Les médiathèques du Haut-Lignon : un réseau Pays-Lecture en territoire de confins
« Certaines régions sont destinées, par leur position géographique, à évoluer seules. » (André Trocmé, Le visage et l’âme du Chambon-sur-Lignon, 6 hors textes en xérographie, Messageries évangéliques Distributeur, réédition sur les presses de l’atelier Longs Processus aux confins du Plateau, 2025.)
Le plateau Vivarais-Lignon, un territoire rude et protecteur
Plantons tout d’abord le décor. Le Plateau, avec une majuscule, désigne le vaste relief du Vivarais-Lignon, situé au sud-est du Massif central, perché entre 850 et 1 200 mètres d’altitude, aux confins de la Haute-Loire et de l’Ardèche. Son relief est formé de vastes étendues ondulées, héritées de l’érosion de roches volcaniques et granitiques. Les paysages sont ponctués de sucs volcaniques, témoins d’anciens épisodes éruptifs.
La région est traversée par le Lignon du Velay, affluent de la Loire, qui donne son nom audit plateau. Les paysages ouverts offrent de larges horizons, avec une visibilité parfois jusqu’aux Alpes. La faible densité de population contribue à préserver l’environnement naturel, et son isolement relatif a favorisé la conservation d’une identité culturelle et paysagère forte.
Le climat est une composante non négligeable du décor : il est de type montagnard, avec des hivers froids et neigeux et des étés relativement frais. L’exposition aux vents, à la Burle (violent vent du nord), renforce la rigueur hivernale. Associé à l’infertilité des terres et aux conditions naturelles très uniformes, il explique une certaine monotonie dans l’occupation des sols. Ce sont surtout les prairies qui composent l’essentiel de l’espace agricole. Le couvert forestier est une autre caractéristique marquante du territoire. Si le Nord a connu une forme d’industrialisation, la partie sud du territoire, plus reculée de l’agglomération stéphanoise et des voies de communication, est moins marquée par l’urbanisation récente, elle conserve un caractère foncièrement rural et où la vocation touristique s’impose davantage.
Il est sur ce territoire une frontière assez imperceptible qui est celle de la ligne de partage des eaux. Elle désigne la division d’un territoire en différents bassins versants. De chaque côté de cette ligne, les eaux s’écoulent dans des directions différentes. Côté Ardèche, le plateau fait partie du versant méditerranéen, alors que la partie altiligérienne, avec l’emblématique Lignon, affluent de la Loire, appartient au versant atlantique. Si cette frontière ne trouble guère la vie culturelle, elle est au contraire fort stimulante, elle a été équipée d’un parcours artistique de huit œuvres à ciel ouvert, réalisées par huit artistes contemporains sur huit sites exceptionnels. L’eau n’est pas un sujet anecdotique en Vivarais-Lignon : les inondations ont été une réalité à gérer pour les médiathèques en 2024 avec la crue centennale du Lignon le 17 octobre. Le site de Tence a dû être évacué avec la crue de la Sérigoule et celui du Chambon-sur-Lignon a été inondé, fermé pendant plusieurs mois et rouvert en mode dégradé jusqu’à aujourd’hui. La porosité du monde de la lecture publique à son environnement n’est heureusement pas toujours aussi directe ; néanmoins les équipes se saisissent des enjeux de sensibilisation écologique. Les nombreux partenariats avec les associations locales permettent de contribuer grâce à l’offre documentaire mais également à la médiation et l’aménagement des espaces. Le jardin de la médiathèque de Tence est, par exemple, labellisé depuis 2021 « Refuge LPO » 1
Ligue pour la protection des oiseaux : https://www.culture.gouv.fr/thematiques/transition-ecologique/Centre-de-ressources-Transition-ecologique-de-la-Culture/Labels-normes/Labels-normes-Biodiversite/label-lpo
En bref, le Plateau est un territoire excentré, où les conditions de vie sont rudes mais non dénuées de charme, surtout en été. Ces composantes ont contribué à en faire le théâtre d’une histoire singulière.
Une image contenant plein air, paysage, nuage, arbre Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 1. Le plateau Vivarais-Lignon
Photos : Laurent Picq
En effet, la somme des caractéristiques géographiques (l’altitude, le climat, l’éloignement des grands pôles urbains, auxquels s’ajoutaient au début de XXe siècle la rareté des voies d’accès et la précarité de leur entretien, en hiver notamment) et socio-économiques (le caractère rural et agricole et l’économie autarcique) a fait de cette région un endroit où il a été possible de se mettre à l’abri et de survivre sur place.
La géographie et l’histoire sont ainsi indissociables, comme en témoignent les premiers éléments muséographiques du Lieu de Mémoire, ce lieu de transmission de l’histoire de la « montagne refuge » situé au Chambon-sur-Lignon : la première salle offre aux visiteurs une carte du Plateau.
Considéré comme une forteresse protestante, celui-ci est profondément marqué par l’histoire de la Réforme depuis le XVIe siècle 2
Alain Pélissier, pasteur de l’Église protestante unie de France, brochure Un regard engagé, 2017 • Patrick Cabanel, Philippe Joutard, Jacques Semelin et Annette Wieviorka (dir.), La Montagne refuge : accueil et sauvetage des juifs autour du Chambon-sur-Lignon, Albin Michel, 2013.
Le goût de la lecture, profondément ancré dans la géographie et l’histoire du Plateau
Le protestantisme a transformé en profondeur l’Église et la société. En 1517, il a renversé les autorités : « Ce n’est pas un homme [le pape] qui doit gouverner, mais un texte [la Bible]. » 3
La lecture obligée de la Bible marqua le début de la Réforme, et cette pratique a modelé les terroirs huguenots. Le Vivarais-Lignon, très anciennement acquis à cette cause, n’échappa pas à cette influence, d’où l’importance accordée ici à l’enseignement des enfants, aux livres et à la lecture.La création de librairies, dès la fin du XIXe siècle, dans ces lieux réputés ruraux et « rustres » est une singularité et un héritage de ce lien à l’écrit. La première librairie-papeterie laïque, Bard, voit le jour en 1896 au Chambon-sur-Lignon à l’initiative de Samuel Bard ; l’établissement est toujours actif.
Très logiquement, en ce pays protestant, la presse écrite, les brochures, livres de cultes, essais théologiques circulent en nombre : L’Écho de la Montagne, Journal de la Fédération protestante du plateau de la Haute-Loire et de l’Ardèche 4
[consultables à la Bibliothèque nationale de France], ou encore Le Lignon, un bimensuel dirigé par Marthe et Pierre Zuber, sous l’égide de Théodore de Félice, dans lequel sont partagés les horaires de cultes, les annonces de conférences et critiques littéraires, témoignant du dynamisme intellectuel local.C’est encore Marthe Zuber qui prendra la gérance d’un comptoir de librairie qui se présente comme une librairie volante, sillonnant le Plateau à la sortie des cultes. Le comptoir devient la Librairie évangélique du Velay, au Chambon- sur-Lignon, en 1934.
En 1985, à Tence, Chantal et Olivier Gruyer créent la librairie La Boîte à Soleils, alors que dans la même période, rappelons-nous qu’une librairie créée à Yssingeaux, sous-préfecture du département, à la population bien supérieure à celle du Plateau, ne trouvait pas son public. Pendant trente-quatre ans, le couple tient les rênes de leur belle affaire transmise en mai 2019 à Sandrine Charreau.
En 1993, L’Eau Vive, une autre librairie confessionnelle, toujours en activité, voit le jour au Chambon-sur-Lignon.
« Les librairies donnent à lire, à penser, à douter » 5
dans ces grands espaces éloignés de tout, leur présence et leur dynamisme illustrent de façon intéressante le lien au monde que cultivent les habitant.es et leur acuité par exemple face à la montée du péril nazi. Ainsi, en 1940, les libraires vendaient un opuscule intitulé Le village sur la Montagne. Tableau de l’Église fidèle sous le régime nazi, de Johan Maarten, qui évoque l’attitude de résistance spirituelle d’un village luthérien allemand contre le nazisme. Le texte, repris dans L’Écho de la Montagne, publication lue individuellement et publiquement, inspire et marque les esprits, et illustre, a posteriori, le ciment de l’accueil des réfugiés. Ce sont des exilés politiques, dès la fin des années 30, des Français qui fuient la défaite puis l’Occupation et enfin les ressortissants français et étrangers juifs, qui viendront se mettre à l’abri sur le Plateau. À la sensibilité et à l’ouverture d’esprit des gens du Plateau, il faut ajouter l’inventaire des critères géographiques et socio-économiques qui ont permis la mise en œuvre des actions de sauvetage pendant la Seconde Guerre mondiale.Les chaînes de solidarité qui se sont mises en place sont protéiformes, organisées dans les milieux religieux, caritatifs, politiques. Elles se sont construites au début du XXe siècle, puis structurées à l’initiative de figures charismatiques et éclairées qui sont allées chercher des appuis financiers et logistiques auprès de nombreuses associations. Cela a permis d’accueillir, de nourrir, d’instruire (pour les enfants isolés) pendant plusieurs années des milliers de personnes. Ces actions des habitant·es du Chambon-sur-Lignon et des communes voisines ont été reconnues en 1990 par le diplôme collectif de « Justes parmi les Nations », remis par Yad Vashem pour les communautés non juives qui ont sauvé des personnes juives au péril de leur vie et sans contrepartie.
La tradition d’accueil du plateau Vivarais-Lignon est également perpétuée aujourd’hui avec la présence d’un CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile). Les réfugié·es accueilli·es sont des publics auxquels les équipes des médiathèques, avec l’aide des bénévoles très investi·es, proposent des ateliers spécifiques. Les fonds documentaires en versions originales ont été enrichis avec l’arrivée, en 2022, d’une centaine de personnes de nationalité ukrainienne. Les outils numériques et bureautiques, l’accès au wifi sont des aides importantes pour les communautés allophones qui séjournent sur le territoire.
Les chemins de migrations internationales continuent à conduire des centaines de personnes sur les hautes terres du Plateau.
Attractivité touristique et dynamisme intellectuel
La géographie et la qualité de l’air des lieux présentent un intérêt sanitaire de premier plan repéré dès le début du XXe siècle. Ainsi, le pasteur Louis Comte choisit d’implanter sur le Plateau l’action caritative et sanitaire de « l’Œuvre des enfants à la montagne », permettant ainsi à des jeunes de familles pauvres de Saint-Étienne et de Lyon de bénéficier d’un séjour au vert. En parallèle, l’offre d’accueil se structure dans les fermes et se professionnalise dans les villages : restaurants, pensions et hôtels fleurissent. L’arrivée d’une ligne de chemin de fer en 1902, reliant le Plateau à la vallée du Rhône et à la région stéphanoise (par extension Lyon et Paris), facilite l’accès à cette région montagneuse du Massif central, contribuant ainsi au développement du tourisme. Le plateau Vivarais-Lignon, reconnu pour la qualité de ses paysages, devient au début du XXe siècle un lieu de villégiature prisé aussi des intellectuels et artistes. Il demeure aujourd’hui un lieu d’inspiration : en témoignent la succession des résidences éphémères ou permanentes de nombreux artistes.
Les visiteurs s’étonnent souvent de l’abondance des publications locales, de la qualité et du nombre de nos structures de lecture publique(cinq médiathèques, voire sept si on ajoute les points lectures), de nos librairies (cinq en Haut-Lignon), imprimeries et maisons d’édition. D’une manière générale, le Plateau a une activité touristique intense, constituant depuis plus d’un siècle une activité économique primordiale pour les habitant·es, les entreprises et les commerces locaux.
La chaîne du livre est entièrement représentée en ces hauts lieux, géographiquement parlant : l’écriture (il serait indélicat de mentionner nominativement les artistes qui ont choisi ces grands espaces pour écrire et vivre, ils sont néanmoins plus d’une trentaine) ; l’édition, avec la présence de l’emblématique maison Cheyne éditeur, créée en 1980 par Jean-François Manier et Martine Mellinette, repris en 2017 par deux de ses salariés, Elsa Pallot et Benoît Reiss ; l’impression, avec des microstructures qui concentrent des savoir-faire d’une grande technicité, l’exemple de Manuel Grand de l’atelier Longs Processus, à Saint-Agrève, en est une très belle illustration.
Le Plateau est un lieu de création, il est également le théâtre de nombreuses actions culturelles qui rythment les saisons, parmi lesquelles le festival de littérature et poésie Lectures sous l’arbre, créé en 1992 ; il a eu lieu en 2025 pour la 34e année. L’action culturelle est également largement prise en charge par le réseau intercommunal des médiathèques du Pays-Lecture dont nous allons présenter l’histoire dans quelques paragraphes.
Si la géographie du plateau Vivarais-Lignon avait été la seule déterminante de sa trajectoire, les lieux auraient pu se réduire à une ruralité volontiers brossée comme pauvre, peu dynamique culturellement, à la marge des pôles urbains. Les éléments développés précédemment font la démonstration d’une tout autre réalité. L’espace est une enclave dynamique et très vivante culturellement, dans un environnement naturel assez préservé du grignotage urbanistique. S’ajoutent, à l’histoire spatiotemporelle des lieux, une vision et une volonté de la société civile et politique d’affirmer une forme d’enclavement positif.
Le lieu, les lieux sont donc de puissants liants, permettant ainsi à la lecture publique et à ceux et celles qui l’ont portée de s’affranchir des frontières administratives en construisant un plan d’action à l’échelle du plateau Vivarais-Lignon, réparti entre deux départements (Haute-Loire et Ardèche), et antérieurement deux régions (Auvergne et Rhône-Alpes).
Un espace géographique finalement très favorable à la lecture publique
Les bibliothèques ont naturellement fleuri dans cette enclave. D’abord associatives, les premières structures nées au Chambon, à Saint-Agrève puis à Tence deviennent publiques au début des années 1990.
L’aventure de la lecture publique débute en 1991 avec l’ouverture de la bibliothèque municipale du Chambon-sur-Lignon suivie en 1994 par celle de Saint-Agrève. Entre ces deux étapes, se constitue un groupe de travail sous la coordination du chargé de mission du SIVOM [Syndicat intercommunal à vocation multiple] Vivarais-Lignon : neuf communes – Saint-Agrève, Rochepaule, Devesset, Mars, Tence, Le Chambon-sur-Lignon, Le Mazet Saint-Voy, Chenereilles, Saint-Jeures – qui ont la particularité d’être réparties sur les deux départements de l’Ardèche et de la Haute-Loire. Il est constitué d’élu·es, de bibliothécaires, d’enseignant·es, d’éditeurs, de directrices de crèches et de bénévoles qui, ensemble, réfléchissent à la mise en place d’une politique culturelle sur le plateau Vivarais-Lignon.
Un texte de réflexion naît de ce travail en février 1995, il définit des valeurs fortes : « Faire du livre et de la lecture des outils d’émancipation culturelle et citoyenne et permettre aux habitants de devenir des acteurs plus autonomes dans la construction de leur imaginaire, individu résistant mieux au rouleau compresseur d’images stéréotypées, plus fidèle à sa personne, à son secret plaisir. Acteurs également plus soucieux du développement local, citoyen·nes mieux informé·es, moins fatalistes. En offrant une vision critique et distanciée du réel, l’écrit est aussi une invitation à l’action commune, à l’engagement des citoyen·nes dans la vie de leur cité, de leur pays. »
Les valeurs sont posées, les acteurs culturels investissent le projet avec cohérence et dynamisme ; elles continuent aujourd’hui d’innerver l’action de coopération des médiathèques.
Les moyens imaginés et mis en œuvre comptent notamment la création des prémices d’un réseau transdépartemental avec des échanges entre bibliothèques, avec des actions-catalogues, la création d’autres bibliothèques, la formation des professionnel·les et des bénévoles, et de nombreux voyages d’étude. L’action culturelle est placée au cœur du dispositif. En novembre 1993, le recrutement d’une animatrice à l’échelle du SIVOM impulsera la toute première action menée : la Semaine du conte.
Le Pays-Lecture n’a pas encore l’appellation officielle du ministère de la Culture, néanmoins la réalité de travail en réseau se structure progressivement entre 1994 et 2000 avec la montée en compétences et la professionnalisation des équipes.
Le « faire réseau » prend une nouvelle dimension avec la création pour les usager·es ardéchois·es et altiligérien·nes, le 1er janvier 1996, d’un passeport unique. Les lecteur·rices disposent d’une carte qui leur permet d’emprunter dans deux médiathèques municipales, puis, au fur et à mesure de leur création, dans tous les établissements de lecture publique.
La coopération prend de l’envergure en 1998 avec la mise en place de la navette documentaire entre les bibliothèques municipales, assurée par la coordinatrice du SIVOM. La mutualisation des collections et des moyens est de mise, l’intérêt des usager·es du bassin de vie est placé au cœur de la feuille de route. Le principe de prêt et retour universel est en place.
En 2000, l’attribution du label Pays-Lecture confère une reconnaissance de territoire d’exception sur deux départements et deux régions. Le nom du label, « Pays-Lecture », a été choisi par le groupe de travail en écho au label Ville-Lecture existant à l’époque.
« Ce matin, au Chambon-sur-Lignon, j’ai eu la joie de signer le document par lequel l’État s’engage, aux côtés des collectivités territoriales, à apporter son concours au projet de Centre du Plateau Vivarais-Lignon pour l’accueil et les résistances, porté par le SIVOM du Plateau Vivarais-Lignon et dont l’objectif, fidèle à la tradition de simplicité et de discrétion des habitants du Plateau, n’est pas l’autocélébration de l’héroïsme mais bien plutôt l’éducation, fondée sur l’analyse de l’histoire et l’apprentissage de l’ouverture aux autres et de la résistance à l’oppression. » 6
Source : Vie-publique.fr, « Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la publication “Images du patrimoine” consacrée au plateau Vivarais-Lignon et la signature de la convention “pays-lecture” pour les années 2000-2002, Saint-Agrève, le 18 décembre 2000 ».
Le développement du Pays-Lecture : son histoire, sa population
Le Pays-Lecture est bien ancré au cœur des pratiques culturelles des habitant·es de la région : le taux d’inscription dans les médiathèques atteint plus de 30 % de la population, il est assez stable depuis dix ans. Le premier logo du Pays-Lecture est créé en 2001, il sera ensuite modernisé en 2020.
L’offre culturelle s’enrichit en 2000 d’une ludothèque itinérante dans le cadre d’un dispositif de lutte contre l’illettrisme (voir encadré en fin d’article). Une jeune recrue qui a découvert le concept au Canada et s’est formée au métier en IUT à Bordeaux, puis au Centre national de formation aux métiers du jeu et du jouet (FM2J) à Lyon, écrit et propose le projet au SIVOM. Le premier contrat jeune du syndicat est créé, qui deviendra un contrat aidé puis enfin un poste pérenne, l’un des tout premiers intercommunaux pour la culture ! La décentralisation du service fait partie de l’ADN du projet, le service est décliné dans les structures socio-éducatives altiligériennes et ardéchoises. L’offre ludique est encore aujourd’hui très présente au Pays-Lecture, constituant un service de démocratisation et de valorisation du jeu. Cette substantifique moelle du jeu a permis aux médiathèques d’être estampillées du label « Famille Plus », un chantier transversal avec le service tourisme de l’intercommunalité altiligérienne.
En 2003, le Pays-Lecture fête ses 10 ans d’existence, un nouveau groupe de travail s’engage dans le projet de création d’une bibliothèque municipale à Tence, le bourg le plus peuplé du Plateau qui, à l’époque, possède une bibliothèque associative animée par deux agents, rejoints ensuite par un directeur pour constituer les forces vives de la future équipe. Le site de Tence ouvre ses portes en 2005 dans un lieu hautement symbolique pour les habitant·es, un ancien bazar quincaillerie. En 2007, c’est au tour des médiathèques de Saint-Jeures et du Mazet-Saint-Voy d’ouvrir leurs portes. Le maillage de l’espace est assez complet, les cinq bibliothèques sont réparties stratégiquement avec une équidistance entre elles de 10 à 15 kilomètres. Elles sont en centre-bourg (à l’exception du premier site de Saint-Jeures, implanté dans un hameau de la commune à Freycenet, mais opportunément à côté de l’école maternelle). L’opérabilité du réseau est efficace, au service du public de tout le bassin de vie. Le portage administratif est régi par une convention de coopération entre deux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale).
Sous l’impulsion de Renaud Aïoutz directeur, un projet structurant de formalisation intercommunal se dessine : l’échelle de déploiement ne sera pas celle du périmètre du Pays-Lecture mais d’une expérimentation autour de trois communes. Le RISOM (Réseau intercommunal et solidaire des médiathèques) acquiert un cadre administratif propre, tout en continuant à fonctionner au service de tout le bassin de vie du Plateau en coopération avec les médiathèques municipales de Saint-Agrève et du Chambon-sur-Lignon.
La montée en puissance de la lecture publique est à l’œuvre, financée dans le cadre d’un Contrat territoire-lecture. Deux professionnelles, salariées de la ville de Tence, viennent rejoindre l’équipe en 2007 et en 2010 pour animer progressivement les trois sites des communes de Tence, Le Mazet-Saint-Voy et Saint-Jeures. Ces trois villages partagent les charges de fonctionnement et d’investissement au prorata du nombre de leurs habitant·es. L’expérimentation cohabite avec la logique de réseau Pays-Lecture jusqu’au transfert de la compétence de lecture publique aux intercommunalités du Haut-Lignon et du Val’Eyrieux.
Il est intéressant de souligner que la dissolution du syndicat mixte porteur du Pays-Lecture, à la mi-2011, ne met pas un terme à la coopération ; la collectivité ardéchoise partenaire hérite de l’ingénierie administrative du dispositif. Une convention convient de la répartition des charges de fonctionnement au prorata des habitant·es. Le réseau est finalement conforté lors de ce tournant administratif avec le financement du SIGB 7
Système intégré de gestion de bibliothèque : https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_gestion_de_biblioth%C3%A8que
Aujourd’hui, l’équipe du Pays-Lecture compte 13 professionnelles intercommunales (quatre en Ardèche, neuf en Haute-Loire), une vingtaine de bénévoles, en soutien pour assurer notamment l’équipement des documents et quelques permanences sur les sites du Mazet-Saint-Voy et de Saint-Jeures.
En bref, la logique géographique a primé dans la création du réseau Pays-Lecture, au-delà des frontières administratives ; le réseau fonctionne sur deux communautés de communes et deux départements. Constitué de cinq médiathèques de proximité et deux points lecture, il propose une carte unique, un catalogue commun, un service de navette hebdomadaire et un ambitieux programme d’action culturelle pour créer une expérience commune aux habitant·es du Plateau.
Les publics d’Ardèche comme de Haute-Loire accèdent aux fonds documentaires mutualisés, constitués d’environ 75 000 documents dont 2 000 jeux, aux ressources numériques mises à disposition par les deux médiathèques départementales de prêt (faisant là encore primer la logique de desserte d’une communauté géographique).
La communauté de lecteur·rices compte un peu plus de 3 000 personnes sur un espace géographique qui en regroupe environ 10 000 (périmètre du Pays-Lecture). En 2024, les médiathèques ont accueilli 37 000 visiteurs et enregistré 110 000 prêts.
Il est fort présomptueux de vouloir partager toute l’histoire du Pays-Lecture en quelques paragraphes, mais rendons hommage à l’aventure humaine qu’elle a incarnée et à la réussite que cela représente notamment en termes d’accessibilité pour les publics. Elle a été écrite par des personnes engagées qui ont un fort attachement aux lieux, à l’héritage culturel et à la communauté des habitant·es, qui n’ont eu de cesse de se mobiliser pour faire vivre la lecture et la culture.
Une image contenant texte, diagramme, capture d’écran, carte Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 2. Carte du réseau Pays-Lecture
Si les déplacements des personnes sont de moins en moins affectés l’hiver par les épisodes neigeux, le territoire rural et agricole vit différemment selon les périodes de l’année. La logique de maillage du territoire, avec des établissements culturels de grande proximité fait donc sens, et la possibilité de s’affranchir de la géolocalisation des documents avec le service de navette documentaire hebdomadaire renforce l’accessibilité aux collections. L’enjeu de la mobilité est souvent important en milieu rural, le Plateau ne fait pas exception. Le tout-voiture, l’absence de desserte en transport en commun au Pays-Lecture et les balbutiants débuts de voies cyclables ne sont pas facilitants pour les habitant·es qui ne sont pas véhiculé·es. Dans ce contexte, la navette documentaire reste un moyen privilégié d’accès aux collections. Le service, depuis sa mise en place en 1998, ne cesse de croître (+ 5 % à 10 % par an). Ce sont près de 33 000 documents qui ont été transférés entre les 5 sites (les points lecture sont approvisionnés par leur site de référence) en 2024 9
Le véhicule dédié sillonne le territoire et a donné lieu à la création d’un court métrage, Le cœur battant des médiathèques : https://youtu.be/LBafOhwVf9s
L’été est la période où la population sur le Plateau double. Les hivers, même si la neige est moins abondante (il existe des domaines skiables situés à une moyenne de 40 kilomètres des bourgs du périmètre du Pays-Lecture), les touristes ou résident·es secondaires viennent également en nombre. Le territoire attire également les touristes et citadin·es en recherche de tourisme vert et culturel. L’offre touristique globale du Haut-Lignon comprend 12 485 lits pour 8 500 habitants, un peu plus de 10 000 quand on ajoute la partie ardéchoise du Pays-Lecture. Les médiathèques avec le confort de leurs espaces sont des lieux fortement plébiscités : les statistiques de fréquentation mises en place depuis 2021 montrent des pics de fréquentation à l’occasion des vacances.
Le Plateau voit également s’installer de façon pérenne des personnes, notamment des familles à la recherche d’une meilleure qualité de vie, et une gamme de services, notamment culturels et sportifs. Ce mouvement n’est pas très significatif en termes d’augmentation de la population car le solde naturel reste négatif, en raison du vieillissement d’une grande partie de la population : les plus de 60 ans représentent environ 40 % de la population de la communauté de communes du Haut-Lignon, selon les données 2021 de l’Insee. Les « néoruraux » constituent néanmoins une part des nouveaux inscrits des médiathèques.
Une image contenant capture d’écran, Tracé, ligne, diagramme Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 3. Statistiques de fréquentation pour Tence, Le Chambon-sur-Lignon, Le Mazet-Saint-Voy, Saint-Jeures et Saint-Agrève (Pays-Lecture, 2021)
Conclusion
Il vous tarde sans doute de découvrir le plateau Vivarais-Lignon où il fait bon vivre, où la lecture publique a de beaux jours devant elle (à prendre au sens figuré puisqu’en ce 15 septembre, le poêle ronronne déjà pour réchauffer la chaumière). Nous perpétuerons volontiers la tradition d’accueil du territoire. Le grand dynamisme du Pays-Lecture doit beaucoup aux équipes « Barbapapa », ou plutôt « Barbamama » des bibliothèques, comme se plaisait à qualifier notre métier le groupe Auvergne de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) dans sa journée d’étude du 18 avril 2025. Les professionnelles ont plusieurs défis devant elles : il s’agit de donner corps à la vision portée depuis plus de 30 ans, à savoir, accompagner la communauté des habitant·es du plateau dans leur parcours d’émancipation culturelle et citoyenne, quel que soit le temps !
Encadré. La spécificité ludothèque
Les espaces ludothèque, intimement connectés aux autres collections, ont un véritable attrait pour les familles, cautionnant qu’il est légitime de jouer et qu’il existe des propositions adaptées à tous les publics. Le futur pôle culturel de Saint-Jeures, livrable fin 2025, offrira un labo Lego. Les familles qui résident dans les villages vacances empruntent volontiers quelques jeux et jouets (draisiennes, dînettes, poupées…) le temps d’un séjour, la gratuité des cartes pour les enfants confortant l’attrait du service offert.
L’espace Petite enfance à Tence, avec ses tapis d’éveil, sa piscine à balles, ses albums pour les bébés, est un espace de vie sociale, un repère pour une partie des assistantes maternelles qui viennent des villages alentour plusieurs fois par semaine, pour des parents qui viennent partager un café pendant que les enfants jouent ou « lisent ».
Plusieurs voyages d’étude ont permis de mettre en lumière que les habitant·es du Plateau ont un accès privilégié (volume de jeux disponibles par habitant, accessibilité horaire et qualité des documents, Lego, Playmobil en boîtes XL, représentent une gestion hautement chronophage mais une offre si appréciée et au service de la population dite précaire) à la ludothèque.
Les illustrations ci-après sont produites à destination des équipes et des élu·es pour valoriser ces spécificités.
Une image contenant texte, capture d’écran, Police, cercle Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 4. La collection ludique du Pays-Lecture
La médiation est une marque de fabrique du Pays-Lecture, le réseau organise depuis 2021, lors de la Fête mondiale du jeu, une journée festive hors les murs. L’occasion de déployer la collection de grands jeux en bois et de mobiliser des professionnel·les qui complètent l’offre du réseau.
Une image contenant habits, intérieur, chaussures, mur Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Figure 5. L’équipe du réseau Pays-Lecture
Photos : Fabienne Malaval Dupré