La médiathèque départementale du Pas-de-Calais et le reste du monde

Ou pourquoi une médiathèque départementale se dote d’une stratégie pluriannuelle autour de la coopération internationale

Marjorie Alexandra Bellini

Gwendoline Coipeault

Benjamin Kesteloot

Océane Zielinski

Nous avons commencé cette année 2024, à la Médiathèque départementale du Pas-de-Calais, avec l’envie et l’ambition de porter un nouveau projet global autour de la coopération internationale. En tant que médiathèque départementale, nous sommes simultanément une médiathèque (de bibliothécaires), un lieu de ressources et de formation, un appui pour le fonctionnement des bibliothèques et un soutien dans leurs projets… La coopération internationale vient questionner le développement des équipements de lecture publique, enrichir notre offre de formation et apporte des leviers concrets dans la réalisation des projets.

Notre ambition est double : porter des projets en propre d’une part, et donner à nos partenaires l’envie de se lancer. Nous voulons ouvrir ensemble le champ des possibles.

Nous avons l’envie de le faire et la conviction que c’est indispensable ; mais cela ne suffit pas. Ce qui a rendu possible la concrétisation de ce projet, c’est le contexte dans lequel nous nous trouvons. Le Pas-de-Calais est composé de 890 communes et de plus de 1 460 000 habitants. Porteur d’une politique forte en matière de lecture publique, le Département du Pas-de-Calais soutient une vision inclusive et au plus près du territoire. La Médiathèque départementale travaille en partenariat avec plus de 280 bibliothèques et médiathèques et 125 collèges, des Relais d’assistantes maternelles, centres de Protection maternelle et infantile, les Maisons départementales de solidarité 1

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Les Maisons départementales de solidarité (MDS) ont des missions d’accompagnement social de la population. Elles sont chargées d’accueillir le public au sein de leurs sites, d’écouter les besoins et les attentes des habitants, de les orienter, les accompagner, les conseiller et, le cas échéant, de les protéger.

, etc. Notre rôle, c’est d’accompagner partout, du mieux que nous le pouvons, le développement de la lecture publique et des espaces où elle existe, de prêter des collections diverses à nos partenaires, de les former, de plaider partout la cause de la lecture publique et notamment auprès des élus. Nous sommes dans ce mouvement perpétuel d’accueillir nos partenaires dans les murs de nos trois sites et d’aller à leur rencontre sur tous les territoires. Toutes les médiathèques départementales ont « l’aller vers » chevillé au corps.

Puisque nous travaillons déjà toute l’année dans une approche transversale, croisant sans cesse les expertises, les perspectives, favorisant les échanges pour abonder l’énergie déployée dans les bibliothèques du territoire, quoi de plus naturel pour nous que d’élargir cette approche à l’international ? Nous considérons que les meilleures bibliothèques sont avant tout des lieux vivants, d’expérimentation, d’accueil et de rencontres vraies. Cette interprétation de la rencontre peut varier : en Europe, nous observons par exemple une facilité (ou du moins une ancienneté) de la pratique des équipements mutualisés. Si de plus en plus d’équipements de lecture publique sont concernés en France, cela reste toutefois assez minoritaire.

Si les échanges sont faciles et fréquents avec nos voisin·es (et cousin·es) du Nord, de la Somme, de l’Oise et de l’Aisne, nous ne sommes pas contraint·es par nos frontières régionales. La Belgique est tout près et puis, par temps clair, on voit les côtes anglaises…

Coopérer pour s’enrichir, se renouveler, se confronter

Un des bénéfices de la coopération internationale, c’est qu’elle vient bousculer nos perceptions des autres mais également de nous-mêmes. En observant le fonctionnement des autres bibliothèques, nous prenons conscience que nos questionnements, nos envies, nos frustrations se ressemblent. Nous trouvons bien plus souvent des éléments communs que des fractures dans la comparaison entre nos services. De la même façon, nous nous réjouissons de construire des projets avec l’Europe – et pourquoi pas le reste du monde – à la Médiathèque départementale du Pas-de-Calais parce que ces projets vont certes nous enrichir mais également raconter une autre histoire, une autre perspective nous concernant. En valorisant des compétences acquises dans des projets de coopération internationale (qu’il s’agisse de la gestion de projet, de pratiques de travail transversales ou encore de levée de fonds), elles viennent abonder les perspectives professionnelles futures des agents concernés.

Les compétences acquises dans le suivi de projets, notamment à l’échelle européenne, viennent également nourrir une reconnaissance de la technicité du métier – y compris vis-à-vis des élus ou d’autres acteurs de la collectivité. Cette reconnaissance de la technicité vient à son tour sécuriser des postes dans un contexte de recherche d’économies dans les collectivités territoriales, qui se traduit notamment par une déqualification, voire une réduction des postes en lecture publique.

Disons-le clairement : dans un contexte territorial marqué par les difficultés financières, travailler en coopération internationale, c’est aussi se donner une chance d’aller chercher des moyens (y compris financiers) de continuer à porter des projets de lecture publique ambitieux. C’est un argument redoutable pour convaincre sa tutelle politique : l’appel (même incertain) de la recette est un chant de sirène dans le contexte économique actuel. Le risque, que nous avons rapidement identifié, c’est que l’offre de financements est pléthorique : il y a des dizaines d’appels à projets, avec des échelles et des temporalités différentes. La tentation de tout saisir est forte, mais pour qu’un projet aboutisse il ne faut pas se disperser.

Il était donc évident pour nous qu’une approche réussie devait être globale et s’inscrire dans le temps long : premièrement, il nous fallait créer des liens, ouvrir un dialogue de confiance avec des partenaires – c’est chose faite, même si ce travail se poursuit. Nous nous intéressons à des équipements aux fonctions similaires aux nôtres et à tous les équipements de lecture publique dont les pratiques professionnelles viennent enrichir l’évolution du métier. Deuxièmement, il fallait identifier les pistes de financement pour nos projets et prioriser les démarches à entreprendre pour leur permettre d’aboutir. Notre exigence, sur ce point, est que ces projets puissent bénéficier largement aux partenaires avec lesquels nous travaillons : la taille d’une bibliothèque ne doit pas être un frein pour accompagner son ouverture sur le monde de même que sa situation géographique. Troisièmement, il était indispensable pour nous de nouer des liens avec des institutions et associations nationales et internationales actives dans le champ de la coopération internationale : la Bpi 2

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Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou.

bien entendu, l’ABF 3
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Association des bibliothécaires de France.

, le Cfibd 4
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Comité français international bibliothèques et documentation.

, EBLIDA 5
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European Bureau of Library, Information and Documentation Associations.

, l’IFLA 6
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Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques.

, Public Libraries 2030 7… Le quatrième pilier de notre stratégie est la structuration de la communication sur ce que nous faisons – tant auprès de notre tutelle et de nos partenaires que de l’extérieur. Là encore, le travail est en cours mais il avance bien. Enfin, il nous fallait concrétiser des projets : nous avons visité le B3 8
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Le B3 est un bâtiment culturel et éducatif situé dans le quartier d’Outremeuse à Liège, et inauguré en juin 2023.

à Liège pour nous inspirer de ses pratiques innovantes avec les collègues de l’ABF des Hauts-de-France, nous avons participé à une rencontre avec les bibliothèques belges wallonnes organisées par Public Libraries 2030 à Bruxelles, nous avons accueilli une première formation sur la coopération internationale en bibliothèque et la recherche de financements européens… Dans cet article, nous reviendrons sur deux autres temps forts de notre année : Océane Zielinski a participé au voyage d’étude de la Bpi au Québec, et Benjamin Kesteloot est allé nous représenter en Belgique.

À la rencontre des bibliothèques québécoises avec la Bpi

Au croisement des axes structurant notre approche de la coopération internationale, le voyage d’étude organisé par la Bpi incarne à la fois une découverte de pratiques métier, un temps de formation à part entière, et l’opportunité de communiquer autrement sur nos territoires et nos missions.

Une des vertus particulières des journées professionnelles, congrès ou autres journées d’étude, c’est le pas de côté qu’elles rendent possible. Cette possibilité de s’extraire quelques heures ou quelques jours de son propre contexte, pour échanger avec d’autres professionnels, partager des pratiques, des questionnements, nous aide à interroger de manière constructive nos organisations. Certes, on en revient généralement avec plus de questions que de réponses mais ce sont ces nouvelles perspectives qui nous permettent d’avancer. Les échanges internationaux poussent ce pas de côté encore plus loin dans ce qui fait leur principale qualité : la rencontre d’une culture autre que la sienne.

Ces échanges permettent de dépasser la limite des échanges franco-français qu’est le partage d’une culture professionnelle commune. Nous pouvons lire des articles étrangers mais cela restera une expérience de seconde main et ne permet pas de vivre cette culture métier, d’appréhender la réalité professionnelle, politique, locale de nos collègues étrangers. On ne (se) change pas mais on peut déjouer cet obstacle de plusieurs manières, plus ou moins gourmandes en ressources et en temps. On peut solliciter un intervenant étranger pour qu’il partage sa culture métier, ses enjeux, ses questionnements. On peut organiser une visite apprenante si l’on a la chance d’être près d’une frontière, comme l’a par exemple proposé l’ABF Hauts-de-France en mars 2024, en Allemagne et en Suisse, et encore en octobre au B3 à Liège. On peut monter des projets conjoints sans forcément se déplacer. On peut partir en immersion professionnelle par des dispositifs européens tels qu’Erasmus+. Il n’existe pas de schéma unique pour définir les échanges internationaux en lecture publique. Chacun peut créer son projet selon ses envies et ses moyens.

Le voyage d’étude au Québec organisé par la Bpi en mai 2024 a réuni pendant cinq jours un petit groupe d’une quinzaine de professionnels des bibliothèques. Nous avons pris nos cliques et nos claques, nos mots, nos tabernacles, et sommes allés à la rencontre de bibliothécaires québécois et à la découverte de leurs équipements : 5 jours, 5 villes, 9 équipements, 11 rencontres. De BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) à une bibliothèque de quartier défavorisé de Québec, ce voyage a permis d’appréhender la lecture publique au Québec et d’échanger sur la vision métier des bibliothécaires québécois et sur les enjeux actuels. Toute la richesse de ces échanges et de la confrontation à la réalité de l’autre est de constater que, même en présence de cultures et contextes différents, on retrouve toujours des similitudes, des enjeux et questionnements partagés. Là où une crise du logement sans précédent frappe le Québec et génère beaucoup d’itinérances et un afflux de personnes en bibliothèques qui viennent y trouver refuge pour fuir la rudesse de l’hiver, la Bpi peut apporter son expérience de l’accueil de ce public de longue date dans ses espaces. Ce voyage amène des échanges sur les approches expérimentées et envisagées de part et d’autre de l’Atlantique. On a de la peine à fidéliser le public adolescent au Québec ; c’est aussi un enjeu en France. Les préoccupations et envies se rejoignent sur les espaces, les budgets participatifs, l’implication directe des publics.

Une des forces de ce type de voyage organisé est qu’il permet à la fois d’échanger avec des collègues étrangers et entre collègues français. Entre l’expérience Bpi, une expérience réseau, intercommunale ou départementale, les problématiques ne sont pas les mêmes ou bien ne se manifestent pas au même niveau. Le pas de côté est alors double, d’une part sur un autre continent, d’autre part sur un même territoire, avec une même culture professionnelle mais un quotidien différent et dans un périmètre d’action parfois peu comparable.

Ce type de voyage est l’occasion de créer des contacts, de réseauter, même si les échanges n’aboutissent pas immédiatement à des propositions de projet commun. Ils présagent tout autant de futures coopérations internationales ou même nationales. Nous reviendrons à Montréal. Ces échanges, même brefs, sèment la graine de l’envie de franchir les frontières pour porter des projets qui font sens et pour que chacun, professionnel comme usager, puisse récolter les fruits de ces petits pas de côté qui ouvrent tant de possibilités.

Cette ouverture au monde, nous la portons tout au long de l’année dans notre action à destination du public adolescent. Nous avons pu présenter ce travail autour d’un dispositif visant à faciliter la rencontre du livre et de son lecteur : Jeunes en librairie.

Jeunes en librairie : le livre, partout !

En tant que Médiathèque départementale, nous portons avec nos partenaires le rôle social et économique des bibliothèques en lien étroit avec le rôle de médiation du livre et de la lecture. Cette approche est partagée par de nombreuses bibliothèques européennes. Nous sommes confrontés, dans toute l’Europe, à l’importance de renforcer l’éducation aux médias et à l’information et d’encourager le développement de l’esprit critique. À constat commun, réponse commune : la coopération ouvre des perspectives dans la coordination européenne pour la construction des futurs citoyens européens.

Nous participons à un dispositif, Jeunes en librairie, qui œuvre à ces objectifs en permettant de sensibiliser les jeunes, principalement en collège, à l’économie du livre, à choisir et acheter un livre et à rencontrer un acteur de la chaîne du livre. Jeunes en librairie est le fruit d’un partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Culture. Porté par l’association Les Libraires d’en haut, le dispositif est enrichi par la coopération de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Hauts-de-France, de plusieurs Départements (Aisne, Oise et Pas-de-Calais) et de l’Éducation nationale (inspecteurs et enseignants) autour des mêmes objectifs de faciliter l’accès au livre et la connaissance du circuit du livre pour les jeunes. Jeunes en librairie est par ailleurs soutenu par la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), la Fondation Hachette et l’Union européenne.

À l’occasion des Journées des auteurs européens organisées par la Commission européenne et qui ont eu lieu à Louvain en Belgique les 25 et 26 mars 2024, nous avons pu présenter ce dispositif et son rôle dans la médiation du livre pour un public adolescent. Là encore, les problématiques autour de l’accueil des ados nous rapprochent ! Plusieurs acteurs de la chaîne du livre (auteurs, enseignants, libraires, bibliothécaires… et lecteurs) ont abordé la coopération entre les acteurs du livre et de l’éducation.

À l’échelle européenne, nous avons partagé les recommandations suivantes pour faciliter cette coopération : impliquer les acteurs du livre dans les activités scolaires, le réseau culturel local et les familles ; renforcer la relation entre bibliothèques scolaires et publiques. Les projets favorisant la lecture dès le plus jeune âge ont été mis à l’honneur.

Ce type de rencontres européennes illustrent idéalement les similitudes entre nos problématiques et les différences enrichissantes dans la façon dont nous les abordons ; elles viennent démontrer – s’il le fallait encore – l’intérêt d’échanger, de découvrir de nouvelles pratiques ou approches.

Nous poursuivrons notre route à Bruxelles la belle dans l’optique de présenter au Parlement européen la force, la richesse et la diversité hors du commun des bibliothèques françaises. En 2025, l’objectif est clair : nous irons encore plus loin. Loin, loin, c’était certain…