Les collections audiovisuelles à la bibliothèque départementale d’Indre-et-Loire
Une évolution vers le soutien à la création et l’accessibilité
L’effondrement de l’emprunt des supports audiovisuels physiques en bibliothèque n’est que logique, puisqu’il suit l’effondrement de l’achat par les particuliers de ces mêmes supports ainsi que la diminution dans les foyers des matériels permettant de les lire.
À la bibliothèque départementale d’Indre-et-Loire, la chute de l’emprunt des CD fut de 73 % entre 2013 et 2023 ; celle des DVD de 24 % sur la même période. Le budget dévolu à l’achat de ces supports a suivi la même tendance : 13 000 € étaient consacrés à l’achat des CD en 2018, contre 5 000 € en 2021 (– 62%).
La plateforme numérique Nom@de, portée par le Conseil départemental, soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Centre-Val de Loire, avec le partenariat des communes et communautés de communes, fait la part belle au cinéma, mais n’a jamais proposé de service de musique dématérialisée. Concernant la musique, le choix a été autre, notamment de soutenir les pratiques amateurs, les structures culturelles locales et la diffusion d’une culture musicale.
Aujourd’hui, malgré les difficultés financières traversées par les départements, la faveur relative dont bénéficient les actions soutenant la culture et la pratique musicale se maintient ; et les collections audiovisuelles, physiques comme numériques, continuent d’être considérées comme dignes d’intérêt selon trois paramètres principaux : leur valeur de produit d’appel pour certains publics ; leurs vertus d’accessibilité ; leurs contenus en voie d’extinction devant être préservés.
Quand le prêt d’instruments de musique se ramifie
En 2019, la bibliothèque départementale a lancé un nouveau service : le prêt d’instruments de musique aux bibliothèques de son réseau. Nous nous sommes inspirés notamment de l’exemple de la bibliothèque départementale du Morbihan et son service « Zicotek » 1
Anne-Cécile Maillet, La Zicotek : des instruments de musique à prêter en médiathèque, Médiathèque départementale du Morbihan, 15 février 2024. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/71901-la-zicotek-des-instruments-de-musique-a-preter-en-mediatheque.pdf
Conseil départemental d’Indre-et-Loire, « Le Département vote un budget de 300 000 € pour le FICS (Fonds d’Investissement Culturel et Sportif) », 12 avril 2023. En ligne : https://www.touraine-actualites.fr/actualites-departementales/institution/actualites-institutionnelles/le-departement-vote-un-budget-de-300-000-pour-le-fics-fonds-d-investissement-culturel-et-sportif.html
En mars 2025, ce sont 13 bibliothèques différentes (sur 123 que compte le réseau départemental, soit légèrement plus de 10 %) qui ont bénéficié de ce service. Plusieurs d’entre elles ont souhaité réitérer l’expérience un ou deux ans après le premier emprunt. Le succès est tel que la file d’attente est actuellement de deux ans, ce qui permet aux équipes de préparer au mieux l’arrivée des instruments, notamment en informant les partenaires locaux : écoles, écoles de musique, collèges, centres de loisirs… Deux kits de 25 instruments sont disponibles simultanément, et les instruments sont empruntables 4 mois par chaque bibliothèque. Durant ces 4 mois, les bibliothèques ont effectué entre 60 et 100 prêts, différentiel pouvant s’expliquer par la taille de la commune : les instruments ont été disponibles aussi bien à Neuvy-le-Roi, 1 061 habitants, qu’à Montlouis-sur-Loire, 11 261 habitants 3
Christophe Legendre, Service de prêt d’instruments de musique. Bibliothèque départementale de Touraine, Association des bibliothécaires de France, groupe Centre, 20 juin 2024. En ligne : https://www.abf.asso.fr/fichiers_site/fichiers/Regions/Centre/Journees-d-etude/2024_TOURS/Pres3bis_CLegendre.pdf
La bibliothèque départementale a rejoint également le groupe « Scène locale 37 » 4
Rédac, « Médiathèques de Tours : la scène locale à portée de tous », 37 degrés, 12 août 2015. En ligne : https://www.37degres-mag.fr/culture/mediatheques-de-tours-la-scene-locale-a-portee-de-tous/

Figure 1. Concert du groupe local « Des airs sans frontière » à la bibliothèque de Loches, novembre 2023
Enfin, le prêt d’instruments de musique est toujours l’occasion d’une animation assurée par la bibliothèque départementale, personnalisée pour la bibliothèque qui accueille les instruments. Ce peut être une conférence musicale sur un aspect historico-sociologique de l’histoire de la musique (histoire du rock, du jazz…). Ou, plus récemment, l’organisation d’ateliers de musique assistée par ordinateur (MAO), en s’appuyant sur un dispositif simple, le Joué Play, créé par une start-up presque locale puisque bordelaise 5
Charlotte Laboune, « Joué Play : l’instrument de musique connecté bordelais qui cartonne », Le Bonbon, 21 décembre 2021. En ligne : https://www.lebonbon.fr/bordeaux/pop-culture/joue-play-joue-music-instruments-bordeaux-instrument-de-musique-connecte-bordeaux/
Du flux des films à l’accessibilité des livres numériques
Depuis 2015, la bibliothèque départementale porte Nom@de, une plateforme de documents numériques accessibles aux usagers des bibliothèques partenaires (https://nomade.mediatheques.fr/). Le cinéma en ligne, qui se situait dans les premières années derrière l’autoformation et les livres en nombre de consultations, est désormais une locomotive pour la plateforme, et sans conteste un produit d’appel pour de nouveaux usagers en bibliothèque. L’année 2016-2017 avait connu 6 427 visionnages de films en ligne sur 12 mois, contre 34 143 en 2024, soit une augmentation de 431 %. Difficile dans ces conditions de considérer que l’offre est inadaptée en bibliothèque, qu’elle serait trop concurrencée par les abonnements souscrits individuellement par les foyers, et de renoncer à y consacrer les moyens nécessaires. En effet, il s’agit d’une ressource onéreuse dont les deux principaux acteurs sur le marché français, qu’ils se situent sur une offre très grand public, ou plus exigeante et art et essai, proposent tous les deux un modèle économique de paiement au visionnage. Plus le service a du succès, plus il coûte cher aux bibliothèques 6
Un exemple parmi d’autres : Clémence Jost, « La VOD victime de son succès dans les médiathèques de Rennes », Archimag, 29 janvier 2020. En ligne : https://www.archimag.com/bibliotheque-edition/2020/01/29/vod-victime-succes-mediatheques-rennes
Un paradoxe auquel tente de faire face la bibliothèque départementale, d’une part en consacrant les moyens nécessaires à une offre numérique de qualité : le budget consacré aux documents numériques tend à être équivalent depuis maintenant cinq ans à celui consacré aux collections physiques. D’autre part en fédérant l’ensemble des bibliothèques du département autour de ce projet : ainsi, les grandes communes de Tours Métropole sont également parties prenantes du portail Nom@de, comme les partenaires du réseau départemental. Comme chacun contribue en fonction de son nombre d’habitants, la contribution des « grands » permet de servir l’ensemble des usagers des « petits ». Le soutien de la DRAC Centre-Val de Loire est également déterminant dans le succès du service, à son origine via le dispositif de la Dotation globale de décentralisation (DGD) 7
DRAC Centre-Val de Loire, « Nom@de, la culture en mouvement », Ministère de la Culture, 30 septembre 2015 : https://www.culture.gouv.fr/regions/drac-centre-val-de-loire/Nos-secteurs-d-activite/Livre-et-lecture/Nom-de-la-culture-en-mouvement
Antoine Oury, « Ressources numériques en bibliothèque : la BPI prend le relais du Réseau Carel », Actualitté, 25 octobre 2024. https://actualitte.com/article/120013/bibliotheque/ressources-numeriques-des-bibliotheques-la-bpi-prend-le-relais-du-reseau-carel
Sur Nom@de, l’offre de livres en ligne a connu des fournisseurs divers. C’est en 2022 que la bibliothèque départementale s’est tournée vers le système Prêt numérique en bibliothèque (PNB). Malgré ses défauts bien connus – une lisibilité financière discutable, et des limites techniques qui excluent quasiment les utilisateurs de liseuses 9
Antoine Oury, « Le prêt numérique en bibliothèque, 10 ans après : un potentiel gâché ? », Actualitté, 20 décembre 2024. En ligne : https://actualitte.com/article/121005/interviews/le-pret-numerique-en-bibliotheque-10-ans-apres-un-potentiel-gache
Ces fonctionnalités d’accessibilité doivent être considérées avec attention, et améliorées dès que possible. Les films sont également concernés : nombre de nos DVD, comme des fichiers numériques présents sur Nom@de, présentent des possibilités utiles ou indispensables pour les personnes en situation de handicap : audiodescription et sous-titrage pour les sourds et malentendants notamment. Nous sommes également en train d’améliorer petit à petit notre façon de décrire ces documents, ainsi que l’utilisation des « facettes » de notre catalogue en ligne pour les retrouver plus facilement.

Figure 2. Capture d'écran de la notice du DVD « Illusions perdues ». La zone « Contenu » mentionne les fonctionnalités suivantes : « Audiodescription. Sous-titres pour sourds et malentendants »
En matière de livre audio, nos collections ne sont pas les seules que nous mettons en valeur. Depuis 2019, un kit de documents et d’outils sur le thème « Lecture et déficience visuelle » a été constitué et est prêté aux bibliothèques du réseau comme un outil de promotion et de valorisation de collections accessibles et d’outils d’aide à la lecture : loupes et lecteurs audio notamment. Un partenariat avec la bibliothèque numérique Éole de la médiathèque Valentin Haüy (https://eole.avh.asso.fr/) nous permet d’enrichir cette malle des CD consacrés chaque année aux grandes sorties de la rentrée littéraire. Cet outil pourrait être un formidable outil de promotion d’Éole, que les personnes en situation de handicap peuvent utiliser à titre individuel. Par ailleurs, la bibliothèque départementale est agréée pour accéder à la base de documents numériques PLATON destinée aux personnes en situation de handicap (https://exceptionhandicap.bnf.fr).
Une collaboration fructueuse avec la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) nous permet d’être présents régulièrement dans leur salle d’attente, et d’aller à la rencontre des bénéficiaires des aides ou de leurs aidants 10
. Grâce à ce partenariat, nous sommes également invités lors des « Journées des Dys » qui ont lieu chaque année à l’hôtel de ville de Tours 11Communauté professionnelle territoriale de santé O’Tours, « DYS » : https://cptsotours.fr/projet-dys/
À l’heure où les troubles dys sont mieux diagnostiqués, et ciblés par des éditeurs qui proposent de plus en plus de collections « adaptées », la question des livres CD, jeunesse notamment, et de leur désherbage, doit s’appréhender avec prudence. Ces collections ne sont-elles pas un gage d’accessibilité pour une partie du lectorat qui se confronte à un apprentissage de la lecture difficile ? Aussi le choix qui a été fait à la bibliothèque départementale, non seulement de commencer à acquérir des disques microsillons en 2023, mais aussi d’acheter, pour pouvoir les prêter, des platines dédiées, pourrait s’avérer utile également pour la lecture des livres lus. Nous avons également fait le choix d’acquérir, toujours pour les prêter aux bibliothèques du réseau, des lecteurs DVD portatifs avec écran intégré, ainsi que des lecteurs CD Daisy « Victor », accompagnant notre kit « Lecture et déficience visuelle ». Les supports physiques peuvent en effet présenter des fonctionnalités indispensables, non remplacées par les fichiers numériques ; encore faut-il disposer des matériels permettant de les lire.
La question de la conservation
Le cas du microsillon est emblématique d’un support qui a connu dans un laps de temps très réduit une descente aux enfers suivie d’un retour en grâce, encore timide cependant. Pouvons-nous tirer les leçons de cet exemple pour éviter de nous débarrasser de nos collections de CD et de DVD, avant de nous en mordre les doigts dans dix ou vingt ans ? Envisager la question sous l’angle de l’accessibilité aux contenus peut peut-être nous guider dans nos choix de désherbage ou de valorisation. La culture numérique nous a d’abord paru infiniment accessible, avant la désillusion, la fermeture de réservoirs de fichiers, l’augmentation des abonnements, la réintroduction de la publicité, la disparition de pans entiers de documents qui étaient facilement trouvables auprès des disquaires ou des vidéoclubs, la noyade des contenus de qualité dans l’océan de contenus artificiels ou dérisoires. Les récents soubresauts politiques, leur impact probable sur l’accès à la création, sur les sociétés de diffusion des supports numériques, ne nous incitent pas non plus à une confiance démesurée dans le futur du Web comme réservoir culturel accessible à toutes et tous.
Il paraît sage aujourd’hui d’envisager les collections de CD et de DVD à l’aune d’un futur incertain pour l’accès à la culture et à la création. Les supports physiques sont stables, leurs fonctionnalités d’accessibilité existent. Nous devons nous donner les moyens de conserver une collection pertinente, complémentaire d’une collection numérique, mouvante puisque nous ne la possédons pas vraiment, qui présente aussi des vertus d’accessibilité incomparables, mais qui doivent être valorisées et préservées. Il nous manque encore des lignes directrices à inventer dans nos réseaux : quels documents conserver ? pour quels publics ? selon quelles conditions de prêt ? comment nous équiper d’outils de lecture adaptés, et comment les mettre à disposition des publics ? Autant de choix à faire qui ne nécessitent peut-être pas de moyens financiers démesurés, mais à coup sûr de prendre un vrai temps de réflexion en commun.