La veille prospective dans une bibliothèque universitaire : ce que l’international nous dit de notre environnement

Cécile Touitou

Comment un chemin (professionnel) se dessine en voyageant

Sollicitée pour témoigner de cette « dimension internationale des bibliothèques », je devais pour y répondre, évoquer mon propre parcours et mon travail et je m’en excuse par avance dans la mesure où cette « dimension internationale » en a été, en quelque sorte, un fil rouge dans ce long cheminement professionnel. De hasards en opportunités, il se trouve que ce parcours professionnel a été façonné pour moi par cette « internationale des bibliothèques » qui fait que munie d’un diplôme français, il était possible d’exercer le métier de bibliothécaire dans des pays éloignés ! Nombre d’entre nous pourraient en témoigner.

En travaillant dans les années 1990, sept ans durant, dans des bibliothèques québécoises et californiennes, j’ai pu constater qu’une bibliothèque était bien la même chose, plus ou moins, des deux côtés de l’Atlantique. Si, en 1994, assurer un job de « bibliothécaire de référence », le dimanche, à la bibliothèque de Ville Saint-Laurent dans la banlieue de Montréal, a été un véritable choc culturel et professionnel (où l’usager était au cœur de la stratégie de l’établissement, les horaires s’adaptaient à ses contraintes, l’après-midi la file devant le bureau de référence ne se tarissait pas !), je voyais, par contre, que la place des collections et le rapport à l’espace étaient des fondamentaux qui ne changeaient guère de ce que j’avais connu en France. Plus tard, dans un centre de documentation d’une école internationale de San Francisco, nous recevions des disquettes avec les colis de nouvelles acquisitions que nous chargions dans notre système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) local pour nous épargner de longues heures de catalogage. Le temps passait plutôt à découvrir avec les élèves la puissance de la recherche plein texte des moteurs de recherche qui déboulaient en ligne en bouleversant tout un univers d’indexation matière.

Aujourd’hui, en charge d’une « cellule Prospective » au sein de la bibliothèque de Sciences Po à Paris, la veille sur l’activité des bibliothèques fait naturellement partie de mon quotidien. Est-ce à dire qu’une dimension internationale entre de fait dans cette tâche dont le regard se porte spontanément vers ce qui se fait ailleurs, sous prétexte que l’herbe des bibliothèques étrangères serait plus verte ?

Dans la mesure où la prospective viserait à anticiper les évolutions futures et à orienter les stratégies à partir de l’observation des tendances, voire des risques et des opportunités, on peut évidemment être tenté de surveiller l’évolution des bibliothèques dont les réseaux sont connus pour être les plus performants, ou les plus grands, ou ceux dont l’impact auprès de leurs publics est le plus grand, ou le plus reconnu. J’écris cette phrase et déjà apparaissent mille apartés qui seraient autant de façons de parler de ces autres réseaux. La question de la mesure, de la performance, de l’impact et toutes les initiatives qui en découlent aux États-Unis depuis des décennies, la question de la reconnaissance, et le grand amour qui lient les bibliothèques aux Britanniques, comme en témoignent les articles innombrables du Guardian dans sa rubrique dédiée 1

qui ne compte pas moins de treize articles pour le mois de septembre 2024, sept en août, etc. Mais on pourrait aussi parler d’autres façons d’être une bibliothèque, comme en Colombie, par exemple, qui se distingue depuis longtemps par l’accent porté sur le rôle social et éducatif de ses bibliothèques qui jouent un rôle crucial dans l’accès à l’éducation et à la culture, en particulier dans les zones rurales et défavorisées. À ce sujet, il convient de citer le travail exceptionnel de notre collègue québécoise Marie D. Martel qui, avec ses étudiants, dresse des portraits des réseaux de bibliothèques dans le monde dans une série de manuels en accès ouvert dont le quatrième volume est sous presse 2
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Lina Angers et al., Bibliothèques à l’international : un manuel ouvert, étudiant·es du cours SCI 6002 (Introduction à la bibliothéconomie) de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal, avec l’accompagnement de Marie D. Martel, automne 2020, licence CC BY-NC-SA 4.0. En ligne : https://docs.google.com/document/d/14j_plYnH355--CgWL-50_88eJ8LtrhEFhi15ZaVqFTs/edit?tab=t.0

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Se comparer

Mais avant ces apartés, il convient d’abord de dimensionner les réseaux avec lesquels on veut se comparer. Réunir des chiffres, trouver des indicateurs communs, est déjà une entreprise complexe qui finit toujours par aboutir à des approximations, toutes choses n’étant pas égales par ailleurs.

Un travail de fourmi a ainsi été entrepris par la commission Pilotage et évaluation de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) conduite par Nelly Sciardis, et confié au prestataire Six et Dix, qui vise à proposer des comparaisons sur l’activité des bibliothèques universitaires dans les pays européens 3

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Éric Anjeaux [Six et Dix] et ADBU, Indicateurs des bibliothèques universitaires européennes. La situation des bibliothèques universitaires françaises par rapport aux autres pays européens, 2e éd., 2022 (version v1), Zenodo. En ligne : https://doi.org/10.5281/zenodo.7113878

. Approcher l’activité, voire la performance de pairs au-delà de nos frontières pose beaucoup de questions méthodologiques sur la qualité de la collecte, la typologie de données fournies sur lesquelles se basent des moyennes, etc. Pour autant, le travail fourni est remarquable et donne un bon aperçu des moyens, des espaces, des services et des personnels alloués aux bibliothèques universitaires en Europe. Ces données quantitatives constituent un socle permettant de dimensionner ces réseaux, et de situer nos performances nationales comparativement aux leurs.

Pour continuer l’exercice, on peut rappeler que l’on comptait 3 631 bibliothèques académiques 4

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« Postsecondary institutions », équivalent d’universités post-bac délivrant des diplômes licence-master-doctorat (LMD). Les données sont issues de cette synthèse : https://nces.ed.gov/fastfacts/display.asp?id=1074

en 2021, aux États-Unis, pour 19 millions d’étudiants et un budget global de fonctionnement de 7 144 millions d’euros, soit 498 euros par étudiant à temps plein.

En France, on comptait 591 bibliothèques intégrées 5

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Les autres données sont issues de l’enquête ADBU sur les indicateurs européens (cf. note 3).

, 7 001 personnes y travaillant pour une population étudiante de 2,97 millions 6
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Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « Les effectifs d’étudiants dans le supérieur continuent leur progression en 2021-2022 », note d’information du SIES, décembre 2022. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-effectifs-d-etudiants-dans-le-superieur-continuent-leur-progression-en-2021-2022-88609

et un budget global de fonctionnement de 517 millions d’euros, soit un ratio de 174 euros par étudiant.

En Grande-Bretagne, la SCONUL a recensé les données relatives à 168 établissements universitaires 7

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Chiffres 2023 de la SCONUL (Society of College, National and University Libraries), association professionnelle des bibliothèques universitaires et de recherche au Royaume-Uni et en Irlande, quelles que soient leur taille et leur mission.

, 9 630 personnes y travaillant pour une population étudiante de 2,28 millions, et un budget global de fonctionnement de 985 millions d’euros, soit un ratio de 432 euros par étudiant.

Ces ordres de grandeur sont toujours à garder en tête quand on en vient à évoquer des situations étrangères ! Considérer la taille de leur communauté professionnelle, leur budget de fonctionnement rapporté aux usagers desservis, voire les mètres carrés alloués à leurs usagers…

Écouter les hérauts de l’advocacy

L’observation des crises, qu’il s’agisse de pandémies, de réductions budgétaires, ou encore de fermetures de bibliothèques, nous offre des enseignements précieux sur les risques et les chemins critiques qui s’imposent à l’écosystème bibliothèque.

Prenons l’exemple récent du réseau de la New York Public Library (NYPL) confronté, avant l’été 2024, à des coupures drastiques, qui ont été évitées grâce à une mobilisation générale orchestrée par la bibliothèque elle-même 8

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Sur le site de la NYPL, on peut lire : « Les bibliothèques publiques de Brooklyn, du Queens et de New York sont ravies que l’accord budgétaire de la ville pour l’exercice 2025 comprenne le rétablissement intégral du financement des bibliothèques publiques à hauteur de 58,3 millions de dollars, une victoire éclatante pour tous les New-Yorkais. » Note du 1er juillet 2024. Source : https://www.nypl.org/blog/2024/07/01/you-did-it-nyc-library-budgets-have-been-saved

 ! La campagne de mobilisation est en soi un cas d’école de la manière constructive dont on peut s’appuyer sur les usagers pour faire basculer une décision prise par les autorités locales, quand les professionnels eux-mêmes sont à court d’argument (figure 1).

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Figure 1. Campagne de la NYPL sur les réseaux sociaux pour empêcher les coupures de budget, juin 2024

Comme à New York, c’est surtout la lecture publique qui est menacée dans le monde, pour des questions budgétaires ou pour des questions de censure idéologique. Ces crises révèlent comment les bibliothèques s’adaptent et résistent à l’adversité. Elles sont aussi de puissants leviers de réflexion sur la valeur de l’offre de services, voire d’innovation. On sait qu’il existe une méthode d’évaluation économique qualifiée de « contingente », permettant d’évaluer la valeur monétaire des biens et services non marchands. Cette méthode repose sur la volonté des individus à payer (Willingness To Pay) pour obtenir un bien ou un service, ou à accepter une compensation (Willingness To Accept) pour renoncer à ce bien ou service 9

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Françoise Benhamou et Philippe Chantepie, « Culture et économie : chiffres et cryptes », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, no 8, p. 8-18. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2016-08-0008-001

. Et si la bibliothèque n’existait pas, combien serait-on prêt à payer pour la remplacer ?

En un sens la période Covid a constitué un « crash-test » grandeur réelle et a révélé à quel point les bibliothèques de par le monde étaient « antifragiles ». Ce terme, théorisé par Nassim Nicholas Taleb 10

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Nassim Nicholas Taleb, Antifragile : les bienfaits du désordre, trad. par Christine Rimoldy et Lucien D’Azay, Paris, Les Belles Lettres, 2013.

, désigne la capacité d’un système à se renforcer ou à tirer profit des perturbations créées par une crise. N’est-ce pas justement ce que l’on a pu voir dans les mois qui ont suivi les confinements de 2020 ?

Les enquêtes récentes menées après cette période montrent que la fréquentation des bibliothèques universitaires peine à retrouver des niveaux similaires à ceux d’avant la crise. L’édition 2024 de l’étude sur les indicateurs des Bibliothèques universitaires européennes indique que la fréquentation en Europe en 2022 reste en dessous des niveaux de 2019. Les données britanniques (SCONUL, 2023) confirment une chute significative, avec une moyenne de 27 visites par utilisateur équivalent temps plein en 2021-2022, bien moins que les 61 visites de 2018-2019. Plusieurs facteurs semblent avoir infléchi la relation des usagers avec la bibliothèque, ses espaces et ses collections ; cependant, nous sommes très nombreux dans nos établissements à constater qu’elle est plus vivante que jamais.

Porter le regard au-delà de nos frontières dans des situations similaires est extrêmement utile et permet de distinguer ce qui est contextuel des évolutions plus structurelles.

Anticiper le pire et se révéler antifragile !

Il est très éclairant d’observer les stratégies mises en place pour maintenir l’accès à la lecture publique et contrer les risques encourus par le secteur, que ce soit à New York, comme on vient de le mentionner, ou encore en Grande-Bretagne. Il est également particulièrement intéressant de prendre connaissance des argumentaires utilisés par les collègues étrangers dans la construction de leur plaidoyer et comprendre comment ils font parler leurs chiffres d’activité pour construire des histoires.

Apprendre d’autres situations nationales suppose donc que l’on soit comparable, ou au moins de documenter le contexte propre à chaque situation. Ainsi, rien ne sert aujourd’hui de s’effrayer à Paris de la situation des livres censurés aux États-Unis, tant les contextes sur ces questions diffèrent avec, dans ce dernier cas, un système de gestion décentralisé des bibliothèques et des écoles qui permet à des communautés locales de contester et de retirer des livres en fonction des préoccupations locales ou personnelles. Rappelons que d’après le New York Times : « PEN America […] a déclaré que plus de 10 000 livres ont été retirés, au moins temporairement, des écoles publiques au cours de l’année scolaire 2023-2024. C’est presque trois fois plus de retraits que pendant l’année scolaire précédente. » 11

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Elisabeth Harris, « New state laws are fueling a surge in book bans », The New York Times, 23 septembre 2024. En ligne : https://www.nytimes.com/2024/09/23/books/book-bans-laws.html

Si comparaison n’est pas raison, on se souvient que les cas des villes d’Orange, de Vitrolles, de Marignane et de Toulon ont fait couler beaucoup d’encre dans les années 1990 et font l’objet d’un rapport de l’Inspection générale 12

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Rapport annuel de l’Inspection générale des bibliothèques, 1996. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/content_migration/document/846.pdf

. Sans singer ce qui se passe ailleurs, on pourra redoubler de vigilance lorsque l’on assiste dans des démocraties voisines à de telles pratiques.

Un autre exemple assez saisissant est la situation du réseau des bibliothèques publiques britanniques. Un ouvrage collectif a été publié sur la question en 2020 13

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Cécile Touitou (dir.), avec la coll. de Karine Lespinasse, Bibliothèques publiques britanniques contemporaines : autopsie des années de crise, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2020 (coll. La Numérique). En ligne : https://doi.org/10.4000/books.pressesenssib.11527

. Là encore, rien n’est comparable avec la situation française. Dans le cas britannique, une loi datant de 1964, qui avait pour ambition initiale de protéger les bibliothèques de lecture publique, s’est littéralement retournée contre le réseau en entraînant la fermeture d’établissements qui étaient jugés obsolètes et inadaptés au monde contemporain selon des indicateurs très spéciaux. Quels ont été les choix des décideurs politiques qui ont permis d’externaliser, de transférer à des associations la gestion, ou tout simplement de fermer ces établissements de quartier ? Comme le rappelle Tim Coates 14
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Encadré de Tim Coates, « Les origines du service des bibliothèques publiques au Royaume-Uni », dans le chapitre d’Anne-Marie Vaillant, « Chapitre 1. Library Act : une loi qui ne protège plus ? », Bibliothèques publiques britanniques contemporaines, op. cit. En ligne : https://books.openedition.org/pressesenssib/12062

dans ce même ouvrage :

« Il incombe à chaque autorité régissant une bibliothèque de fournir un service de bibliothèque complet et efficace à toutes les personnes désireuses d’y avoir recours. […] Les mots “complet” et “efficace” utilisés dans la loi de 1964 sont des termes parfaitement clairs en anglais. Toutefois, dans le contexte de cette loi, le secteur des bibliothèques n’a jamais permis qu’on les définisse d’une manière qui leur permette d’être tenus responsables de quoi que ce soit en gestion ou en droit. »

Avoir à l’esprit que « plus de 180 bibliothèques gérées par les conseils municipaux au Royaume-Uni ont fermé ou ont été transférées à des groupes de bénévoles depuis 2016, selon de nouvelles données » 15

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Ella Creamer, « More than 180 UK public libraries closed or handed to volunteers since 2016, data shows », The Guardian, 3 septembre 2024. En ligne : https://www.theguardian.com/books/article/2024/sep/03/more-than-180-uk-public-libraries-closed-or-handed-to-volunteers-since-2016

constitue une situation de crise dont il est possible de tirer de grands enseignements pour notre communauté professionnelle et, au-delà, pour les décideurs politiques locaux. Cela interroge tout à la fois le rôle et les missions des bibliothèques de quartier, la prise en compte de l’impact de ce maillage sur les populations desservies, la fausse bonne idée que peut être le transfert de gestion à un groupe de bénévoles, etc.

Ce cas d’école est particulièrement édifiant pour qui s’intéresse aux questions d’évaluation de la performance des bibliothèques. On saisit tout le cynisme qu’il y a eu, dans ce cas particulier, de ne retenir que les chiffres de prêts en baisse pour justifier les diminutions des allocations qui, par ricochet, ont entraîné une désaffection des bibliothèques dont l’activité était modeste, mais l’impact important dans les quartiers les plus fragiles. Or « ce qui compte ne se compte pas forcément », aurait dit Albert Einstein. L’impact des bibliothèques est difficile à compter aussi simplement qu’une transaction de prêt. Les bibliothécaires anglo-saxons l’ont bien compris.

Voici un autre exemple (figure 2) relayant l’importance d’une bibliothèque de Floride le lendemain du passage de l’ouragan Helen en septembre 2024 !

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Figure 2. Post sur LinkedIn relayant le rôle des bibliothèques lors de l’ouragan Helen, le 28 septembre 2024

Ces situations internationales constituent des éléments de base de notre culture professionnelle. Connaître les risques et les dangers qui pèsent sur l’exercice de notre profession nous permet de mieux comprendre notre valeur, notre rôle et le contexte mouvant dans lequel il peut s’exercer.

S’inspirer du meilleur

Les deux crises majeures évoquées dans les paragraphes précédents nourrissent effectivement notre imaginaire bibliothéconomique, nous permettant de mieux comprendre la chance qui nous est offerte d’exercer assez librement notre métier, en bénéficiant d’une certaine reconnaissance de notre expertise professionnelle.

Cependant, nous ne disposons pas toujours de la force de frappe des réseaux précédemment cités avec 40 000 bibliothécaires en Grande-Bretagne 16

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Source : Office for National Statistics (UK).

et plus de 133 000 aux États-Unis 17
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Source : U.S. Bureau of Labor Statistics. En ligne : https://www.bls.gov/oes/current/oes254022.htm

. En France, un rapport déjà ancien de l’Inspection générale des bibliothèques (IGB) relève que « globalement, au 1er février 2012, on compte 6 157 agents de la filière bibliothèques » dans les effectifs de la fonction publique d’État auxquels il convient d’ajouter les « 36 467 agents du cadre d’emploi bibliothèques et patrimoine d’après les statistiques du Ministère de la Culture » 18
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Inspection générale des bibliothèques, Quels emplois dans les bibliothèques ?

État des lieux et perspectives, rapport n° 2012-020, mars 2013.

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La taille de ces communautés professionnelles, sous réserve de chiffres exhaustifs et actualisés, permet d’asseoir des expertises et de porter un regard réflexif sur le métier, et l’usage qui est fait des bibliothèques. La communauté professionnelle francophone est finalement assez petite, comparativement à la communauté anglo-saxonne, mais peut se nourrir de la réflexion internationale. On peut citer les conférences thématiques très spécialisées qui sont des lieux d’échange de pratiques très utiles : International Conference on Performance Measurement in Libraries (LibPMC) 19

et Qualitative and Quantitative Methods in Libraries International Conference (QQML) 20 pour les questions d’évaluation en bibliothèque, European Conference on Information Literacy (ECIL) 21 pour les compétences informationnelles, Bobcatsss 22 qui se consacre aux tendances, pratiques et innovations dans le domaine des bibliothèques, de l’information et des sciences de l’information. Les fréquenter, quand cela est possible, est une source d’inspiration toujours renouvelée !

Quand ce n’est pas possible, réserver un temps à la veille sur l’actualité internationale des bibliothèques est un autre moyen d’obtenir des éclairages précieux sur les tendances émergentes et les pratiques innovantes, voire de capter des éclairages utiles pour enrichir nos services et répondre aux besoins toujours changeants des usagers.

S’inspirer pour anticiper

Cette activité de veille s’est imposée à moi dès les années 2000 où des rapports particulièrement éclairants sur l’évolution des pratiques des usagers se sont fait l’écho des pratiques informationnelles des usagers alors percutées par l’émergence du numérique. Je pense particulièrement aux rapports suivants :

Il y a quinze ans, l’objectif de ces travaux était « d’examiner l’impact de la transition numérique sur le comportement informationnel de la Génération Google et de guider les services de bibliothèques et d’information à anticiper et réagir de manière efficace à tout nouveau comportement émergent » 23

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Ian Rowlands et al., « The Google generation: The information behaviour of the researcher of the future », Aslib Proceedings, juin 2008, no 4, vol. 60, p. 290-310. En ligne : http://dx.doi.org/10.1108/00012530810887953

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Quel impact cela allait-il avoir pour le monde de l’information et de la documentation ? Si certaines conclusions alarmistes, prévoyant comme inéluctable l’adhésion aux bibliothèques numériques au détriment des bibliothèques physiques 24

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« (…) the shift away from the physical to the virtual library will accelerate very rapidly and that tools like GoogleScholar will be increasingly a real and present threat to the library as an institution. » [« (…) le passage de la bibliothèque physique à la bibliothèque virtuelle va s’accélérer très rapidement et des outils comme GoogleScholar constitueront de plus en plus une menace réelle et présente pour la bibliothèque en tant qu’institution »], ibid., p. 296.

, se sont révélées erronées, d’autres analyses sur les usages demeurent d’une grande pertinence aujourd’hui.

Conclusion

Comparer l’activité des bibliothèques universitaires ici et ailleurs en termes de budget, de personnel et de services permet une meilleure compréhension des défis qui se posent à nous. Cela nous ouvre des pistes de réflexion, nous permet d’anticiper des évolutions et de questionner des choix d’organisation ou de stratégie.

En observant les tendances internationales, voire les crises qui menacent certains réseaux de lecture publique, nous apprenons aussi beaucoup sur notre rôle, notre valeur, et nos missions dans le contexte contemporain où la liberté d’expression et la vérité se révèlent fragiles.

En écoutant les réactions de nos collègues et les mobilisations citoyennes, nous avons également appris dans les dernières années à construire des argumentaires et à engager un plaidoyer, ce qui n’était pas forcément dans nos pratiques professionnelles hexagonales.

Malgré les différences culturelles, les bibliothèques du monde entier font plus ou moins face à des défis similaires démultipliés par le bouleversement de l’accès et de la diffusion de l’information. La résilience et la capacité d’adaptation des bibliothèques face aux crises ont pu enfin révéler la formidable capacité d’adaptation, voire de résilience de ces institutions sous l’impulsion des professionnels qui les animent. Cette dimension internationale est finalement un ferment puissant pour s’interroger sur sa propre pratique et moduler son travail au quotidien.