Réduire la fracture culturelle : les initiatives numériques et cinématographiques de la Médiathèque départementale de l’Aveyron

Roxane Jouanneau

Florent Yahia

L’Aveyron est un département rural étendu, couvrant près de 8 800 km² pour seulement 280 000 habitants, soit environ 32 habitants au km². Cette faible densité, combinée à une population vieillissante (près d’un tiers des Aveyronnais a plus de 60 ans), représente un véritable défi en matière d’accès à la culture et de lutte contre la fracture numérique. Géré à 83 % par des bénévoles, le réseau de lecture publique est composé de 186 bibliothèques, comprenant près de 100 points lecture.

Consciente de ces enjeux d’isolement culturel, la MDA s’est engagée à valoriser le numérique et le cinéma documentaire de création auprès des habitants et des bibliothécaires. Le prêt de DVD reste important et l’usage des ressources en ligne ne cesse de croître depuis leur mise en place en 2019.

Accompagner les bibliothèques vers le numérique

Depuis 2019, la MDA développe une offre numérique à destination de son réseau de bibliothèques.

Parmi les équipements mis à disposition, la MDA propose quatre malles de tablettes. Elles permettent de mettre en place des actions sur les thématiques suivantes : jeu, albums numériques, organisation d’ateliers clé en main et accompagnement des publics dyslexiques. Pour ce dernier thème, la malle inclut plusieurs tablettes embarquant une sélection des livres numériques jeunesse adaptés au format FROG 1

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Acronyme de Free Your Cognition : https://fr.wikipedia.org/wiki/FROG_(format)

. Ce format intègre des outils facilitant la lecture tels que la personnalisation de la mise en page, la mise en évidence des syllabes par des couleurs distinctes ou encore le soutien audio.

Cinq consoles de jeux dont trois équipées d’un casque de réalité virtuelle sont empruntables pour une durée d’un mois. Accompagnées d’un catalogue d’une vingtaine de jeux vidéo majoritairement tournés vers le multijoueur, elles permettent d’organiser des temps de jeu pour le public.

Loin de proposer seulement un accès à des contenus, la MDA s’emploie à construire des projets sur mesure avec les équipes des bibliothèques, en apportant un appui à la fois technique, pédagogique et logistique.

Chaque accompagnement débute par un échange avec les bibliothécaires : quels publics souhaitent-ils toucher, quels types d’animations imaginent-ils, quelles sont leurs contraintes ou leurs envies ? En fonction, la MDA propose des pistes concrètes, partage des retours d’expérience, et peut coconstruire une animation ou concevoir un outil d’animation.

Dans cette optique d’accompagnement de projets, nous avons travaillé, en partenariat avec une médiathèque du réseau, à la réalisation d’un jeu de piste numérique, « le manuscrit perdu », destiné aux enfants de 6 à 12 ans. Cet escape game invite les jeunes joueurs à fouiller les rayons de la bibliothèque ainsi que le site Web de la MDA à la recherche d’indices pour retrouver un livre mythique.

Quelle que soit la nature du projet, l’accompagnement reste central. La MDA intervient à la demande : présentation du matériel, installation sur place, formation d’équipes, échanges réguliers, disponibilité et soutien lors des premières animations. L’objectif n’est pas de faire à la place des bibliothèques, mais de leur permettre de mettre en place de nouvelles actions avec sérénité.

Les jeux vidéo sont également au cœur de notre engagement. Ainsi, nous formons depuis plus de 6 ans notre réseau sur la question de la place du jeu en bibliothèque. Animées en interne, ces formations ont pour objectif de faire découvrir ce média culturel et ses contenus, tout en dressant un portrait du paysage vidéoludique français, de son industrie et de ses usages.

Afin de valoriser le jeu vidéo de création, une partie du contenu pédagogique est dédiée à la découverte d’expériences originales et au jeu vidéo indépendant.

Le numérique au cœur des actions culturelles

En 2024, une nouvelle proposition artistique coconstruite par la MDA et le service Développement culturel et artistique au sein de notre Direction de la culture, des arts et des musées a vu le jour : « Arts vivants en bibliothèques ».

Dans ce cadre, quatre bibliothèques ont été choisies pour programmer le spectacle « Nous, on n’a rien vu venir » de la Compagnie La Supérette. Cette performance mêle arts du cirque et numérique, dans une mise en scène originale et inventive. Deux circassiens s’affrontent lors d’un match, autour d’un agrès de cirque qui n’en est pas un. Tout au long de la représentation, les artistes sont positionnés devant un fond vert d’incrustation. Le rendu visuel est retransmis en direct sur un écran, offrant au public une expérience immersive et surprenante.

En complément du spectacle, plusieurs actions de médiation ont été mises en place.

Des ateliers fond vert ont permis aux participants – enfants, familles et résidents d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – de s’initier aux techniques d’incrustation numérique, s’amusant à se glisser dans le rôle de présentateurs météo ou à disparaître dans une fresque interactive. Ce temps, proposé et animé directement par la MDA, a été volontairement construit avec des moyens simples : un tissu et des pinces à linge en guise de fond vert, une webcam de récupération et un ordinateur équipé d’un logiciel libre de droit initialement dédié au streaming sur Internet. L’objectif était de montrer qu’une animation originale peut être mise en place sans matériel coûteux.

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Figure 1. Préparation d’un atelier fond vert

Photographie de la Médiathèque départementale de l’Aveyron

En parallèle, une console de jeux avec casque de réalité virtuelle a circulé dans les bibliothèques afin de proposer des animations en amont ou en aval du spectacle. Une formation de prise en main a été organisée par la MDA permettant ainsi aux bibliothèques d’animer ces temps de jeux en autonomie.

Ces propositions d’animations avaient pour objectif d’inciter les bibliothèques à mener des animations numériques tout en offrant aux habitants l’opportunité de découvrir des outils souvent peu présents en milieu rural.

Le bilan de cette première édition est positif, plus de 200 personnes ont assisté au spectacle et 300 participants ont pris part aux ateliers et animations numériques. L’édition 2025 proposera une nouvelle représentation circassienne à quatre nouvelles bibliothèques sur une nouvelle thématique mêlant rivalité fraternelle et enjeux écologiques.

Le cinéma documentaire : une ouverture sur le monde pour tous

Dans un département comptant peu de cinémas, la MDA s’est engagée à valoriser le cinéma documentaire de création auprès des habitants et des bibliothécaires dans le cadre de la manifestation nationale du Mois du film documentaire. Cette initiative facilite la mise en lumière d’œuvres rares et permet de former les bibliothécaires à ce genre cinématographique, les aidant ainsi à mieux accompagner le public.

Depuis 2018, la MDA collabore avec Federico Rossin, historien du cinéma, conférencier, formateur et passeur d’images. Chaque année, sa programmation s’articule autour d’une thématique. Il la conçoit comme un parcours cinématographique, offrant au spectateur l’opportunité d’explorer une idée ou un concept sous des angles multiples. Les films, bien que d’une grande diversité, s’entrelacent pour former un tout cohérent et riche de sens. Certaines séances sont accessibles dès l’âge de 10 ans, bien que la majorité des projections s’adresse plutôt à un public adolescent ou adulte. Pour retrouver certains distributeurs de ces documentaires rares, il faut parfois parcourir le monde… à travers de nombreux échanges d’e-mails !

Dès le mois de janvier, un appel à candidatures est lancé auprès des bibliothèques du réseau avec pour seule information le nom de la thématique. En février, Federico Rossin fait découvrir sa sélection lors d’une journée de présentation des films qui permet aux participants de mieux appréhender les œuvres. Ils ont deux mois pour regarder la programmation et sélectionner leurs deux séances préférées. Par la suite, nous coordonnons les dates et les lieux de projection afin d’assurer une répartition équilibrée des séances sur l’ensemble du territoire : une projection par jour, une même séance ne doit pas être projetée à moins de 30 minutes d’une autre et chaque film ne peut être diffusé que trois fois au maximum dans le département. Des intervenants accompagnent les séances : sont invités en priorité ceux directement associés aux films (réalisateurs, monteurs, etc.), tandis que Federico Rossin prend en charge l’animation des autres.

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Figure 2. Projection dans une commune rurale

Photographie de la Médiathèque départementale de l’Aveyron

En raison du faible nombre de salles de cinéma, les projections se déroulent principalement dans les salles des fêtes des villages. Pour garantir une qualité de projection optimale, la MDA fait appel à un cinéma itinérant. Au-delà de l’aspect technique, l’enjeu est également de créer une atmosphère propice à l’immersion et à la convivialité. Il est arrivé que des bibliothécaires mobilisent des ressourceries pour récupérer des canapés ou invitent les habitants à venir avec leur propre fauteuil. Ce système permet non seulement de surmonter les limitations matérielles, mais aussi de renforcer le lien social et l’esprit communautaire. De plus, les bibliothécaires organisent parfois des auberges espagnoles après les projections, où chacun est invité à partager un repas, favorisant ainsi les échanges et les rencontres. Le Mois du film documentaire est également l’occasion de créer des partenariats. Certaines bibliothèques contactent des partenaires locaux tels que des lycées, des écoles supérieures, des EHPAD, etc., afin de les inviter à assister aux projections. Il constitue un excellent vecteur permettant à des structures de collaborer, parfois pour la première fois.

Des rendez-vous de préparation sont organisés dans chaque communauté de communes participantes. Fin septembre, nous sillonnons l’Aveyron avec Federico Rossin pour finaliser les points techniques et leur fournir des outils d’échange et de médiation. Il leur présente les films en profondeur et souligne les pistes d’échanges à privilégier avec le public. À noter que ce sont les bibliothécaires qui animent les échanges avec le public, qu’ils soient salariés ou bénévoles, et non les agents de la MDA accompagnant les intervenants.

En complément, des actions de médiation sont proposées en lien avec le cinéma ou avec la thématique : ateliers de découverte du cinéma, rencontres avec des auteurs, prêts de consoles et de jeux vidéo thématiques, expositions, etc. L’an dernier, plus de 30 actions de ce type ont été organisées entre septembre et décembre. Par ailleurs, certains ateliers d’initiation au cinéma sont programmés dans l’après-midi, suivis d’une restitution publique juste avant la séance. Cela favorise la venue de familles qui n’auraient peut-être pas franchi la porte pour une projection classique, mais souhaitent découvrir les réalisations des enfants et adolescents du territoire.

Enfin, la « journée cinéphilie », inscrite dans le catalogue de formation de la MDA, est exceptionnellement ouverte à toute personne intéressée. Dédiée à un réalisateur, elle constitue un temps fort du dispositif. Elle alterne conférences et projections d’extraits de films.

Une communication est déployée à l’échelle départementale, avec un programme commun à tous et des affiches et flyers spécifiques à chaque communauté de communes. Cette démarche va au-delà de la simple communication du Mois du film documentaire, en renforçant et en mettant en lumière le réseau départemental de lecture publique. En moyenne, une quarantaine de personnes assiste aux séances, certaines d’entre elles n’hésitant pas à faire plus d’une heure de route pour découvrir plusieurs films de la programmation.

En 2025, la thématique choisie est « Terre nourricière ». Elle offrira de nombreuses pistes d’exploration cinématographique et de réflexion.

Le Mois du film documentaire en Aveyron est un dispositif qui se renouvelle chaque année. Nous favorisons l’émergence de nouvelles initiatives et nous nous adaptons aux attentes et besoins du public. Ainsi, cette année la « journée cinéphilie » sera dédiée à Agnès Varda, en lien avec la thématique de l’exposition temporaire qui lui est consacrée au musée Soulages de Rodez. La forme exacte de cette collaboration est encore en cours de réflexion.

À travers ces actions, l’équipe de la MDA s’engage, à son échelle, à renforcer l’accès à la culture en Aveyron. Conçues en partenariat avec les bibliothécaires et les acteurs locaux, ces initiatives visent à proposer aux habitants, même en milieu rural, des occasions de découverte et de partage.