En communs

Une introduction aux communs de la connaissance

par Roseline Drapeau

Hervé Le Crosnier

C & F éditions, collection « Blogollection », 2015, 252 p.
ISBN 978-2-915825-60-2 : 19 €

Dans ce recueil, Hervé Le Crosnier propose un florilège de ses articles publiés dans différentes revues, des communications de conférences et des billets de sites internet, sur le sujet des communs (en anglais, commons).

L’ouvrage est divisé en deux parties. La première partie regroupe des textes, qui traitent le sujet dans sa globalité ; la seconde partie concentre les textes publiés dans des revues professionnelles des bibliothèques et de la documentation et est donc plus en lien avec le métier.

Traduction française de la notion anglaise de commons, les communs, ou l’en-communs, sont toutes les ressources, libres de droit, entretenues et partagées par une société, au bénéfice de tout un chacun. Comme le rappelle H. Le Crosnier, « on peut parler de communs dès lors qu’il y a une activité collective pour créer, maintenir et offrir en partage des ressources ».

Toujours d’après H. Le Crosnier, il existe différents types de communs, matériels (biens fonciers, par exemple) ou immatériels (biens intellectuels, par exemple), et ils doivent répondre à quatre critères :

  • la nature de la ressource offerte en partage ;
  • les risques d’enclosure sur cette ressource (c’est-à-dire les risques de retirer la ressource de l’en-commun) ;
  • les règles de droits et les formes de propriété qui s’appliquent, et le cas échéant les contrats ou licences qui organisent les conditions de partage du commun ;
  • les formes de gouvernance adoptées par les communautés gérant ce commun spécifique.

Certains communs sont additifs, ce qui veut dire qu’ils sont dans une logique d’accroissement : par exemple, les savoirs et les connaissances. D’autres communs sont soustractifs, c’est-à-dire qu’ils sont dans une logique de décroissement, voire d’épuisement : par exemple, les ressources naturelles. En grande majorité, on retrouve les communs dans les domaines suivants : l’écologie, les sciences, la musique, l’informatique (logiciels libres), le numérique et l’internet.

Dans l’Angleterre du XIIIe siècle, les commons sont des biens naturels comme le bois de chauffage qui pouvait être ramassé par les plus démunis, ou la possibilité de laisser paître les moutons sur une terre qui n’est pas la sienne. Dans ces exemples, les commons sont des règles de tolérance sur des biens fonciers, émises implicitement ou non, au nom du bien-vivre ensemble. Mais, quand le gouvernement de Jean Sans Terre décide de légiférer sur ces biens, en les privatisant, il les délimite alors dans des enclos – substantif qui sera utilisé comme radical pour la notion d’enclosure. Cette privatisation sera la source de révoltes dans l’Angleterre de l’époque.

En France, au XVIIIe siècle, les commons désignent aussi les productions intellectuelles d’une société. Par exemple, dans le projet d’écriture de l’encyclopédie, il y a cette volonté de répertorier et de partager des connaissances scientifiques et philosophiques.

L’essor d’internet dans les années 1990, 2000 et 2010 change aussi la donne : les commons sont confrontés à un nouveau défi. Des entreprises comme Google ou Wikipedia souhaitent universaliser les connaissances et les rendre accessibles à tous ; idée qui se confronte aux législations qui régissent la propriété intellectuelle des œuvres.

Ces dernières années, du côté du monde de la recherche, les scientifiques souhaitent de plus en plus partager leurs publications en accès libre, ce qui contrarie les éditeurs.

En informatique, l’idée qu’un logiciel ne peut être le bien d’une personne mais le bien de tous, et que tout le monde peut l’améliorer et l’utiliser, donne naissance aux logiciels libres et au label des Creative Commons.

Dans les politiques du XXe siècle, les communs sont confrontés à la difficile compatibilité avec le capitalisme. En effet, ce dernier tend à donner une valeur pécuniaire à tous les biens. À l’inverse, la notion de communs est reprise par les mouvements écologistes, qui veulent limiter les gaspillages, établir un meilleur partage et combattre les risques d’épuisement des ressources naturelles.

H. Le Crosnier évoque les courants de pensées qui sillonnent la notion des communs.

Il rappelle qu’en 1968, Garrett Hardin publiait La tragédie des communs, un ouvrage dans lequel l’auteur soutient la thèse que « le libre usage des communs conduit à la perte de tous ». Hardin préconise d’encadrer l’usage des communs et de développer toutes formes d’enclosures. Ce que dénonce en 2003 le professeur de droit spécialiste sur la propriété intellectuelle, James Boyle.

En 2009 vient la consécration, lorsque l’économiste Elinor Ostrom reçoit le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur les communs. Elle soutient une thèse clairement opposée à celle de Hardin, qui est la suivante : « Les gens confrontés jour après jour à la nécessité d’assurer la permanence des communs qui sont le support de leur vie ont bien plus d’imagination et de créativité que les économistes et les théoriciens ne veulent l’entendre. »

Concernant ce livre, sa faiblesse tient à sa forme même : c’est la redondance des informations transmises et le point de vue unique présenté. En effet, la sélection des articles sur un même sujet et écrits par un même auteur développe l’impression qu’il s’agit d’un unique texte remanié sous différents angles. Au final, l’information qui passe est toujours la même et peut induire une certaine lassitude chez le lecteur.

Passé la lecture (incontournable !) de l’introduction, qui reprend toutes les bases à connaître sur les communs, l’intérêt pour les professionnels du monde des livres et des bibliothèques vient de la seconde partie du livre, qui traite exclusivement des communs présents dans notre métier et de leurs enclosures (les ressources numériques, la propriété intellectuelle, les logiciels libres, les publications scientifiques…).