Bibliothèques et citoyenneté

Journée ABF Nord-Pas-de-Calais – 12 décembre 2016

Isabelle De Souza

Comment la Bibliothèque remplit ses missions de lieu-ressources pour le citoyen de demain ? Telle était la question posée lors de la journée d’étude du groupe régional Nord Pas-de-Calais de l’ABF. Plusieurs interventions et retours d’expérience ont illustré cette large thématique de la citoyenneté.

En premier lieu, l’entrée en matière est conduite par Raphaëlle Bats, Bibliothèque et citoyenneté - de la participation à la mobilisation collective : la bibliothèque à la recherche de sa vocation démocratique. Il est devenu bien complexe, aujourd’hui, de définir certaines notions essentielles : qu’est-ce qu’être citoyen ? Comment s’opère la citoyenneté ? la nationalité / la (les) communauté(s) ? Quelle voix et quelle place portons-nous dans le débat citoyen ? Face à la multiplicité de ces définitions, la bibliothèque reste un lieu de débat public, où l’accompagnement à la citoyenneté revêt des formes évolutives.

L’ACCÈS A L’INFORMATION CITOYENNE : LES COLLECTIONS ET RESSOURCES

Un focus sur trois expériences : Kiosque citoyen ; projet de formation en ligne ; Bibliothèque vivante.

Rémi Thomas, (Réseau des Idées – Tourcoing) a présenté le Kiosque citoyen. Ce projet a accompagné l’ouverture de la médiathèque Andrée-Chedid en 2013. Il fallait aller à la rencontre du public, proposer un lieu et un dispositif permettant de toucher les personnes éloignées de la culture. L’idée du Kiosque citoyen s’inscrivait alors dans cette dynamique. Ce Kiosque rassemble, en un seul et même espace, tous les documents relevant de l’actualité et fait ainsi de la médiathèque un lieu-ressource. Il se compose d’un poste informatique, d’une sélection documentaire entièrement empruntable, d’une place privilégiée pour l’actualité et d’un affichage valorisant les animations liées. La programmation est trimestrielle, permettant l’approfondissement des sujets présentés mais assurant aussi une place à la réactivité à l’actualité. Le travail en partenariat, indispensable, est la véritable valeur ajoutée du Kiosque. Relai de son environnement, la médiathèque accueille les réunions d’associations du quartier, propose conférences, débats, formations et implique ses partenaires. Côté pratique, le Kiosque nécessite un budget, permettant le renouvellement des collections et une implication importante. L’équipe, constituée de cinq personnes, a détaché l’une d’elle à l’animation du Kiosque.

Marie-Odile Paris-Bulckaen (directrice de la Médiathèque Départementale du Nord) a ensuite présenté, non pas un retour d’expérience, mais un work in progress : « Médiathèque dans la cité : projet de réalisation d’un module de formation en ligne en partenariat avec Bibliothèques sans frontières ». A l’origine de ce projet se trouve le souhait de repositionner la médiathèque comme lieu d’apprentissage, de mise en œuvre de la citoyenneté et des valeurs de la République, de sensibiliser les partenaires et de remplir ses missions de formation en proposant de nouvelles formes de médiation. La méthodologie du projet repose tout d’abord sur le partenariat entre la Médiathèque Départementale et BSF. C’est la méthode du design thinking qui a été retenue comme socle du projet. La MdN et BSF réalisent conjointement un module de formation, composé d’une dizaine de vidéos. Cette co-construction est étendue aux partenaires de la médiathèque, ainsi qu’aux associations de prévention de l’illettrisme, de sensibilisation aux besoins des personnes en situation de handicap, de promotion de la littérature, APEI, etc. Le module est découpé en trois parties :

- les valeurs de la République, avec la création d’un référentiel théorique commun ;
- les pré-requis pour positionner la bibliothèque comme lieu de transmission de ces valeurs ;
- l’accessibilité à tous et à toutes, avec un focus sur l’illettrisme et l’illectronisme.

Sur le principe des licences creative commons, cet outil servira de support de formations « en présentiel » et sera disponible sur la plate-forme BSF Campus, le site de la MdN, Youtube, etc. et sera destiné aux personnels des médiathèques et à toute personne sensibilisée aux questions de citoyenneté. Le lancement de cette formation en ligne est prévu en mai 2017.

Enfin, Mina Bouland (Bibliothèque municipale de Lille) a présenté un exemple de Bibliothèque Vivante, organisée en partenariat avec l’association L’ille de la diversité. Pour rappel, les Bibliothèques vivantes donnent à emprunter non pas un document, mais une personne. Ephémères, gratuites, proposant des « livres » volontaires et bénévoles, elles visent l’ouverture d’esprit et la tolérance. Elles aident ainsi à lutter contre les stéréotypes et les préjugés. La BmL a souhaité s’engager dans ce mouvement en choisissant la thématique de la discrimination. Ce temps d’échange (programmé en avril 2016), a proposé un catalogue de livres vivants, empruntables de 20 à 30 minutes. Installés au cœur des collections, les bibliothécaires accompagnaient chaque lecteur ou chaque lectrice auprès du livre choisi : un membre de la police judiciaire, un ancien délinquant, une mère de famille homosexuelle, une famille monoparentale, un travailleur bénévole auprès des populations roms, une femme voilée (livre le plus emprunté, mais également celui qui a suscité le plus de polémiques).

LA BIBLIOTHEQUE COMME LIEU DE DEBATS ET D'ÉCHANGES

Ce second axe de la journée a offert trois retours d’expérience : l'exposition Le droit de vivre ; un modèle de Réseau d’Echange de Savoirs ; le cycle de conférences La violence du monde.

La Bibliothèque Universitaire du Littoral – Côte d’Opale (BULCO) a établi un programme culturel sur le thème des réfugiés. Située sur le territoire calaisien, la thématique y est apparue évidente. La création de l’exposition Le droit de vivre a débuté au second trimestre 2016 avec tout d’abord les rencontres avec le collectif Le Réveil voyageur et la reporter-photographe Isabelle Serro. Composée d’une cinquantaine de photographies et d’une reconstitution de « jungle », les bibliothécaires ont proposé trois temps d’animation durant cette exposition : des visites accompagnées, spontanées ou, dans le cadre d’accueils scolaires, des ateliers et des soirées (témoignages, théâtre, soirée de clôture). Certes cette action d’envergure a nécessité un lourd déménagement des collections, a engendré du bruit et a demandé une grande disponibilité de l’équipe mais le bilan est largement positif : plus de 1 200 visiteurs, de nombreux témoignages, des ateliers avec des publics-cibles élargis, une visibilité accrue de la bibliothèque, une collaboration avec les enseignants et une prise de conscience de l’université quant à l’intégration des étudiants réfugiés.

Puis, Sylvie Kalinsky (responsable de la médiathèque de Moulins – BM de Lille), est intervenue sur le Réseau d’Echanges de Savoirs qu’elle a créé. Le principe en est simple : chacun est, tour à tour, enseignant et apprenant, les échanges sont gratuits et il n’existe pas d’échelles de valeurs dans les savoirs proposés. Pourquoi à la médiathèque ? Dans un quartier classé zone prioritaire sensible, autrement dit avec une population qui se caractérise par des difficultés sociales, la médiathèque se place alors comme le lieu du lien social, de la valorisation des compétences à travers la mise en relation des usagers entre eux. Celui où chacun peut apporter, apprendre et prendre place dans son environnement. A l’échelle du quartier, la médiathèque a donc posé les bases de ce réseau et établi son fonctionnement : le réseau s’adresse à tous et à toutes, sans limite d’âge, et l’inscription se fait sous pseudonyme. L’équipe gère le tableau des offres et demandes, met en relation les usagers et établit des passerelles entre les savoirs échangés et les collections. Avec quarante inscrits en début du projet, l’action nécessite une dynamique importante. Malgré une légitimité évidente, ce réseau d’échanges de savoirs est en recherche de solutions pérennes pour continuer à valoriser les compétences des usagers :

- repenser l’outil de mise en relation (en profitant du nouveau site web de la bmL ?) ;
- constituer un groupe de personnes-relais ;
- créer un réseau à l’échelle du quartier sur le thème de l’économie solidaire ;
- se rapprocher de la BM de Lyon qui a lancé son réseau d’échanges de savoirs en ligne.

Enfin, David-Jonathan Benrubi a proposé un retour sur La violence du monde : cycle, exposition et actions portés par la MAC (Médiathèque d’Agglomération de Cambrai) au printemps 2016. Terrorisme, réseaux sociaux, migrants, guerres, stratégies militaires et révolution : autant de thèmes brûlants dont s’est emparé la MAC au travers d’un programme riche. L’exposition « La révolution par le dessin : Z s’expose à Cambrai (mais vous ne le verrez pas !) » a donné à voir le parcours d’un caricaturiste tunisien et interroge sur la part d’universel dans ses dessins. Huit conférences (menées par des sociologues, maîtres de conférence, conservateurs… autant de professionnels pour analyser la complexité, et la violence, du monde) ont attiré un public curieux. Des débats et rencontres entre le caricaturiste engagé et un panel de partenaires citoyens ont également eu lieu.

Raphaëlle Bats a conclu cette journée sur le rôle des bibliothèques dans l’expression de la citoyenneté et de la démocratie. Les bibliothécaires transmettent, eux-mêmes ou grâce à d’autres acteurs, des savoirs professionnels, culturels, intimes (bibliothèque vivante). Ceux-ci se transmettent par participation, émancipation, expérimentation ; la pédagogie de l’expérience est privilégiée. Expérimenter le vivre ensemble, dans une société en constante évolution, ne place pas les bibliothèques en piliers de la démocratie mais les encourage dans leur vocation à changer le monde.