bien commun et en toute liberté. Ces notions ont été reprises et relayées du reste par Eugène Morel qui a particulièrement influencé l’évolution des bibliothèques au 20ème siècle, et elles résonnent toujours aujourd’hui !
Les années 30 traduisent des moments importants pour les bibliothèques jeunesse et pour la littérature jeunesse : création des sections enfantines dans les BM, création de la collection du Père Castor et de l’album Babar (1931), naissance d’un prix littéraire (1934), exposition universelle de Paris Club bibliothèque du Centre Kellerman (1937).
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la ville de Grenoble ouvre sa bibliothèque qui comprend une salle réservée aux enfants, le CAFB (Certificat d’Aptitude aux Fonctions de bibliothécaire) est créé et restera la référence jusqu’en 1994.
En 1963, La Joie par les Livres est créée par Geneviève Patte (depuis 2008, le Centre national de la littérature pour la jeunesse - La Joie par les Livres ainsi que la Revue des livres pour enfants sont rattachés à la BNF). La bibliothèque de Clamart devient la Petite bibliothèque Ronde et fait figure aujourd’hui de laboratoire de nouvelles pratiques.
Depuis 1970, toutes les bibliothèques ouvrent des sections jeunesse (sur le plan régional, la BM de Lille a pris un peu d’avance et a ouvert sa section jeunesse en 1965).
Les résultats ne se font pas attendre, l’augmentation des surfaces va de pair avec l’augmentation du jeune public, les animations (gérées par du personnel qualifié) comme celles des « bébés lecteurs » remportent un vif succès !

Retour d’expérience de la Médiathèque de Roubaix

Ce retour d’expérience a été présenté par Clothilde Deparday et Céline Kubasik :

La médiathèque de Roubaix – la Grand Plage propose une bibliothèque centrale et un bibliobus. 29 000 euros de budget sont consacrés à la jeunesse, 9000 euros à la petite enfance de 0 à 6 ans et 65% des crédits au réassort.

Le public de 0 à 14 ans représente 39% des inscrits et 45 % des emprunteurs (en 2014, le prêt d’imprimés jeunesse a dépassé le prêt des documents adultes).

    Mais au fait, le métier de bibliothécaire jeunesse a-t-il changé …?

    Etre bibliothécaire jeunesse aujourd’hui renvoie naturellement à la politique documentaire et par conséquent à la légitimité d’avoir ou pas tel ou tel document dans les collections de la bibliothèque. L’évolution du métier est marquée par un nouveau mode de relation avec l’usager, dans un contexte lié à un besoin de loisirs et de formation.
    « L’usager cherche aussi ce qu’il trouve ! » il s’agit de mettre en place une politique de l’offre pour que l’usager découvre autre chose que ce qu’il connait tout en maintenant l’équilibre entre l’offre et la demande. De Martine, Disney aux ouvrages de Komagata et d’Anne Bertie, cet équilibre est trouvé et le bibliothécaire jeunesse trouve ici toute sa place en tant que médiateur.
    Le bibliothécaire jeunesse veille au public : ce qu’il sait sur lui et surtout ce qu’il ne sait pas ! Il ne faut pas hésiter à utiliser des moyens pour aller chercher les publics à l’extérieur. Les données quantitatives sont connues mais qu’en est-il des données qualitatives ? Il convient de prendre garde aux représentations et ne pas occulter le public qui ne vient pas…
    A noter que dans cette relation entre les jeunes et les bibliothécaires s’installent des parents dont la place est de plus en plus importante, avec des comportements variables : du parent qui considère le livre comme facteur d’intégration au parent prescripteur « non, ne prend pas çà c’est pour les bébés ». La BM de Roubaix donne régulièrement rendez-vous aux parents et utilise le portail numérique comme outil de médiation (revue de presse, questions liées à l’éducation, etc.)
    C’est bel et bien le bibliothécaire « bricoleur » qui est à l’œuvre , rusé, à l’intelligence poétique et pratique, qui travaille avec ses intuitions, son imagination et sa sensibilité,… qui concilie altérité et complicité, qui exprime une personnalité !

    Du bibliothécaire bricoleur au bibliothécaire sorcier,
    il n’y a qu’un pas !

    Céline Lechaux (membre de la Commission Sorcières de l’ABF) a présenté le Prix Sorcières. C’est un prix national de littérature jeunesse créé en 1986, décerné par des spécialistes de la littérature jeunesse, à la fois libraires (ALSJ Association des Libraires Spécialisés Jeunesse) et bibliothécaires (ABF Association des bibliothécaires de France). Une vision complémentaire qui permet de « débusquer des livres hors pair, qui ne laissent pas indifférents, qui aident à se construire en toute liberté et en toute curiosité ». Ce prix, connu et reconnu, rassemble plusieurs catégories, des albums tout petits, aux romans ados, en passant par les 1ères lectures aux documentaires. Une commission ABF s’est spécialement créée et fédère sorciers et sorcières qui armés de leur chapeaux, parcourent maintenant la France pour remettre le prix. Au-delà de ce prix et des potions magiques, des artistes s’associent et livrent de belles créations : trophées, affiches…

    Apprenti(e)s sorcier(e)s ? rejoignez la commission !

    Pour tenter de répondre à la question Les publics jeunesse : qui sont-ils ? que veulent-ils ? Une table ronde clôture cette journée : trois retours d’expérience, un point commun : la passion.

    L’accueil des tout-petits

    Laurent Lemaître (directeur de la médiathèque de Merville) est venu présenter l’accueil des tout-petits au sein de la médiathèque de Merville :

    Merville est une commune de 9500 habitants (appartenant à la communauté de communes Flandre-Lys qui compte 35 000 habitants). 21% de la population sont inscrits à la médiathèque (35 % des inscrits ont entre 0 et 14 ans).

    La médiathèque, dont les services sont gratuits pour les habitants de la commune, fait partie de l’espace Culturel Robert Hossein et propose, depuis 2014, un jardin de lecture. En mai 2015, une ludothèque a été inaugurée. L’établissement est ouvert au public 25 heures par semaine.

    Enfin, la page Facebook dédiée compte actuellement 4609 « J’aime » (au 01/03/2016).

      La médiathèque mène une politique d’animation résolument tournée vers la jeunesse et la petite enfance, qui s’appuie sur de nombreux partenariats et sur une équipe de professionnels (3 personnes sur 8 sont spécialisées jeunesse).
      Les actions sur place (dans des espaces jeunesse dédiés qui seront réhabilités à partir de 2016 pour encore plus de confort) et hors les murs se complètent et abordent des publics scolaires et le public des tout-petits.
      Le Relais d’Assistante Maternelle, une structure multi-accueil, la PMI sont des partenaires privilégiés avec lesquels les projets évoluent, vivent et rassemblent de nombreux publics. Les bibliothécaires jeunesse investissent des espaces extérieurs à la médiathèque
      Le dispositif Premières Pages auquel a adhéré la médiathèque de Merville à souligner et en lien avec un projet impulsé par la Médiathèque Départementale du Nord (MDN), à l’échelle intercommunale, est financé par le ministère de la Culture (achat de livre, d’outils d’animations.

      Les ateliers parents-enfants

      Isabelle Desfontaines (réseau des médiathèques du SIVS, Syndicat Intercommunal Réseau de la Scarpe) a présenté le réseau des médiathèques du SIVS et les actions qui y sont menées. Le réseau des médiathèques du SIVS compte 6 médiathèques (quatre ont été ouvertes en 2010, les deux dernières le sont depuis 2014).
      L’action culturelle y prend une place prépondérante et mobilisent des moyens humains et financiers (le budget acquisition est équivalent au budget d’animation). Les accueils de classe reposent sur des actions proposées par niveau (10 accueils pour une période) et surtout reposent sur des contenus vers lesquels les enseignants ne se dirigeraient pas spontanément.
      Une activité riche avec 300 animations en 2015 pour 1 territoire de 9000 habitants
      Ces actions reposent sur des professionnels (8 salariés sur le réseau) et plus de 50 bénévoles et sont de véritables machines à créer du lien entre les parents et leurs enfants. Une action marquante de cette palette : les ateliers parents/enfants. Les parents ont, grâce à ces activités d’éveil, l’occasion de partager un moment de plaisir, de valoriser les réalisations et l’esprit créatif de leur enfant, porter un regard bienveillant pour l’aider à grandir. La découverte d’activités en collectivité est aussi importante car elle favorise les échanges. Le bibliothécaire jeunesse, en qualité de professionnel agit ici en tant que chef d’orchestre, dirige l’activité sans « faire à la place de ». Il sait être inventif et proposer des ateliers cuisine, des ateliers chants et comptines, des ateliers créatifs, des heures du conte « pyjama ».

      Le public adolescent

      Nathalie Bailly (médiathèque l’Odyssée de Lomme) a présenté le projet de la médiathèque de Lomme. L’une des facettes du métier de bibliothécaire jeunesse aujourd’hui se retrouve par exemple à la médiathèque L’Odyssée de Lomme qui développe un projet en direction des adolescents. L’idée ? Créer un comité de lecture pour les adolescents, inciter ces derniers à découvrir la littérature jeunesse, provoquer des échanges et des discussions et exercer leur esprit critique.
      Le projet a démarré en 2006 à partir d’une invitation envoyée dans un premier temps par courrier à 350 jeunes, ils étaient 9 à répondre…aujourd’hui, Les Rêveurs de l’Odyssée sont 50 ! Véritable projet collaboratif et participatif qui crée des passerelles entre la littérature, le cinéma, les arts du spectacle, qui suscite des rencontres et un enthousiasme sans cesse renouvelé de la part des adolescents. Leur investissement est total : ils se déplacent en librairie, travaillent eux-mêmes sur des sélections, participent à des prix littéraires, élisent par conséquent leur titre préféré et, consécration suprême, rencontrent leurs auteurs favoris…
      Source de motivation intarissable, l’animation repose sur une bibliothécaire passionnée qui assure une médiation qui l’est tout autant et qui est connectée avec « ses adolescents » 24h/24h. Un bel exemple de transmission d’une passion ! Les jeunes rêveurs de l’Odyssée sont dans un espace de liberté qui les conduit à être acteurs et être à l’origine de nouveaux projets !

      Ce fut une journée riche qui démontre une évolution certaine du métier et des retours d’expériences qui tendent à prouver qu’il n’y a pas UN mais DES bibliothécaires jeunesse : le bibliothécaire jeunesse « bricoleur » qui tente de trouver la parfaite alchimie entre les publics et les collections, le bibliothécaire jeunesse chercheur qui expérimente des nouvelles formes d’animation, le bibliothécaire jeunesse « sorcier », le bibliothécaire jeunesse passionné dans tous les cas !

      Rendez-vous le jeudi 24 mars 2016 (Médiathèque de Grenay) pour la 2ème partie de la journée d’étude.

      Pour en savoir plus : ABF Nord-Pas-de-Calais