16e Conférence internationale « Performance Measurement in Libraries » (LibPMC)

3 et 4 juin 2025, à Liverpool (Royaume-Uni)

Claire Dugast

Cécile Touitou

Pour toute personne s’intéressant à l’évaluation en bibliothèque, la conférence LibPMC 1

constitue un rendez-vous incontournable pour découvrir les pratiques et innovations les plus récentes en la matière. Depuis sa première édition en 1995 à l’Université de Northumbria, à Newcastle (Royaume-Uni), cet événement s’est imposé comme une référence dans le domaine.

La 16e édition s’est tenue début juin à Liverpool, marquant le retour en présentiel après les éditions virtuelles de 2021 et 2023. Pendant deux journées, des assessment librarians (bibliothécaires chargés de l’évaluation) venus du monde entier ont partagé leurs expériences à travers une trentaine de sessions mêlant présentations longues (20 minutes), formats courts (5 minutes) et ateliers participatifs (workshops).

La conférence a mis en lumière plusieurs thématiques structurantes, révélatrices des évolutions en cours dans le champ de l’évaluation en bibliothèque. Trois axes majeurs se sont distingués : l’évaluation de l’expérience utilisateur (UX), l’exploitation des données (notamment via des outils comme Power BI ou OpenAlex), et la valorisation de la recherche. Chacun de ces domaines témoigne d’un déplacement progressif des enjeux traditionnels de la mesure d’activité vers une compréhension plus fine des usages et une orientation stratégique fondée sur les besoins réels des usagers.

Chaque journée a débuté par une séance plénière animée par une personnalité extérieure au monde des bibliothèques, enrichissant ainsi la réflexion sur le rôle des bibliothèques face à différents enjeux liés aux données, à leur collecte et à leur usage.

Le premier matin, Christothea Herodotou, professeure en technologies de l’apprentissage et justice sociale à l’Open University, a exploré les bénéfices et les difficultés des sciences citoyennes tout en mettant en avant le rôle que les bibliothèques pouvaient avoir à jouer dans cette dynamique, comme à l’Université d’Helsinki, où la bibliothèque Viikki sensibilise ses usagers à la science citoyenne par des rencontres avec des experts. L’engagement des bibliothèques universitaires et de recherche pour la science ouverte est bien sûr une approche évidente mais les bibliothèques de lecture publique peuvent également devenir de véritables pôles de sensibilisation.

Christothea Herodotou nous a également présenté la plateforme nQuire, fruit d’une collaboration entre l’Open University et le programme scientifique Tomorrow’s World de la BBC, qui permet à chacun de soumettre ou de rejoindre des projets, tout en assurant la rigueur scientifique grâce à la présence d’experts.

Liam Thorp, rédacteur en chef politique du journal Liverpool Echo, a quant à lui animé la deuxième séance plénière. Il a insisté sur l’importance des données et de leur narration pour lutter contre la désinformation à l’ère des réseaux sociaux. À travers des exemples concrets de couverture journalistique, il a témoigné d’un travail engagé au service de l’information et s’appuyant sur une combinaison de données robustes, de récits humains émouvants et de visualisations graphiques éclairantes.

Tout au long de la conférence, les participants ont pu constater que l’approche UX s’impose de plus en plus comme une alternative ou un complément aux enquêtes classiques. Là où les questionnaires peinent parfois à capter la complexité des pratiques ou la dimension affective de l’expérience de service, les méthodes d’observation, les entretiens de type think aloud (pensée à voix haute) ou encore les parcours utilisateurs apportent des éléments plus qualitatifs, souvent plus directement exploitables pour l’amélioration continue. Ce glissement vers des démarches empathiques et situées reflète une volonté de mieux aligner les services sur les attentes et les contextes d’usage, notamment dans un environnement numérique en mutation constante.

Bethan Smith, responsable de l’amélioration des services à University College London – LCCOS (Library, Culture, Collections and Open Science), a ainsi présenté une étude fine des interactions avec le catalogue Primo. L’observation des parcours et des points de friction a permis de dégager des leviers d’amélioration pour repenser l’interface en fonction des comportements réels, et non des intentions déclarées. Ce type d’analyse, centré sur l’usage effectif, s’inscrit dans une logique d’optimisation continue des services numériques, où l’évaluation n’est plus seulement un outil de reddition de comptes, mais un levier pour innover et ajuster les services en temps réel.

En parallèle, l’essor de la datavisualisation (Power BI) et des outils d’analyse sémantique ou bibliométrique (comme OpenAlex) ouvrent de nouvelles perspectives pour piloter l’activité, mieux comprendre l’impact de la recherche et documenter la valeur des bibliothèques dans l’écosystème académique. Là encore, il ne s’agit plus seulement de produire des indicateurs, mais de construire des récits lisibles et convaincants à destination des parties prenantes – tutelles, chercheurs, financeurs – sur les apports concrets des services documentaires.

Claire Browne, responsable de la relation client pour les bibliothèques et les ressources pédagogiques à l’Université de Birmingham, a présenté la participation originale des étudiants dans la conception des services. Le projet Library Shapers est né d’un constat : les étudiants doivent être impliqués dès le début des projets pour que leurs besoins réels soient mieux pris en compte dans la conception des services. Trente étudiants ont ainsi été recrutés pour collaborer avec le personnel sur divers projets, allant de la refonte du site Web à la création de formations, tout en apportant leur regard d’usagers. Cette démarche a non seulement enrichi les projets mais a aussi favorisé une diffusion plus large des méthodes UX au sein des équipes, tout en contribuant au développement des compétences des étudiants.

Pour autant, certaines initiatives montrent que le questionnaire, lorsqu’il est bien ciblé, conserve sa pertinence. C’est le cas de la bibliothèque de l’Université de Manchester, où Michael Douglas, analyste en intelligence économique, a développé un outil « maison », structuré autour de 12 questions seulement, dans une logique de co-évaluation rapide. L’objectif : associer la communauté universitaire à un processus agile de recueil de retours, dont les résultats sont directement mobilisés pour piloter le développement et la stratégie des bibliothèques. Sans surprise, les premières analyses mettent en lumière plusieurs axes d’amélioration prioritaires spécifiques à chaque bibliothèque ; ici la bibliothèque de l’Université de Manchester (figure).

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Figure. Domaines d’amélioration repérés à l’Université de Manchester

Un autre enjeu fortement mis en avant lors de cette conférence a été celui de la mesure de l’impact. Il est bien connu que les effets de l’usage des bibliothèques universitaires – qu’il s’agisse des collections, des espaces ou des services – sont particulièrement difficiles à objectiver. La notion même d’impact recouvre des dimensions complexes telles que la transformation des usagers, le développement de leurs capacités, leur réussite académique ou encore leur bien-être, autant d’aspects qui échappent aux simples indicateurs quantitatifs.

Dans ce contexte, plusieurs interventions ont cherché à affiner les méthodes d’évaluation. À titre d’exemple, les retours sur le programme SCONUL Access, qui permet aux étudiants des établissements membres d’accéder aux ressources d’autres bibliothèques au Royaume-Uni, ont ouvert des pistes intéressantes. Des travaux ont été engagés pour analyser les corrélations potentielles entre l’adhésion à ce dispositif et la performance académique des étudiants, illustrant la volonté de dépasser les métriques traditionnelles pour mieux saisir l’influence réelle des bibliothèques sur les parcours étudiants.

Des intervenants sont revenus sur des outils ou des démarches participatives en vue de mesurer la satisfaction ou la réception des usagers des services offerts par les bibliothèques universitaires (BU). Des approches concrètes, souvent illustrées par des études de cas, ont montré comment les bibliothèques s’adaptent, innovent et mesurent leur impact. On peut évoquer l’initiative de Jennifer Moon-Chung de l’Université de Pittsburgh (États-Unis), où la BU a remplacé son échelle de satisfaction traditionnelle par le Net Promoter Score (NPS) afin de mieux comprendre le ressenti des usagers vis-à-vis des services de chat et de tickets déposés sur LibAnswers. Ce nouveau dispositif permet de distinguer clairement les promoteurs, passifs et détracteurs du service en distinguant de façon assez fine les notes laissées, tout en offrant des retours qualitatifs utiles pour cibler les améliorations. Grâce à cette approche, les équipes ont pu réagir rapidement aux insatisfactions et ajuster les services en continu.

Un certain nombre d’interventions ont également souligné la nécessité d’une culture organisationnelle forte de l’évaluation. Michael Douglas, de l’Université de Manchester, a précisé que les dispositifs d’évaluation mis en place dans son institution étaient facilités par une culture historique de l’enquête annuelle : les usagers y sont habitués et l’équipe a accès aux données collectées.

Plusieurs retours d’expérience de vastes projets de réorganisation stratégique évoquent le changement de culture comme pilier essentiel de la transformation. Les bibliothèques de Rutgers University (États-Unis), par exemple, sont passées d’une culture de la productivité à une culture de l’évaluation de l’impact. Quant aux bibliothèques de l’Université catholique argentine, elles ont consacré la première année de leur transformation à un travail interne au sein de leurs équipes.

La culture de l’évaluation peut également servir de levier d’engagement pour les équipes, comme en ont témoigné avec enthousiasme Starr Hoffmann et Ingrid Ruffin de l’Université de Las Vegas. Elles ont récemment mis en place pour le pôle Research & Education (RED) des bibliothèques un événement annuel de rencontre et d’échanges. Ce forum (town hall) de trois heures, également voulu par Ingrid Ruffin comme un moment convivial, met en avant les réussites de l’année écoulée et permet à l’équipe d’exprimer ses envies, et s’appuie sur des moments de créativité, de réflexion et de construction collectives.

Revenons enfin sur un atelier particulièrement intéressant auquel nous avons pu participer : « Workshop: Is that a big number? » Cet atelier avait pour objectif de permettre à ses participants de s’interroger sur leurs propres pratiques face aux données. En effet, comment éviter biais et surinterprétation face à des chiffres dont on attend qu’ils nous disent quelque chose ? En petits groupes, les participants ont eu l’occasion d’explorer 10 règles d’or concoctées par les deux animatrices de l’atelier, Frankie Wilson (University of Oxford) et Bronwyn Bruton (Stellenbosch University) :

  1. Sondez vos sentiments.
  2. Réfléchissez à votre expérience personnelle.
  3. Évitez les énumérations prématurées.
  4. Prenez du recul et appréciez la vue.
  5. Obtenez l’historique.
  6. Demandez qui manque à l’appel.
  7. Ce n’est pas toujours la faute de la machine.
  8. Ne considérez pas le socle statistique comme acquis.
  9. N’oubliez pas que la désinformation peut aussi être belle.
  10. Gardez l’esprit ouvert.

Les participants ont été encouragés à être curieux face aux données. Il faut questionner ce qui nous anime, questionner et définir ce que l’on cherche, questionner ce qui existe déjà et qui peut servir de comparaison, questionner la méthode de collecte et questionner l’outil choisi, en continu.

Une conférence internationale passionnante qui ouvre tant de portes sur une amélioration continue de nos pratiques d’évaluation ! Nous ne savons pas encore où elle se déroulera en 2027.