Rapport annuel de l’Inspection générale des bibliothèques – Année 2017
Le BBF renoue avec la tradition de la recension du rapport annuel de l’Inspection générale des bibliothèques, laissée de côté depuis plusieurs années, et c’est une bonne chose, tant il est vrai que ce rapport, dans ses quelque soixante-dix pages pour la livraison de cette année, est devenu un vrai document de référence – forme d’état de l’art annuel – pour qui s’intéresse à la question des bibliothèques de statut public en France.
Le ton est donné dès l’introduction, la première signée par le doyen Lecoq, entré en fonctions le 1er janvier 2018. Dans un style incisif, il donne en moins de quatre pages, une vision limpide des enjeux auxquels, tous, nous sommes confrontés, quel que soit le type de bibliothèque (retenons, pour simplifier, la partition entre bibliothèques universitaires et bibliothèques territoriales).
« Aujourd’hui plus encore qu’hier, les bibliothèques – toutes catégories confondues – sont au cœur d’enjeux qui les dépassent : c’est heureux ! » La première phrase du rapport situe d’emblée la nature du débat et la nécessaire place des bibliothèques dans les enjeux de société. Ce n’est pas nouveau, mais c’est vrai aujourd’hui « plus encore qu’hier ».
Passons sur la dernière partie du document qui s’apparente, dans ses vingt dernières pages, au rapport d’activité du service – exercice nécessaire assurément et qui permet du reste de trouver des renseignements utiles, notamment sur les zones d’inspection appelées à évoluer avec la réforme territoriale de la France. C’est surtout dans les premières parties que l’on trouvera la vraie matière à réflexion sur les sujets traités en 2017 par l’IGB qui sont véritablement au cœur des préoccupations fondamentales des bibliothèques aujourd’hui. Et notamment dans la synthèse des rapports thématiques, devenus une vraie richesse d’analyse, d’informations, de réflexion poussée, pour les professionnels des bibliothèques. Prenons deux exemples : la question du numérique ; le parcours des conservateurs.
On ne sera pas étonné que sur les cinq rapports thématiques dont il est fait la synthèse, trois portent sur le numérique, quatre si on ajoute celui sur le SGBM. Dire que le numérique a bouleversé le monde des bibliothèques est une banalité. Effectuer, en revanche, des analyses précises sur quelques-unes des nombreuses facettes de ce sujet est important et viendra soutenir les professionnels dans l’action quotidienne qu’ils ont à mener : oui, « inciter les éditeurs français en SHS à renforcer la visibilité de leurs revues et ouvrages numériques […] en appliquant des normes et standards internationaux depuis le processus éditorial jusqu’au référencement sur Internet » est essentiel ; oui, « développer la numérisation à la demande dans le cadre des politiques de site » est une action à développer, à amplifier, qui correspond de surcroît à une vraie demande des chercheurs, plus largement des publics, et contribue à faire connaître l’intérêt et la richesse des collections universitaires françaises, dont on dit, trop hâtivement, qu’elles sont d’un intérêt faible ; non, la réalité est plus diverse et la numérisation permet de mettre cette réalité en lumière. Ces deux recommandations, parmi d’autres, du rapport de Carole Letrouit, sont un exemple des actions concrètes à développer.
Le rapport Carbone sur le plan d’accompagnement des éditeurs scientifiques pour le passage au numérique (mission conjointe des trois inspections générales : IGAENR, IGAC, IGB) va dans le même sens, insistant sur le transfert de dépenses des revues imprimées (moins 14 % de dépenses entre 2011 et 2015 ; moins 30 % en nombre de titres) vers les revues électroniques (plus 7 % en dépenses ; plus 69,5 % en nombre de titres).
Quant au rapport Caudron, il vient utilement compléter cet ensemble et cette nécessaire réflexion en apportant d’intéressantes propositions à la question complexe de l’offre éditoriale numérique, destinée aux étudiants. Sujet auquel les bibliothécaires sont régulièrement confrontés, et qui sert régulièrement – trop souvent – de prétexte, dans le monde académique notamment, pour refuser d’affronter la question des usages numériques : « prendre et favoriser toutes mesures permettant de faciliter les usages du livre numérique pour l’enseignement et l’étude » : voilà effectivement une des voies à suivre.
Il était important également que ce rapport revînt sur la grande étude publiée en 2017, menée conjointement par l’IGB et par l’IGAENR et consacrée aux parcours et carrières des conservateurs des bibliothèques. Ce rapport avait été remarqué à sa publication, il s’inscrit dans une lignée d’études de l’IGB sur ces sujets, notamment le rapport de 2013, Quels emplois dans les bibliothèques ?, ou celui, plus ancien (2008) mais toujours pertinent dans son approche, sur Les fonctions de direction des services communs de la documentation. Le doyen Lecoq, dans son introduction, insiste sur « la nécessité d’une clarification fonctionnelle entre le rôle dévolu aux personnels en charge du pilotage stratégique et celui confié aux porteurs de la construction opérationnelle », reprenant ainsi une des recommandations importantes du rapport IGB – IGAENR, sur la répartition des rôles entre conservateurs et bibliothécaires. Il est évident qu’à l’heure de l’autonomie des établissements, on a tout intérêt à savoir clairement distinguer les rôles et fonctions des uns et des autres, au risque, sinon, de voir s’appliquer une simple et brutale logique gestionnaire (i.e. comptable), s’appuyant cyniquement ou de bonne foi – mais peu importe après tout, le résultat étant le même – sur des définitions statutaires proches. On revient aussi sur la question de la durée d’exercice d’une direction, évoquant ainsi le mandat limité ou l’emploi fonctionnel, autant de sujets importants et en débat, y compris dans les associations professionnelles. Autant de questions auxquelles il faudra un jour apporter des réponses ; elles ne sont pas attendues des seuls professionnels, elles le sont aussi des établissements de rattachement et de leurs décideurs.
Ne laissons pas pour autant de côté l’importante partie (un tiers environ du volume) consacrée aux missions d’inspection proprement dites. Elle donne, sur les 21 établissements de toute nature inspectés en 2017, d’importantes informations dont on peut évidemment tirer des conclusions plus générales.
On l’a dit en introduction, la lecture de ce rapport est d’une grande richesse. Puisse-t-elle ne pas se cantonner aux seuls cercles professionnels au sens strict. Il serait intéressant que le rapport se retrouve entre les mains des décideurs politiques et administratifs des universités, comme des collectivités territoriales. Il est aussi de notre responsabilité à nous, professionnels des bibliothèques, de le faire vivre, de le mettre en avant et de nous appuyer sur les arguments développés par l’IGB pour porter nos propres projets.