Faire face aux aléas géographiques et climatiques dans la conception d’espaces de conservation

Bérengère Giaux

Les archives sont intimement liées au territoire, elles conservent son histoire, ses histoires, collectives et intimes. Créées à la Révolution française, les Archives départementales entretiennent un lien particulièrement étroit avec le territoire, et leurs sites d’implantation sont souvent stratégiques, aussi bien sur le plan géographique que social ou culturel.

L’implantation d’un bâtiment d’archives n’est jamais anodine et est pensée en fonction d’un certain nombre de critères, qu’ils soient techniques ou politiques, environnementaux ou sociologiques.

Les archives ont longtemps été conservées dans des édifices religieux, eux-mêmes très inscrits dans un territoire et souvent dans une géographie. Elles bénéficient depuis de leurs propres bâtiments, dont l’architecture a beaucoup évolué, passant de bâtiments administratifs impressionnants et parfois intimidants, à des bâtiments ouverts sur la ville et intégrés à des dynamiques culturelles (centres de mémoire, pôles culturels, centres de recherche, etc.). Cette logique de pôle est particulièrement adaptée aux archives dont les domaines touchent plusieurs champs de l’histoire ancienne et contemporaine, de la mémoire et de la justice, de l’identité et de la culture. Ainsi, le rapprochement presque naturel entre bibliothèques et archives est sensiblement fécond et efficace pour la création de centres de recherche et de documentation, notamment à proximité des universités 1

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Voir sur FranceArchives, portail national des Archives, le rapport Qui sont les usagers en ligne communs entre les Archives et la BnF ? (2022) : https://francearchives.gouv.fr/fr/article/677845362

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En amont du site d’implantation à proprement parler, chaque territoire réfléchit à sa politique d’aménagement et définit le lieu le plus approprié à la communication de ses archives, en fonction des opportunités, des contraintes géographiques et des attentes locales. Les stratégies et possibilités sont nombreuses tant les archives offrent de champs d’études. Implanter un bâtiment d’archives peut permettre de créer du lien social (généalogie, histoire locale, état civil, etc.), de développer l’offre culturelle (expositions, conférences, événements, etc.) ou de recherche (histoire, politique, sociologie, etc.).

Le choix du site d’implantation – l’impact géographique sur les archives

Accessibilité et opportunités

Communiquer les archives publiques est une obligation, et le sens même de pourquoi on les conserve. L’accessibilité est donc naturellement l’un des premiers critères d’appréciation du site. Avant d’être retenu, un site sera analysé au regard de son positionnement dans le réseau de transports et de mobilité.

On regardera ensuite son environnement et ses opportunités. Quels sont les autres services culturels à proximité ? Y a-t-il des universités, des bibliothèques, des musées, des services archéologiques ou autres avec lesquels les archives pourraient dialoguer et compléter une offre culturelle ? La collectivité pourra également étudier les occasions de redynamiser un quartier, réutiliser un bâtiment, ou encore de créer du lien social au sein de quartiers prioritaires.

Cette ouverture et l’accueil de tous les publics ont fait l’objet de multiples initiatives des services d’archives qui portent aujourd’hui leurs fruits. Des expositions aux ateliers pédagogiques, de l’animation de réseau de passionnés à l’accueil des scolaires et des associations, les Archives s’ancrent dans le territoire aussi en créant du lien avec le public, et en réduisant la distance involontaire qui a pu souvent être créée par le fantasme de lieux secrets réservés à une élite de chercheurs et d’historiens.

Pour ces raisons, le choix se portera rarement sur un site isolé, ou enclavé, contraire à la vocation de communication des Archives publiques et de leur mise à disposition des citoyens. On cherchera au contraire des sites capables de s’ouvrir au plus grand nombre.

Sécurité / sûreté

Mais ce critère d’ouverture est à mesurer, que ce soit en centre-ville, en quartier prioritaire, ou au sein de campus, à l’aune de la sécurité. Parce que les archives définitives sont des documents uniques, d’une grande valeur patrimoniale, parfois sensibles sur le plan stratégique ou politique, considérées par la loi comme trésors nationaux, leur sécurité est une préoccupation majeure. Il faut concilier accessibilité et consultation par le grand public avec sécurité des documents contre le risque humain. Celui-ci peut être urbain, collectif, comme tout bâtiment public, lors d’émeutes urbaines, intentionnel (intrusion, dégradations, vol, vandalisme, etc.) aux motivations diverses, ou involontaire (dégradations involontaires lors de la consultation) 2

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Voir : Yann Brun et coll., La sûreté du patrimoine archivistique, 2e édition, publication du ministère de la Culture, Direction générale des Patrimoines, Service interministériel des Archives de France, 2018, disponible en ligne sur FranceArchives : https://francearchives.gouv.fr/file/1742309db927b74dd57fdafea670fa9f1c568842/MCC-Vademecum2018-v4.pdf

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L’accessibilité des services de police et de secours est donc également prise en compte dans le choix du site, tout comme la sécurité des accès et les dispositifs anti-intrusion.

Risques technologiques

Dans cette même logique de mise en sécurité des documents uniques, on étudiera les risques technologiques comme la proximité d’usines, de transports de matières dangereuses, etc.

Le risque d’incendie est pris en compte dans cette étude des risques technologiques mais également dans la conception des bâtiments. On veillera à limiter la surface par magasin, à prévoir des structures coupe-feu, et tous dispositifs contre le risque d’incendie. À la sécurité des personnes contre le risque d’incendie s’ajoute la sécurité des biens patrimoniaux contre ce même risque, et toute conception d’un bâtiment d’archives se fera en étroite collaboration avec les Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’utilisation de panneaux photovoltaïques. Particulièrement propices pour les régions ensoleillées, les panneaux photovoltaïques représentent néanmoins un risque électrique et de possibles départs de feu. Sans les proscrire d’emblée, on étudiera leur implantation au cas par cas, en privilégiant un emploi sur toitures terrasses parfaitement coupe-feu et en évitant généralement un emploi sur toitures légères ou sur des monuments historiques.

Risques naturels : l’eau, la géotechnique, les catastrophes naturelles

Enfin, dans cette étude des risques, les risques naturels occupent une place déterminante.

La nature du sol en premier lieu. Les archives ont un poids considérable, et il est incontournable de s’assurer que le sol est en capacité de les porter, avec quel type de fondations, et sous quelles conditions de mise en œuvre. Cela impacte la faisabilité de l’implantation mais également son coût. La conservation d’archives en sous-sol est proscrite la plupart du temps en raison des risques sur les structures et surtout du risque d’infiltration d’eau. On évitera bien sûr les sols présentant des risques d’argiles gonflantes, les carrières, et tous les sols inadaptés. Dans des régions présentant un fort risque d’inondation, le sujet est particulièrement sensible et il s’agit dès lors de trouver la meilleure solution, en recourant parfois à des moyens particuliers.

Le risque d’inondation est le plus problématique pour les archives. En effet, l’humidité et l’eau sont les pires ennemis du papier, composante majeure si l’en est des archives. On veillera ainsi à étudier finement la géographie du site pour ne pas s’implanter sur des terrains présentant un risque de glissement, on identifiera la présence de nappes phréatiques et l’éventuel risque de remontée. La parfaite étanchéité à l’eau des magasins est une exigence absolue. Dans les régions particulièrement pluvieuses, le traitement des toitures et leur étanchéité feront l’objet d’une attention redoublée.

Enfin, dans cette prise en compte de l’environnement du bâtiment, on veillera également au risque biologique et animal, toute entrée de pollens ou d’insectes étant dangereuse pour les documents d’archives.

La prise en compte du climat

La part d’espaces dédiés à la conservation et non accessibles au public est très largement majoritaire dans un bâtiment d’archives, et la prise en compte du climat y est un enjeu majeur. Très sensibles aux variations d’humidité et de température, les archives ont besoin d’être conservées dans un environnement climatique stable. Afin d’atteindre cet objectif, la stratégie de contrôle climatique d’un bâtiment d’archives sera de fait rapportée au climat dans lequel il s’implante. Les recommandations du Service interministériel des Archives de France (SIAF) ne seront donc pas les mêmes en climat tropical qu’en milieu tempéré. Les Règles de base pour la construction et l’aménagement d’un bâtiment d’archives sont disponibles en ligne sur le portail FranceArchives 3

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L’objectif recherché pour les espaces de conservation est la meilleure inertie thermique possible, avec une grande exigence en termes de perméabilité à l’air, et un traitement de l’air efficace. Plus le magasin est étanche avec une bonne inertie thermique, moins les systèmes de traitement d’air, indispensables dans la plupart les cas, seront consommateurs. C’est pour cette raison que les magasins d’archives sont le plus souvent aveugles, afin de limiter l’apport de chaleur ou la déperdition, le rayonnement solaire étant par ailleurs problématique pour la conservation du papier et des encres.

Pour atteindre l’efficacité et la stabilité climatique, certains bâtiments ont été conçus sur le modèle dit « thermos » avec un système de double peau comme à Grenoble pour le bâtiment des Archives départementales de l’Isère 4

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Voir : France Saïe-Belaïsch, Aurélien Conraux et Coline Silvestre (dir.), Architectures d’archives en France : 2013-2020, 5e édition, Paris, Ministère de la Culture, Service interministériel des Archives de France, 2021.

où le volume d’air pris entre les deux peaux du bâtiment et formant une galerie est particulièrement efficace. Ce système de double peau a été également utilisé pour les nouvelles Archives départementales du Vaucluse ou encore pour la réhabilitation des Archives départementales des Pyrénées-Orientales, ce qui a permis par ailleurs de ne pas modifier les façades du bâtiment labellisé « Architecture contemporaine remarquable » (ACR).

En région tropicale, par exemple en Guyane, en plus de la double peau, l’usage de vêture ajourée en bois entourant les façades permet de profiter des vents dominants pour ventiler la façade tout en servant de brise-soleil.

Pour les régions bénéficiant d’un bon ensoleillement, l’utilisation de panneaux photovoltaïques, quand elle est possible, est une bonne solution comme on l’a vu plus haut. Les toitures peuvent également être végétalisées sous certaines conditions, en premier lieu la parfaite étanchéité à l’eau. C’est le cas aux Archives départementales du Nord, à Lille, où la toiture est à la fois végétalisée et munie de panneaux photovoltaïques. Enfin, en vue de minimiser la surchauffe de toitures et des façades, l’usage de teintes claires et de dispositifs à effet albédo (pouvoir réfléchissant d’une surface) élevé est recommandé.

Prendre en compte le climat, c’est également prendre en compte le risque de catastrophes naturelles, comme à Mayotte pour le risque cyclone, ou à Grenoble pour le risque sismique. L’usage du béton reste aujourd’hui la solution la plus adaptée pour répondre aux exigences particulières à la fois de résistance mécanique et de résistance au feu que demande un magasin d’archives. Il est toutefois possible d’expérimenter d’autres systèmes constructifs et d’autres matériaux, notamment dans les parties du bâtiment d’archives que sont les zones de travail et les zones ERP (établissements recevant du public). Dans le futur bâtiment des Archives de Mayotte, les architectes ont ainsi prévu des murs en briques de terre crue pour les zones de bureaux, tandis que les enduits chaux-chanvre sont également de plus en plus utilisés en métropole, tout comme le bois pour les parties ERP, souvent décorrélées des magasins et sur un seul niveau.

L’usage de la pierre et d’autres matériaux denses à forte inertie thermique sont des champs d’exploration pour les zones de conservation.

L’impact des bâtiments d’archives sur leur environnement

L’interaction d’un bâtiment d’archives avec son site est multiple, en premier lieu physique dans un rapport de contenant à contenu. Par la proportion des volumes de conservation qu’il déploie, un bâtiment d’archives départementales a un impact très fort sur le paysage et nécessite souvent de grands terrains avec, de plus, la nécessité de prévoir des réserves foncières pour des extensions futures en vue de l’accroissement constant des archives, en dépit de la place croissante du numérique.

Implanter un bâtiment d’archives est donc très impactant sur le paysage, et les architectes doivent gérer cette échelle pour insérer au mieux les volumes de conservation dans l’environnement.

Tout comme les bibliothèques, l’architecture des bâtiments d’archives a beaucoup varié. Certains bâtiments sont devenus des marqueurs forts du paysage urbain : c’est le cas à Rouen, d’autres ont été labellisés « Architecture contemporaine remarquable », comme le bâtiment des Archives départementales de la Mayenne par exemple, d’autres encore intimident toujours.

La tour des Archives de Rouen, qui abrite les Archives départementales de la Seine-Maritime, marque incontestablement le paysage urbain, tout comme l’extension à venir des Archives nationales sur le site de Pierrefitte, déjà très habilement insérées dans la trame urbaine malgré des volumes de conservation exceptionnellement grands.

D’autres bâtiments d’archives sont connus du grand public pour leur signature architecturale, les rendant facilement identifiables. On peut penser aux Archives de l’Hérault de Zaha Hadid, à celles de la Mayenne de Dominique Perrault, ou encore à celles de Dunkerque avec l’intervention de Pierre-Louis Faloci. Il y a ainsi une forte interaction en termes d’images et de paysage urbain.

L’interaction est également sociale. Tout un chacun est susceptible d’être concerné et de venir aux archives pour des recherches professionnelles mais également pour des recherches plus intimes.

L’interaction peut enfin être de l’ordre de l’identité collective et du sensible. Le fait que les Archives de Vaucluse aient été si longtemps conservées au Palais des papes d’Avignon leur confère un statut particulier dans l’imaginaire collectif, et leur déménagement dans le nouveau Pôle des patrimoines de Vaucluse, Memento, n’est pas sans susciter une certaine émotion. Implanter les Archives ou basculer la mémoire d’un endroit à un autre n’est jamais un acte anodin. Il y a ainsi une forte charge symbolique, les vidéos de la destruction (planifiée) du bâtiment des Archives de Géorgie, à Atlanta (États-Unis), ont quelque chose d’immédiatement émouvant, même s’il ne s’agit que du bâtiment vide. L’effondrement dramatique des Archives de Cologne, cette fois-ci accidentel, et emportant avec lui des documents parmi les plus importants de la mémoire allemande, avait provoqué beaucoup d’émotion. Tout comme les tours d’habitation abritent les souvenirs de vie, les bâtiments d’archives abritent la mémoire collective et les preuves de notre identité.

Pour marquer ce lien d’identification du contenant au contenu, des archives au territoire, et vice versa, certains font le choix de se référer directement à l’architecture vernaculaire, aux matériaux locaux ou à l’histoire territoriale. Combinée à une approche vertueuse sur le plan écologique, cette approche contemporaine permet d’ancrer un peu plus les bâtiments à leur site d’implantation comme les Archives de Guyane 5

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Architectures d’archives en France : 2013-2020, op. cit.

, les futures Archives de Mayotte, ou encore celles, futures, de Wallis. À l’échelle communale, les municipalités peuvent saisir des occasions de redynamiser un bâtiment ou un quartier, comme l’illustrent les exemples particulièrement réussis de Dunkerque ou de Bordeaux. C’est le cas également à Montbéliard avec le projet de réhabilitation du château de Wurtemberg, ou à Épinal sur l’ancienne friche Bragard.

Les enjeux de demain

La crise climatique nous amène à repenser nos façons de construire. Comprendre la géographie et le climat est fondamental pour penser les bâtiments de conservation. Tout comme le confort d’été prend une part toujours plus importante et est au cœur des réglementations environnementales, le bilan carbone et l’analyse du cycle de vie des bâtiments sont des préoccupations auxquelles il faut répondre pour minimiser l’impact du bâtiment sur son climat et son environnement tout en maximisant le recours aux ressources locales et renouvelables.

Dans certaines régions, les épisodes violents deviennent de plus en plus fréquents, et des événements comme le cyclone Chido nous rappellent à quel point il est nécessaire de nous doter de constructions résistantes, voire résilientes.

Entre résistance, résilience et culture du risque, les constructions doivent être pensées dès leur conception pour résister mais il est également indispensable de les penser en termes de maintenance et d’adaptations. Tout comme Paris anticipe une grande crue, chaque territoire évalue ses risques et met en place un Plan de sauvegarde des biens culturels (PSBC) afin de se préparer à ce qui pourrait advenir d’inévitable. Bien sûr, dans ce contexte, les bâtiments anciens sont au cœur des préoccupations, et les plans d’urgence sont d’autant plus importants pour ceux qui ne sont pas adaptés aux conditions actuelles. Les Grands Dépôts des Archives nationales de Paris n’échappent ainsi pas à la règle.

Les lieux et paysages de mémoire, auxquels la revue Monumental dédiait un numéro entier en 2024 6

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Monumental 2024-1, « Lieux et paysages de mémoire », Éditions du patrimoine – Centre des monuments nationaux. https://www.monuments-nationaux.fr/editions-du-patrimoine/les-ouvrages/monumental-2024-1.-lieux-et-paysages-de-memoire#les-atouts-du-livre

, nous sont indispensables pour vivre le présent et imaginer notre avenir. À l’ère du numérique, notre rapport à la mémoire et au temps est profondément bouleversé, mais la géographie et le climat nous ramènent à la réalité chaque fois que nous serions tentés de vouloir les contourner. Conserver la mémoire du territoire est un enjeu aujourd’hui pour pouvoir la communiquer demain aux générations futures, et cela ne peut se faire en contradiction avec les composantes mêmes de ce territoire – son climat, sa géographie, sa population. Le numérique peut nous aider à réduire l’impact physique, en réduisant peut-être à terme les volumes à conserver, mais également à nous fournir des outils à la fois de modélisation du climat, de prévention des risques, et surtout de dimensionnement des installations pour consommer moins et mieux.