La bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg : un horizon européen ouvert sur le monde
La Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (Bnu) est aujourd’hui l’un des plus importants établissements documentaires de France. En raison de son histoire marquée par les conflits franco-allemands, elle forme un condensé de l’histoire européenne des deux siècles passés. C’est riche de cette histoire, du statut de capitale européenne de Strasbourg et de ses collections que la Bnu développe sa politique internationale, toujours dans le sens du renforcement du dialogue entre les cultures et entre les peuples.
Lors de sa fondation sur les cendres des bibliothèques de Strasbourg en 1871, la bibliothèque impériale, universitaire et régionale du Reichsland d’Alsace-Lorraine (« l’ancêtre » de la Bnu) voit arriver des milliers de dons du monde entier. Ces dons de documents sont destinés à reconstituer une grande bibliothèque dans la capitale des deux provinces perdues par la France par la signature du traité de Francfort. Dès son origine, la Bnu devient par conséquent une bibliothèque ouverte sur le monde. Ce sont durant ces premières années qu’arrivent des fonds arabes, turcs, indiens, persans, etc. Après 1895 et l’installation dans ses locaux de la place impériale (actuelle place de la République), le deuxième directeur de la bibliothèque, Julius Euting (1839-1913), par ailleurs philologue et orientaliste, poursuit cette politique d’ouverture aux cultures du monde, une impulsion soutenue par la Weltpolitik de Guillaume II. Dès lors, la bibliothèque impériale de Strasbourg obtient des crédits importants pour acquérir papyri, ostraka et autres objets archéologiques en provenance d’Égypte et du Levant. Ainsi, à la veille du premier conflit mondial, Strasbourg est un centre universitaire important, en particulier, pour les recherches sur les civilisations du proche et du Moyen-Orient.
Après son retour son retour à la France, la Bnu acquiert son statut, toujours actuel, de seconde bibliothèque nationale. Dans le contexte de l’entre-deux-guerres, l’établissement développe une politique résolument tournée vers les études des civilisations germaniques mais aussi des pays d’Europe centrale et orientale. Après 1945, la Bnu poursuit sur cette voie, elle conclut alors de nombreux accords d’échanges avec des bibliothèques allemandes, des pays européens du bloc soviétique mais aussi du Proche et du Moyen-Orient.
Rapidement brossé, cet aperçu historique permet de mieux comprendre l’une des principales particularités de la Bnu : son ouverture vers l’Europe et l’Orient. S’ajoutent à cet héritage la construction européenne et le statut européen de Strasbourg, avec l’installation du Conseil de l’Europe en 1949, du Parlement européen ou encore de la Cour européenne des droits de l’Homme. Ces institutions s’accompagnent alors de l’installation dans la ville d’ambassades et de consulats qui forment un réseau consulaire rare en France en dehors de Paris.
Cette histoire et ce statut de capitale européenne sont certainement les catalyseurs de la politique internationale de la Bnu. L’établissement a pu s’appuyer sur ses collections exceptionnelles pour développer des projets nombreux et variés afin de les faire connaître et de favoriser leur étude. Dès lors, la Bnu constitue, aujourd’hui, l’un des rares établissements documentaires de l’enseignement supérieur et de la recherche à pouvoir disposer d’une stratégie autonome en matière de politique internationale. Depuis les années 1990-2000, celle-ci s’est traduite par le développement de coopérations bilatérales avec la Bibliothèque d’État du Wurtemberg (Allemagne), la Bibliothèque nationale de Lettonie ou l’Académie des sciences de Hongrie. Dans ce cadre, des projets tels que des expositions, des échanges professionnels, des partages d’expérience ont pu participer aux développements communs des partenaires.
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Figure 1. Le séminaire commun des équipes de direction de la Bibliothèque d’État du Wurtemberg (Württembergische Landesbibliothek, WLB, à Stuttgart) et de la Bnu, qui s’est tenu en novembre 2022
Crédit photo : WLB
Mais autonomie ne signifie pas isolement, la Bnu est aussi un acteur inscrit dans son territoire : elle est associée à EUCOR – le campus européen, une alliance qui réunit les universités de Strasbourg, Mulhouse, Bâle, Fribourg-en-Brisgau ou Karlsruhe. La mise en place de coopérations à l’échelle du site universitaire alsacien a également conduit la Bnu à prendre part, récemment, à des échanges avec les universités de Poznan (Pologne) ou de Cluj (Roumanie).
Mais la stratégie développée par la bibliothèque ne saurait se limiter aux frontières du continent européen : située sur une frontière, la Bnu a développé un tropisme marqué pour les échanges entre les cultures. En s’appuyant sur l’importance de ses collections orientales, la Bnu a développé dès ses origines de riches échanges avec les pays du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient : Syrie, Égypte, Grèce ou Iran. C’est sur cet héritage et sur ces fonds exceptionnels que le projet de musée des civilisations du Proche et Moyen-Orient s’appuie. Lancé depuis quelques années, ce projet de musée partenarial vise à mettre en lumière non seulement ces collections, mais aussi la tradition d’excellence scientifique portée par l’Université de Strasbourg à travers les recherches menées au sein de ses instituts d’égyptologie ou d'histoire et d'archéologie de l'Orient ancien. Aujourd’hui, ce musée réunit outre la Bnu et l’Université de Strasbourg, les musées de la ville ou encore le Louvre. En 2024, la présentation de l’exposition Mari en Syrie, a permis d’offrir à un vaste public une avant-première de ce que le futur musée pourra offrir en termes de médiation scientifique. Le projet a été l’occasion d’un partenariat international inédit avec le Musée royal de Mariemont en Belgique qui a présenté l’exposition dans ses murs à la fin 2023. Ce projet réussi de coopération internationale autour des collections orientales de la Bnu et de ses partenaires ouvre la voie vers l’intensification de ces relations et le développement d’autres coopérations du même type dans le domaine culturel et scientifique.
Toujours plus à l’Est, la Bnu a également développé depuis 2018 un partenariat avec l’Université Gakushūin de Tokyo. Il s’agit toujours d’un projet partenarial, inscrit en lien avec à la fois le département d’études japonaises de l’Université de Strasbourg et le service des bibliothèques de la même université. Depuis plusieurs années désormais, le japonais est l’une des langues les plus étudiées à Strasbourg. Des projets culturels ont pu voir le jour dans le cadre de coopérations entre la France et le Japon avec des expositions autour de Mishima (2018), des cérémonies de la noblesse nippone durant l’époque moderne (2022), et bientôt autour du livre dans le cadre de l’année Strasbourg, capitale mondiale du livre. Ces échanges sont l’occasion de souligner le dynamisme des études japonaises en Alsace, de faire connaître les projets universitaires menés dans ce cadre et d’ouvrir à un large public les trésors de Gakushūin et ceux conservés en Alsace.
Dans sa stratégie en cours de réflexion pour les quatre prochaines années, la Bnu se nourrit de ces expériences réussies pour approfondir des partenariats existants : c’est notamment le cas dans le cadre des échanges mis en place de longue date avec l’Académie des sciences de Hongrie ou, plus récemment, avec la Bibliothèque nationale d’Albanie. Ces deux institutions présentent des complémentarités importantes avec les collections orientales conservées à la Bnu et chez ses partenaires. Des projets culturels et scientifiques pourraient prendre forme sur cette base et contribuer à nourrir les échanges internationaux en la matière.
Mais Strasbourg est aussi une capitale européenne : depuis les années 1990, la Bnu développe un fonds de référence sur les institutions européennes. Depuis les années 2010, elle conserve, en dépôt, la bibliothèque du Conseil de l’Europe. Grâce à son statut unique, la bibliothèque se présente comme un atout pour les collectivités locales soucieuses de défendre la place de Strasbourg au sein des institutions communautaires. De fait, la Bnu développe des relations privilégiées avec le Parlement européen grâce à la signature d’une convention en 2019. Elle poursuit également des échanges réguliers avec la Cour européenne des droits de l’Homme ou avec l’important réseau consulaire de Strasbourg. Depuis plusieurs années désormais, la Bnu s’associe également aux États qui assurant la présidence tournante du Conseil de l’Europe. Partenaire de la Bibliothèque nationale de Lettonie, c’est naturellement que la Représentation lettone auprès du Conseil de l’Europe s’est tournée vers la Bnu en 2022 pour accueillir un parcours consacré aux victimes des déportations soviétiques dans les États baltes. L’exposition-dossier, organisée dans les réserves de la Bnu, a permis de présenter cette histoire peu connue en Europe occidentale, de montrer de fragiles documents manuscrits sur bois de bouleau ou encore d’accueillir divers événements (journée d’études, conférences, projections). Deux ans plus tard, ce partenariat réussi nourrit encore des échanges avec un État voisin, la Lituanie cette fois. Dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Europe, la Bnu accueille sous l’égide d’Emilia Koustova, maîtresse de conférences de l’Université de Strasbourg, une journée d’études consacrée aux retours d’exils en Europe orientale.
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Figure 2. La visite de l’exposition « Lettres de Sibérie », le 5 septembre 2023, par la députée du Bas-Rhin Sandra Regol (vice-présidente du groupe d’amitié France-Lettonie jusqu’en juin 2024) et Jānis Kārkliņš, ambassadeur, représentant permanent auprès du Conseil de l’Europe de la République de Lettonie. Ils sont guidés par Dmitry Kudryashov, responsable scientifique Europe médiane et orientale à la Bnu
Crédit photo : Bnu-JPR
Européenne par son histoire, la Bnu a choisi, dans le cadre du projet d’établissement de la période 2024-2028 qui va s’ouvrir, de poursuivre dans cette voie. Face aux crises politiques, culturelles ou démocratiques, confrontées aussi à l’agressivité de régimes illibéraux, voire autoritaires, il a paru essentiel pour un établissement comme la Bnu d’agir au service des citoyens et des citoyennes. En s’appuyant sur les nombreux partenariats mis en place de longue date – par exemple, depuis plus de vingt ans, avec la Bibliothèque d’État du Wurtemberg, à Stuttgart –, la Bnu va s’efforcer, dans l’ensemble de ses projets culturels et scientifiques, de contribuer du mieux possible à la défense des valeurs fondamentales de liberté, d’égalité ou d’inclusion. Ces valeurs, déjà présentes dans la démarche antérieure de l’établissement, seront encore davantage affirmées au moment où elles se trouvent en grand danger.
Montrer la manière dont se fabriquent les savoirs, développer l’esprit critique, lutter contre la désinformation, seront autant de chantiers au cœur des dynamiques internationales mises en œuvre par la Bnu. Tout comme le sera la favorisation du dialogue entre les civilisations pour en souligner non pas ce qui les opposerait, mais au contraire, la manière dont les échanges les enrichissent. Telle est certainement la vocation d’un établissement comme la Bnu, née de la confrontation entre la France et l’Allemagne.