Le fil des récentes dépêches les plus lues de LivresHebdo[1] dessine mine de rien une réflexion sur l’avenir des bibliothèques.
D’un côté Jacques Attali fustige la vision rétrograde des gens du livre qui ont transformé le projet de TGB numérique en une BNF antédiluvienne et mal commode[2]. Sa vision de l’évolution du petit monde de l’édition en France est stimulante. Mais rien sur le rôle de la bibliothèque dans la publication en Accès ouvert[3] (la réussite de Couperin me semblait pourtant notoire !), dans la formation des élèves et des étudiants et dans l’accès universel à des ressources documentaires sur tous supports neutres et pluralistes. Etrange paradoxe : la partie de l’élite académique qui voulait tant « sa » bibliothèque, sans doute la même qui reste scotchée au cours magistral[4], à la culture du cuit contre celle du cru[5], se rue vers un numérique mal maîtrisé où la bibliothèque n’aurait plus qu’une place résiduelle, façon CDI. Sur le fond, on pourrait penser que l’appropriation de la bibliothèque par le peuple, politique suivie avec une constance cahotante depuis 1945, en a fait une institution obsolète pour cette partie de l’élite qui estime, péremptoire, que tout est sur le net.
De l’autre explose la colère des bibliothécaires français participant au congrès de l’IFLA orphelins de leurs (trop ?) nombreux ministres de tutelle[6]. Légitime en termes de savoir-vivre institutionnel, elle révèle aussi, qu’ils restent collectivement, malgré des initiatives individuelles remarquables, encore trop dans l’attente, voire dans l’ombre, d’une prescription de l’Etat, des collectivités voire des syndicats, qu’ils pourront par ailleurs contester. Or c’est la prescription des usagers, qui doit guider leur action. Les bibliothécaires doivent anticiper une hypothétique réforme de l’Etat qui n’aura pas la bibliothèque comme centre d’intérêt premier et donner un libre cours bien plus grand à leur capacité d’initiative qui est sans doute l’une des formes que prend la liberté d’entreprendre dans la fonction publique
Notre précédente contribution Ouvrir pour faire société : la bibliothèque reprogrammée[7] développe de manière plus approfondie le rôle de la bibliothèque, institution pilier d’une société démocratique à l’ère du numérique. L’extension des horaires samedi et dimanche et au moins 70h par semaine représente le premier pas d’une reconquête de publics disparus ou orphelins, corroborée par l’annonce de l’ouverture des musées 7 jours sur 7[8]
La campagne pour la large ouverture des bibliothèques doit se poursuivre et ne pas tomber dans les oubliettes du conformisme de l’obstacle insurmontable de la technostructure. Mais les bibliothécaires ne sauraient se contenter de cette modeste avancée. Affirmer avec force et constance le bibliothécaire dans le rôle de médiateur, de décodeur, de décrypteur de la culture informationnelle constitutive de la citoyenneté à l’ère du numérique et ouvrir le débat sur le modèle économique et la gratuité de la bibliothèque nous semblent des priorités. Ces thèmes pourraient faire l’objet de prochaines contributions
L’avenir de la bibliothèque dépend beaucoup de celles et ceux qui l’animent, usagers comme professionnels
[1] In : LH du 23/08/2014
[2] In : Blog de Jacques Attali Amazon, et après ?
[3] In : Blog Marlene’s Corner Quels changements pour les BU quand l’OA primera ?
[4] In : Le Monde du 28/08/2014 La classe résiste magistralement
[5] In : Rapport Miquel sur les BU, Documentation française, 1990
[6] In : Livres Hebdo Des bibliothécaires en colère
[7] In : Contributions BBF en ligne du 17/06/2014 Titre inspiré par l’article The library reboot (le redémarrage de la bibliothèque) de Richard Monastersky in : Nature du 27/03/2013
[8] In : Le Monde du 25/07/2014