Culture, bibliothèque et recomposition des territoires

Journées d’étude de l’ADBDP à Brest – 28-30 septembre 2015

Amandine Jacquet

Le compte-rendu ici proposé est partiel et ne couvre pas l’ensemble des interventions.

Les journées d’étude annuelles de l’ADBDP ont rassemblé quelques 140 participants à Brest, du 28 au 30 septembre 2015. Le thème d’actualité « Culture, bibliothèque et recomposition des territoires » visait à couvrir la réforme territoriale, sur fond de tensions budgétaires. Plus que la question des compétences des départements, les discussions ont porté sur la métropolisation et les inégalités territoriales qu’elle véhicule. Cela a eu pour effet de repositionner les bibliothèques dans un rôle d’intégration sociale et de lutte contre les inégalités.

Si les ateliers ont comme toujours rencontré un certain succès ceux sur « l’après Charlie... liberté de conscience, liberté d’expression, censure et pluralisme des idées dans les bibliothèques » ont été particulièrement appréciés de par leur formule plus interactive.

L’atelier « Réforme territoriale et nouvelle ruralité » a mis en valeur l’émergence d’une dynamique culturelle importante portée par les élus et la population dans des territoires enclavés. Afin que la population puisse accéder à la culture, à la formation et à l’information, de petites communes ouvrent des établissements mixtes de type troisième lieu qui deviennent des lieux de ressources, de services et de sociabilité.

L’atelier « Recommandations pour une diffusion du livre numérique par les bibliothèques publiques : y’a-t-il un avant et un après ? » s’est appuyé sur une enquête. Sur les 64 BDP répondantes, 50 proposent des ressources numériques et une dizaine ont des projets en cours. Le numérique est perçu comme un réducteur d’inégalités et un vecteur d’élargissement des collections des bibliothèques. De nombreux questionnements ont été évoqués et ont mis en lumière l’importance du groupe de travail numérique de l’ADBDP et de son wiki.

L’atelier « Bibliothèques et TAP » a mis en évidence l’opportunité que représente la réforme des rythmes scolaires pour rendre les bibliothèques plus lisibles, plus visibles. Les exemples ont montré une mise en œuvre dans des rythmes et des conditions différentes mais qui constitue l’occasion de formaliser des partenariats nouveaux ou renouvelés.

L’atelier « Métropolisation et lecture publique » a frappé les esprits par sa dualité. D’un côté l’expérience de Bordeaux Métropole qui, malgré quelques rebondissements, paraît se rapprocher d’une douce idylle entre la Ville de Bordeaux et les communes alentours : du temps et un chef de projet dédiés, un portail, un catalogue et des ressources numériques communs, «libre circulation » des usagers et des documents via une future carte unique, gratuité sur l’ensemble du réseau, développement d’actions culturelles communes, intégration en cours des bibliothèques universitaires au projet.
De l’autre, l’expérience de Lyon Métropole qui paraît relever plus de la division des territoires et des compétences que d’une fructueuse coopération. Menée sur un temps court (aout 2013-déc 2014), la réflexion s’est faite surtout dans un cadre technique : le département du Rhône a cédé 20% des choses matérielles à Lyon métropole, et a reçu en échange une compensation financière de 20%. Après la partition, il reste 438 000 habitants (au lieu de 1,7 millions) et 1700 agents (au lieu de 6000) à la charge du département.
Lyon Métropole a pris à sa charge toutes les compétences du département sur son propre territoire. Les bibliothèques de Lyon doivent désormais assumer le rôle anciennement dévolu à la BDP pour ces communes concernées, sans la technicité ni forcément les moyens nécessaires à ces fonctions particulières.
Cette réforme est actuellement incompréhensible pour le public (voire invisible) et difficilement assimilable par le personnel. « Nous avons l’impression de casser un outil qui fonctionne pour aller vers quelque chose qui n’est pas défini. » a conclu Marion Dupuy, la directrice de la BDP du Rhône.
A la lumière de ces disparités, les auditeurs n’ont pu s’empêcher de se demander s’il s’agit de deux situations extrêmement différentes, ou si le point de vue de l’intervenant (l’un côté métropole, l’autre côté BDP) transfigure le discours.
Le forum a salué la formation d’un nouveau groupe de travail au sein de l’ADBDP sur l’action culturelle ainsi que la naissance du nouveau site web de l’ADBDP (non en ligne à ce jour). Le CA a été partiellement renouvelé.

Enfin pour clore ces journées très réussies à tout point de vue, la conférence de Philippe Estèbe (géographe, politiste, et directeur de l’IHEDATE) sur « Les mutations territoriales et sociétales en France » n’a laissé personne indifférent. Voici les grandes lignes de son intervention :
Aujourd’hui la France a le même découpage territorial qu’en 1790. C’est le seul pays qui soit aussi conservateur. Les pays voisins ont changé régulièrement leur découpage administratif et ont aussi réduit drastiquement le nombre de communes (400 en Angleterre, 12000 en Allemagne, 8000 en Italie, contre 36000 en France). Ces regroupements de communes donnent le pouvoir aux villes en faisant disparaitre politiquement les territoires ruraux.
En France, la carte des communes date de 1870, la carte des départements de 1790. La carte des régions date de 1912-1913. Cette stabilité est une spécificité française : elle s’explique à chaque échelon par des raisons historiques.
La France a connu un exode rural tardif en 1950. Le département a toutefois été déclaré archaïque dès 1889, avec les mêmes reproches qu’aujourd’hui . Pourtant, les nombreuses tentatives de réformer le département n’aboutissent jamais, voir finissent par un renforcement des compétences. Le département est moderne dans sa conception fonctionnelle : c’est une interface entre le local et le national. La France n’est ni centralisée, ni décentralisée, mais imbriquée. Le département est le lieu de la négociation et d’un « jacobinisme apprivoisé ». Il a pour fonction l’accessibilité des services.
La région est l’échelon qui a le plus de mal à s’inscrire et à trouver sa place dans le paysage territorial. C’est aussi l’échelon le plus récent. Telle qu’elle avait été prévue dans la république gaullienne, la région devait fonctionner comme un super département. C’est une administration consultative pour réunir les acteurs du territoire afin d’arriver à des consensus sur des programmes d’action mais qui a été dévoyée aujourd’hui : les régions aujourd’hui sont des machines à produire du schéma et non de l’action.
Chaque échelon a des fonctions : la Commune permet de maintenir la culture paysanne. Le Département sert à la production des services. La Région sert au dialogue. Le problème est qu’en 1982, il n’y a pas eu d’analyse de ces fonctions et tous les échelons ont été mis sur le même niveau en tant que « collectivités territoriales ».
Cela a été positif en matière de progrès global des territoires mais à un prix élevé : ces niveaux sont en compétition les uns avec les autres pour exister et avoir de la visibilité aux yeux des électeurs.
Mais la réforme qui passerait par des formes de mutualisation est difficile à mettre en place : chaque institution a ses logiques, et ne veut pas perdre son identité.

Cependant, cette superstructure très stable est aujourd’hui déstabilisée car elle est héritée d’une situation qui ne correspond plus à la réalité et qui entre en conflit avec la société et la production économique actuelle.
La structure est historiquement conçue pour une population sédentaire, mais devenue aujourd’hui d’une grande mobilité physique et virtuelle.
Notre espace est conçu comme un quadrillage de proximité, mais la notion même de bassin de vie n’est plus pertinente aujourd’hui. Les usagers ne sont plus captifs. Il est donc difficile de calibrer les services et les équipements. Ce n’est plus le nombre d’habitants qui détermine le calibrage des équipements mais la présence du nombre de personnes dans la journée ou à l’année.
De plus, notre système productif est un modèle typiquement français : les industries se sont historiquement développées à la campagne. Les villes françaises sont donc beaucoup plus faibles que les autres villes européennes (sauf éventuellement Lyon). Cependant, les villes s’affirment aujourd’hui comme moteur territorial en produisant la majeure partie de la richesse taxable. Au nom de la solidarité territoriale, les gains de productivité dans les villes servent à payer la qualité de services dans les espaces ruraux moins rentables. La France fait donc face une vraie crise de l’égalité territoriale.

Enfin, les journées d’études ont également été l’occasion de visiter trois antennes de la BDP du Finistère : celles du Pays de Brest située à Saint-Divy, du Pays de Morlaix, située à Sainte-Sève et du Pays du Centre-Ouest, située à Plonévez-du-Faou. Seule l’antenne du Pays du Centre-Ouest Bretagne est ouverte au public. Cette dernière se situe dans un bâtiment qui regroupe une salle polyvalente et deux salles de sport. Le mobilier des trois antennes est volontairement choisi dans la même gamme afin de pouvoir être interchangeable d’une antenne à l’autre. Ce sont 3 bâtiments écologiques.

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Antenne du Pays du Centre-Ouest de la BDP du Finistère, située à Plonévez-du-Faou. CC BY-SA Amandine Jacquet

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Fauteuil sonorisé pour écoute individuelle disponible à la BDP du Finistère (antenne du Pays du Centre-Ouest). CC BY-SA Amandine Jacquet

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Antenne du Pays de Brest de la BDP du Finistère, située à Saint-Divy. CC BY-SA Amandine Jacquet

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Espace de choix de la BDP du Finistère (antenne du Pays de Brest). CC BY-SA Amandine Jacquet

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Antenne du Pays de Morlaix de la BDP du Finistère, située à Sainte-Sève. CC BY-SA Amandine Jacquet

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Hall d'accueil et de médiation de la BDP du Finistère (antenne du Pays de Morlaix). CC BY-SA Amandine Jacquet