Un abécédaire sensible des bibliothèques. Mots d’ordre et de désordre

Catherine Herbertz

Muriel Amar et Joëlle Le Marec (dir.)
Un abécédaire sensible des bibliothèques. Mots d’ordre et de désordre
Préface de Georges Didi-Huberman
Prélude de Philippe Artières
Les Lilas, Eterotopia France, mai 2025
Collection « Recherches »
ISBN 979-10-93250-76-2

Cet ouvrage singulier et passionnant est le fruit d’une recherche au long cours menée collectivement par des chercheuses avec des bibliothécaires, à partir de 2021, tout d’abord à partir de l’expérience de la Bibliothèque publique d’information (Bpi), puis l’élargissant à d’autres bibliothèques universitaires ou de lecture publique ainsi qu’à l’Association des bibliothécaires de la Ville de Paris.

Un ouvrage collectif dont la forme fragmentaire permet l’hétérogénéité des paroles et le rendu des complexités, et dont le classement alphabétique si simplement égalitaire instaure une démocratie de l’expérience.

Cet abécédaire cherche à cerner l’hétérotopie que constitue la bibliothèque, invisibilisée par son « caractère extraordinairement ordinaire », piégée par sa discrétion, à rebours des logiques marchandes et spectaculaires, opposant parfois une logique de protection et d’ajustement à certaines injonctions schématiques, à l’innovation et au management.

Un projet éminemment politique qui s’appuie sur une définition du bibliothécaire « comme celui ou celle qui se tient “face public” en position d’accueil, engageant son corps et son temps de travail pour être là » et dont le moindre des intérêts n’est pas la revisitation, le retournement de notions souvent absentes des travaux professionnels.

La modestie, le scrupule, la délicatesse, le tact, sont proposés en entrées de cet abécédaire comme des prises de position délibérées et sans cesse réinterrogées par les bibliothécaires, afin de protéger la fragilité des demandes grâce à un processus engageant d’écoute active, de reformulation, visant à développer une « réponse suffisamment bonne ».

Certaines contributions explorent avec beaucoup d’acuité les notions de maintenance, de quotidienneté, d’effacement et de déprise, comme une éthique professionnelle visant avant tout à protéger ce qui fonctionne, et à ne jamais prendre le pouvoir sur le savoir qui est partagé et généré : « La bibliothèque laisse échapper tout ce qu’elle rend possible. »

L’ouvrage expose également la qualité de la bibliothèque par sa faculté de porosité au milieu qui l’entoure et affirme la nécessité d’envisager une hospitalité réciproque entre l’établissement et le « quartier » qui lui fait place, avec ou sans le désir des habitants.

De nombreuses autres pistes sont suivies, qui, toutes, renouvellent à la fois le regard et le langage habituellement posés sur les bibliothèques, qui mesurent leur extrême singularité dans l’offre culturelle et qui indiquent par là même, la force et la nécessité démocratique de leur projet.

L’ouvrage est introduit par deux textes éclairants et incarnés de Georges Didi-Huberman et Philippe Artières, insistant sur l’importance de l’espace physique public que constitue la bibliothèque et sur son rôle de maintien de « la possibilité d’une société décente et pacifique structurée par la culture ».