Les bibliothèques médicales montpelliéraines sous l’Ancien Régime

Permanence des auctoritates médiévales dans les bibliothèques modernes

Philippe Demolin-Guillini

Jean-Louis Bosc
Les bibliothèques médicales montpelliéraines sous l’Ancien Régime : permanence des auctoritates médiévales dans les bibliothèques modernes
Marseille, Presses universitaires de la Méditerranée, 2023
Collection « Histoire et sociétés »
ISBN 978-2-36781-470-4

Conçu comme une thèse, l’ouvrage s’ouvre par deux hypothèses que l’auteur se propose de vérifier par l’analyse d’une partie du corpus de la bibliothèque de Médecine de Montpellier.

Ces deux hypothèses ou questions sont celles des « témoins des bibliothèques montpelliéraines modernes qui subsisteraient dans l’actuel fonds ancien » et celle de la « permanence à l’époque moderne de l’intérêt pour les œuvres des auteurs antiques et médiévaux ». Suivent des précisions méthodologiques.

Dans la première partie, une analyse soigneuse des provenances des ouvrages permet de récapituler les grands noms à l’origine des principaux apports à cette bibliothèque.

Un historique est donné de la constitution de la bibliothèque par Henri Haguenot (XVIIIe siècle), personnage central de cette histoire, ainsi que toutes les données contractuelles afférentes : mode de legs, financements, rentes annuelles, mobilier…, etc. Ne sont pas oubliés d’autres contributeurs comme Jean Baptiste-Antoine Rast de Maupas et André Uffroy en particulier.

Puis l’auteur recense et analyse les ex-libris et les ex-bibliotheca afin de cerner la liste de leurs propriétaires et d’apprécier la circulation des ouvrages. Cela lui permet de définir, outre la circulation locale, des circulations lyonnaise, catalane, troyenne et montpelliérano-parisienne. De nombreux tableaux récapitulent toutes ces données. Une dernière partie est consacrée aux possesseurs étudiants en médecine, ce qui nous vaut l’addition de plusieurs autres tableaux synthétiques.

Dans la deuxième partie, l’inventaire étant conclu, l’auteur analyse le contenu des ouvrages répertoriés et en dégage les origines antique, arabo-musulmane et médiévale, fournissant encore de nombreux tableaux afin de dégager les principaux auctoritates. Ceci lui permet d’affirmer la persistance de ces derniers au XVIIIe siècle.

Il pose l’intéressante question de la possible « contamination » du fonds par des ouvrages dont la valeur de collection aurait supplanté la valeur scientifique, c’est-à-dire acquis et conservés par pur goût bibliophilique pour leur rareté ou leur valeur vénale. Selon lui, cette pollution serait marginale.

Les conclusions reprennent les éléments précédents sans apports supplémentaires.

Les annexes sont copieuses et occupent la moitié du livre. On y trouvera des notices biographiques sur les possesseurs identifiés, de très nombreuses planches d’ex-libris, trente pages de cotes de classement, un relevé chronologique des œuvres enseignées du XVIe au début du XVIIIe siècle, un catalogue de la bibliothèque au XVIe siècle et enfin, un recensement des œuvres accessibles au Moyen Âge présents dans le fonds de la bibliothèque de Montpellier et également retrouvés dans des bibliothèques privées.

Le lecteur non spécialiste pourra regretter le manque de notes pour définir ex-libris (le seul courant), ex-dono, ex-legato, ex-bibliotheca… ainsi que survivancier qui ne figure pas aux dictionnaires et correspond à une fonction passagère dénommée sous l’Ancien Régime. D’ailleurs, l’abus de cette fonction s’inscrit dans le cadre du scandale des concours de 1766, événement qui n’est pas détaillé, même par une simple note en bas de page, ce qui est regrettable puisque ces événements ont remis en cause le pouvoir des directeurs d’université et éclairent sur les luttes de pouvoir au sein des écoles, ce qui n’est pas inintéressant. De même l’usage, dès le titre de l’ouvrage, du terme « auctoritate » aurait mérité sa petite allégeance au latin et une définition sommaire.

Si le travail de recherche nous apparaît particulièrement soigné, comme en témoignent les nombreux tableaux fournis et l’apparence exhaustive de la compilation, on peut regretter la sécheresse de la rédaction qui nous interdit tout ressenti des lieux, de la matière des livres et de tout ce qui constitue le charme d’une bibliothèque qui se respecte ; même si cela n’apporte rien au fond, une touche descriptive discrète aurait été en accord avec le soin habituel de l’esthétique des vieux livres. Le portrait d’époque de Henri Haguenot qui figure sur la couverture de l’ouvrage est le seul élément palpable qui nous permette de nous plonger un instant dans l’ambiance du temps de la création de la bibliothèque. L’impression donnée est donc celle d’un inventaire technique et fastidieux de biens courants, ou d’une froide autopsie menée selon des règles intangibles.

Nous nous permettons de relever un certain nombre de « lapalissades » comme le fait que lorsque les ex-libris se multiplient, alors le livre circule… ou lorsque le livre est acquis ou revendu à Montpellier par un étudiant, cela signe sa présence sur les lieux… ou que les circulations locales sont celles restées sur Montpellier (p. 56)… ou encore que la vente d’un ouvrage sur la place de Montpellier amorce sa circulation vers un possesseur secondaire (p. 59).

Les circulations décrites entre les différents pôles universitaires, pour certaines étayées par seulement deux ouvrages repérés, disent peu sur les échanges de l’époque qui n’ont pas attendu le programme Erasmus pour diffuser leurs étudiants de manière prodigieuse dans toute l’Europe. Quant aux possesseurs primaires et secondaires dont il est fait distinction, on ne perçoit pas bien l’intérêt de cette césure quand les ouvrages par nature circulent entre de nombreuses mains.

À noter, mais cela n’incombe probablement pas à l’auteur, une confusion dans la numérotation des chapitres entre les chiffres arabe et latin (pour le 1).

Enfin, la mise en relief de la persistance des auctoritates, fussent-ils antiques ou arabes, tombe sous le sens. La séméiologie médicale moderne reste emplie et imprégnée des observations de médecins ayant exercé il y a plusieurs millénaires. L’auteur a tenté de cerner des points de rupture dans le continuum de l’enseignement de la médecine, mais en démontrerait-il en se fondant sur l’étude d’une ou plusieurs bibliothèques, cela ne prendrait pas en compte les autres voies d’enseignement, si variées et riches dans cette discipline.