Le projet Ressources éducatives dans la région SAVA à Madagascar (2021-2023)
Les bibliothèques, dans de nombreuses formes, contribuent à l’éducation et au développement de leurs communautés ; parmi elles, les bibliothèques associatives comme celles du réseau des Alliances Françaises. Présent dans plus de 100 pays, ce réseau propose aussi des cours de langue française et des actions culturelles, faisant de lui un partenaire naturel du projet Ressources éducatives à Madagascar.
Initié et financé par l’Agence française de développement (AFD) et mis en œuvre par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Institut français, le projet Ressources éducatives vise à renforcer l’accès des élèves du primaire et du secondaire en Afrique subsaharienne francophone à un ensemble de ressources éducatives de qualité. L’Institut français soutient en particulier la composante « Lire pour apprendre » qui promeut la littérature jeunesse au service des apprentissages. Cette composante s’inscrit dans la dynamique de l’Objectif de développement durable no 4 fixé par l’Agenda 2030 des Nations unies : « Veiller à ce que tous puissent suivre une éducation de qualité dans des conditions d’équité et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. »
Madagascar a été choisi comme pays pilote pour la phase 1 du projet. Cet article se concentre sur sa préparation et sa mise en œuvre dans la région SAVA 1
s« La SAVA est l’une des vingt-quatre régions de Madagascar, dont le nom est un acronyme formé à partir de ceux de ses quatre districts : Sambava, Antalaha, Vohemar et Andapa. Située dans la partie du nord-est de l’île, elle appartient à la province de Diego-Suarez. Son chef-lieu est Sambava. » Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sava_(r%C3%A9gion)
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Figure. Visuel du projet Ressources éducatives Madagascar
Le projet Ressources éducatives dans la région SAVA
La composante « Lire pour apprendre » du projet Ressources éducatives est déclinée à Madagascar autour de trois axes reliés à des professions : éducation, lecture publique et édition. Le projet permet de renforcer les liens entre les écoles, les bibliothèques et les structures de la chaîne du livre. Le réseau conséquent de partenaires de chaque Alliance est également mis à contribution pour ancrer le projet localement.
Enfin, l’Alliance Française de Sambava a accueilli dans ses locaux la coordinatrice du projet Ressources éducatives en SAVA pour la phase 1.
En SAVA, le projet s’est concentré sur les axes éducation et lecture publique. Réputée pour sa production de vanille, cette région est géographiquement enclavée et attire peu de touristes. Elle compte environ 800 000 habitants Elle ne compte aucune librairie ou maison d’édition, et les bibliothèques se limitent à celles des Alliances Françaises, des communes, et des Centres de lecture, d’information et de culture (CLIC) 2
Le réseau CLIC regroupe 26 bibliothèques de brousse et a été créé par l’association Trait d’union France Madagascar dans le cadre de partenariats conventionnels. Source : https://www.trait-d-union.org/index.php/nous-connaitre/objectifs
Côté éducation, de nombreuses écoles primaires et secondaires, publiques et privées, accueillent les enfants de la région : une soixantaine sur la seule commune urbaine de Sambava. Ces écoles sont les partenaires privilégiés de l’Alliance Française de Sambava, centre culturel francophone ouvert depuis 1979.
Les actions menées entre 2021 et 2023
Bien que les initiatives promouvant le livre et la lecture demeurent rares dans la région SAVA, celles qui voient le jour rencontrent un engouement remarquable auprès de la population locale. Par exemple, les clubs de slam de l’Université d’Antalaha et de l’Alliance Française de Sambava ne désemplissent pas. Les demandes des écoles rurales de bénéficier du bibliobus de l’Alliance Française sont nombreuses. Mais le livre reste confiné aux rares bibliothèques.
Le comité régional SAVA a donc décidé d’organiser le premier Salon du livre régional en novembre 2021, avec pour objectifs :
- de valoriser les métiers de la chaîne du livre peu représentés dans la région : éditeur·rice, libraire, auteur·rice ;
- de promouvoir les livres jeunesse soutenus par le projet Ressources éducatives et publiés en malgache officiel ;
- de collaborer avec les établissements scolaires pour promouvoir le livre et la lecture auprès des collégien·nes ;
- de faire connaître le projet et ses déclinaisons dans la région, notamment son soutien des classes pilotes et des bibliothèques locales.
De fait, le salon a atteint ses objectifs grâce à la forte collaboration avec les collèges privés et publics de la ville. L’auteur invité lors du salon a tissé des liens forts avec les jeunes de la ville, en particulier celle·eux qui font partie du club de slam de l’Alliance Française.
En parallèle, une campagne de distribution de documents a été menée dans la région. Ils ont été soigneusement sélectionnés pour répondre aux besoins spécifiques des écoles et des bibliothèques, parmi les collections des maisons d’édition malgaches. Les documents ont trouvé leur place dans les écoles et les bibliothèques bénéficiaires du projet. Cette action a nécessité une logistique importante, compte tenu des défis logistiques de la région : routes en mauvais état, pistes impraticables en saison des pluies, trajets de nuit dangereux.
Cette action de distribution a été accompagnée de formations, détaillées ci-dessous :
- Durant la phase 1 du projet, 90 bibliothécaires ont été formé·es à Madagascar, dont 20 dans la région SAVA : employé·es des CLIC, des Alliances Françaises, des bibliothèques municipales et associatives. L’accent a été mis sur l’utilisation de la littérature jeunesse comme outil pédagogique, permettant aux bibliothécaires de devenir de véritables médiateurs entre les livres et les jeunes lecteurs.
- Pour travailler avec les classes du CM1 à la 6e, les équipes du projet Ressources éducatives à Madagascar ont délégué aux représentant·es du ministère de l’Éducation nationale le choix des classes et surtout des enseignant·es à accompagner. La formation des enseignant·es s’est portée sur deux points : l’intégration de la littérature jeunesse dans l’enseignement ; l’utilisation des points lecture, financés par le projet et installés dans les salles de classe directement.
L’implantation des points lecture a présenté certains défis au niveau local, notamment en ce qui concerne l’acquisition de mobilier. En effet, la fourniture des étagères incombait aux établissements scolaires, mais sans budget supplémentaire fourni par la Direction régionale de l’éducation nationale (DREN). Plusieurs écoles ont ainsi dû organiser des campagnes de collecte de fonds auprès des parents d’élèves afin d’acquérir le mobilier nécessaire. Cette démarche, bien qu’illustrant l’engagement de la communauté pour l’éducation, souligne également les contraintes budgétaires auxquelles fait face tout projet de promotion de la lecture.
Ces actions conjuguées ont permis de créer une dynamique positive autour du livre et de la lecture dans la région SAVA, posant les bases d’un changement que l’on espère durable dans les pratiques éducatives et culturelles.
Impacts et conséquences positives du projet
L’Alliance Française de Sambava a bénéficié du projet Ressources éducatives sur de multiples aspects :
- la première coordinatrice régionale était membre du conseil d’administration de l’Alliance Française, valorisant son engagement local pour le développement d’une éducation accessible de qualité ;
- plusieurs personnels de l’Alliance ont pu bénéficier des formations dispensées dans le cadre du projet : la bibliothécaire jeunesse et le responsable culturel (qui devient, en 2023, coordinateur régional). Ces formations couvrent des thématiques opérationnelles (lecture à voix haute, utilisation des ressources du projet, conception d’une activité) mais permettent d’acquérir des compétences transversales (capacités d’innovation et d’adaptation, gestion de projet, communication) ;
- amélioration de la qualité des services proposés, avec des activités mieux construites ;
- développement du réseau professionnel des bibliothécaires et meilleure circulation des informations ;
- personnel davantage motivé, via la restitution des formations en interne.
Le projet Ressources éducatives dans la région SAVA a également eu des répercussions sur d’autres actions menées de manière indépendantes. En voici deux exemples :
- L’ouverture d’une médiathèque municipale à Sambava en 2021. Elle est le fruit d’une action de coopération internationale menée par le maire auprès de la diaspora malgache. Les deux fonctionnaires locaux affecté·es à la médiathèque ont bénéficié immédiatement du soutien des bibliothécaires de l’Alliance : accompagnement, activités hors les murs… Et sont les nouvelles recrues du groupe régional des bibliothécaires formés par le projet Ressources éducatives.
- Les échanges épistolaires entre deux écoles primaires, l’une à Sambava et l’autre en Charente-Maritime. Ces échanges ont été supervisés par Angélique Condominas, écrivaine, dans le cadre d’un compagnonnage d’auteur. Pendant plusieurs mois, les élèves ont échangé des textes sur des thèmes variés tels que leur vie quotidienne, leurs traditions et leurs rêves d’avenir. Cette initiative a permis non seulement de développer les compétences en écriture des enfants, mais aussi de favoriser la compréhension interculturelle. À partir des lettres écrites des deux côtés, Angélique Condominas a écrit un livre et réfléchit à son propre rapport à l’interculturalité. Publié en 2024, le recueil a reçu un accueil enthousiaste tant à Madagascar qu’en France.
Perspectives et limites de la coopération internationale
Le projet Ressources éducatives vise à valoriser la littérature jeunesse dans l’éducation. L’un des piliers du projet est donc le développement de l’édition jeunesse locale. Cependant, les difficultés économiques du pays, le faible pouvoir d’achat de la population et le manque d’infrastructures de distribution constituent des obstacles majeurs au développement d’une industrie éditoriale robuste. La collaboration avec des partenaires internationaux offre des opportunités de coédition et de transfert de compétences. Malgré tout, les défis restent nombreux. Parmi eux, la difficulté à s’approvisionner en matières premières et la volonté de trouver l’équilibre entre l’importation de livres francophones et le développement d’une production locale.
Pour soutenir les maisons d’édition locales, le projet a mis en place un système de contrats de souscription, finançant ainsi 11 livres jeunesse durant la phase 1. Ils sont ensuite distribués aux bénéficiaires du projet après la publication.
La politique et la réalité linguistiques de Madagascar ajoutent une complexité supplémentaire à la diffusion de la littérature jeunesse. Le projet doit trouver un équilibre autour de ces différents enjeux :
- la valorisation des auteur·rices malgaches qui écrivent en français ;
- l’adaptation aux besoins locaux et aux 18 dialectes reconnus sur l’île ;
- le bilinguisme français/dialecte-malgache officiel.
Un autre défi des projets de coopération internationale est la question de la prise de décision sur l’allocation des ressources. Pour le projet Ressources éducatives, ce sont les comités régionaux qui arbitrent les dépenses. Chaque comité régional est constitué de professionnel·les des organes décentralisés des ministères de tutelle (DREN, DRCC [Direction en charge des relations cultuelles et communautaires]), réplique régionale des organes partenaires du projet. Localement, les comités régionaux sont complétés par des partenaires : Alliance Française, écoles, association de slam, mairie, association d’auteur·rices…
Certaines adaptations budgétaires ont été nécessaires face aux réalités du terrain. Par exemple, une part non négligeable du budget est allouée au transport de la coordinatrice du projet avec la location ponctuelle d’une voiture pouvant rouler sur piste, pour transporter les documents jusqu’aux écoles et bibliothèques partenaires.
Pour garantir la pérennité du projet, plusieurs stratégies ont été mises en place :
- création des comités régionaux ;
- développement de formateurs pour contrer le turn-over ;
- recherche d’autres bailleurs depuis les ministères de tutelle du projet pour réduire progressivement le financement de l’AFD.
Pour conclure, les actions menées durant la phase 1 du projet dans la région SAVA ont été couronnées de succès. Elles démontrent le potentiel transformateur de telles collaborations internationales lorsqu’elles sont menées avec sensibilité et en étroite concertation avec les acteurs locaux.
Les actions évoquées dans cet article s’arrêtent cependant en 2022, avec la fin de la phase 1. La phase 2 du projet Ressources éducatives a poursuivi sur la même voie, en rencontrant d’autres défis :
- au niveau local : renouvellement des personnels de l’Institut français, forte charge de travail pour l’équipe projet ;
- au niveau des bailleurs : fortes contraintes économiques inattendues en lien avec l’actualité internationale.
Il paraît important de valoriser le choix d’avoir intégré pleinement les bibliothèques locales à un projet éducatif national. Au-delà de leur fonction traditionnelle de conservation et de diffusion du savoir, les bibliothèques apparaissent comme des vecteurs de transformation sociale et culturelle. La collaboration internationale dans ce domaine dépasse le simple partage de ressources et d’expertise pour créer des liens entre les cultures.
Cette initiative montre également que les bibliothèques peuvent être des acteurs clés dans la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier en ce qui concerne l’éducation de qualité et la réduction des inégalités. En facilitant l’accès à l’information et à la culture, elles contribuent à renforcer l’autonomie des communautés locales et à élargir leurs horizons.
L’examen des perspectives et des défis du projet Ressources éducatives dans la région SAVA révèle une réalité complexe. Malgré ses réussites, le projet doit composer avec des enjeux linguistiques, économiques et culturels. Sa réussite à long terme dépendra de la capacité de ses parties prenantes à ajuster leurs stratégies aux réalités locales tout en maintenant une vision ambitieuse du développement culturel et éducatif.