« L’aviation c’est du sport ! » La documentation du musée de l’Air et de l’Espace

Valérie Joyaux

Développée dans une perspective de médiation culturelle et d’accès pour le plus grand nombre à une documentation spécialisée, la nouvelle médiathèque-ludothèque, ouverte en février 2023, invite le visiteur à compléter sa visite du musée de l’Air et de l’Espace par un approfondissement de l’histoire aéronautique et spatiale. Cette année olympique fut l’occasion pour l’équipement de puiser dans sa riche documentation certaines pépites.

Le musée a fait le choix d’inscrire cet espace au sein même de son parcours permanent, preuve s’il en est besoin que la documentation autour des collections est l’un des piliers de la connaissance et de l’ouverture au-delà de la très grande collection présentée dans ce non moins grand musée : plus de 25 000 m2 d’exposition présentant plus d’une centaine d’avions en taille réelle dans une dizaine de salles thématiques et un tarmac aménagé en espace de visite. L’objectif, inscrit dans le contrat d’objectif et de performance de l’établissement 2019-2024, est notamment d’apporter des ressources complémentaires au visiteur et de faire rayonner le musée au-delà de ses murs. Pour cela, il est prévu pour la médiathèque-ludothèque d’accroître ses dispositifs de médiation, de participer activement à des animations en lien avec les expositions et manifestations du musée et d’ouvrir à des activités hors les murs.

Actuellement, sur plus de 700 m2, est donné à voir, et surtout à consulter, la très riche documentation du musée issue du travail de sélection et conservation du département Recherche et documentation (DRD) : 500 000 photographies, 120 fonds d’archives, 40 000 plans, 10 000 notices techniques, 22 000 dossiers documentaires, 2 500 titres de revues, 30 000 ouvrages et plus de 8 700 témoignages sonores et vidéos. Fruit d’une étude des besoins des visiteurs, cet espace a été conçu en plusieurs parties afin de proposer aux publics les ressources adéquates, comme un espace avec des poufs permettant aux plus jeunes de consulter des livres éducatifs et ludiques adaptés à tous les âges ou de profiter d’une histoire racontée via un boîtier Lunii 1

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Lunii est une entreprise française fondée en 2014. Le produit phare de la société est « Ma fabrique à histoires », un appareil audio destiné aux enfants (Wikipédia).

 ; les parents quant à eux pourront prendre le temps de parcourir, installés sur une aile d’avion, une sélection de la presse spécialisée sur l’aéronautique et le spatial ou prendre plaisir à rejouer à des jeux tel Space Invaders dans l’espace de jeux d’arcade ; d’autres pourront pendant ce temps visionner, dans l’espace « à bord », l’un des films ou vidéos sur des sujets variés (voyages, culture scientifique, histoires, trésors patrimoniaux, métiers…) confortablement installé dans un fauteuil d’avion de 1re classe. Enfin, pour aller plus loin, les plus avertis pourront venir consulter les fonds, avec ou sans rendez-vous, du mercredi au vendredi dans la salle de recherche avec l’aide d’un documentaliste.

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Figure 1. La médiathèque

© Musée de l’Air et de l’Espace – Le Bourget

Il est intéressant de noter que la constitution tant des collections que de la documentation du musée de l’Air et de l’Espace s’est faite très rapidement au moment de l’évolution de cette nouvelle discipline qu’était l’aéronautique – et précédemment l’aérostation. Ainsi, dès les premières années du développement de l’aéronautique, sont collectés et sauvegardés tant des appareils que les documents qui y sont rattachés. C’est pourquoi les collections documentaires sont aussi riches aujourd’hui. C’est dès 1919 qu’Albert Caquot lance la constitution d’une collection sur les techniques aéronautiques qui prendra forme avec l’ouverture du premier musée, en 1921, dans un ancien atelier aérostatique à Chalais-Meudon.

L’évènement des Jeux olympiques et paralympiques de Paris a été l’occasion pour les équipes du musée de puiser dans ses très importants fonds pour étudier certains objets ou figures au regard de cette histoire sportive. Une sélection de photographies et de documents a été capitalisée par le DRD. Une première valorisation a été proposée dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, en septembre 2023, par des vitrines thématiques.

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Figure 2. Ballon libre au départ lors d’une manifestation sportive à Lyon, le 9 août 1942

© DR / Coll. musée de l’Air et de l’Espace - Le Bourget

Les premiers vols par des ballons gonflés à l’air chaud puis à l’hydrogène sont réalisés au XVIIIe siècle, puis en copiant les oiseaux notamment, les premiers aéronautes expérimenteront le vol à la fin du XIXe siècle. La première expérience de ballon à air chaud a lieu au Portugal en 1709, Resnier de Goué parcourt 300 mètres en vol planeur en 1801. Ces recherches ont permis de mettre à jour et de valoriser les nombreuses compétitions de ballons, et notamment les épreuves d’aéronautique qui ont fait partie des Jeux olympiques de 1900 à Paris. En effet, au moment de la refondation des olympiades, dénommées « concours internationaux d’exercices physiques et de sports », une section entière est consacrée à l’aérostation. Parmi les 24 épreuves de cette section, il est demandé aux concurrents d’aller le plus loin possible, de rester en l’air le plus longtemps possible, d’aller le plus haut possible ou d’atteindre au plus près possible un point, désigné à l’avance au concurrent ou par le concurrent lui-même. Un travail de valorisation de cette histoire méconnue a été effectué dans le cadre d’un partenariat avec le Musée national du sport, à Nice, par la publication en ligne de brèves et de focus.

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Figure 3. Ballon Le Saint-Louis au départ pour le record d’altitude (8 558 mètres) au Parc aérostatique annexe de Vincennes, le 23 septembre 1900

© Monde et Caméra / Coll. musée de l’Air et de l’Espace - Le Bourget

La figure du pilote change au début du XXe siècle, passant du « dandy aéronaute », qui se laisse globalement porter par son ballon au gré du vent, au pilote, qui devient un sportif accompli, car comme le dira le général Foch : « L’aviation c’est du sport ! » 2

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Citation attribuée au général Foch en 1910.

En étudiant nos fonds de photographies, de notices techniques et d’archives, nous avons pu constater et partager ce changement ainsi que le fait que l’évolution industrielle – et notamment les techniques motrices liées à l’automobile – a renforcé les procédés pour faire s’élever du sol les premiers appareils. Les pionniers de l’aviation, ou du « plus lourd que l’air », suivant l’expression du photographe Nadar, se confrontent à des difficultés inhérentes aux premiers vols : maniement des commandes, grand froid en altitude, qui nécessitent des corps entraînés. Ainsi, comme le souligne Luc Robène 3
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Luc ROBÈNE, L’homme à la conquête de l’air : des aristocrates éclairés aux sportifs bourgeois, 2 tomes, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 325.

, « l’histoire de cette progression aéronautique semble a priori confirmer sa vocation strictement sportive », souvent à « forte personnalité » et « qui n’ont pas froid aux yeux », ces pilotes possèdent une grande dextérité et force physique. Bien des aviateurs de la première heure sont passés par la vélocipédie et l’automobilisme avant de s’attaquer aux ascensions aérostatiques et à l’aéroplane 4
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Luc ROBÈNE, « L’aviation c’est du sport ! Images et représentations de l’aéronautique dans la presse sportive de la Belle Époque. L’exemple de La Vie au Grand Air (1900-1914) », Nacelles, no 1, 2016. En ligne : https://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/145

. L’aviation se vit comme une épopée sportive, il existe de nombreux meetings durant lesquels les pilotes rivalisent et se mettent en scène. Nous pouvons prendre l’exemple de la course mythique entre un Blériot XI 50HP piloté par Roland Garros et une Fiat 100 HP conduite par Seymour 5
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Edmond PETIT (dir.), Roland Garros, « Le cirque moisant », coédition Synthèses-Aviasport, 1988, p. 21-32.

. Cette course faisait partie d’une série de représentations proposées par le cirque volant Moisant International Aviators lors de sa tournée en Amérique entre 1910 et 1911. Ces recherches ont permis de développer une politique d’acquisition spécifique au DRD sur la thématique du sport et de l’aviation pour les différentes collections.

D’autres figures sont aussi apparues au cours de nos recherches et ont donné lieu à des actions spécifiques. Par exemple, le parcours de Jacques André qui a fait l’objet d’une présentation en ligne dans le cadre des « objets du mois » sur les pages Web du musée de l’Air et de l’Espace. Figure peu étudiée au musée, les recherches ont permis de mettre en avant ce personnage. Jacques André a appris très tôt à piloter sous l’influence de son père Georges André dit « Géo André ». Il obtient en effet à 15 ans son brevet de pilote de planeur. C’est aussi son père qui lui donnera le goût du sport : il sera sélectionné en équipe de France d’athlétisme dans les années 1930. Entre 1938 et 1939, il sera en sélection nationale, vice-champion et champion de France et participe au championnat d’Europe. Il excelle aux épreuves de haies et de 400 mètres. Dès 1943, il s’engage dans une carrière militaire et sera affecté à la prestigieuse compagnie « Normandie-Niémen » où il s’illustrera avec 15 victoires lors de batailles aériennes. À son retour en France, il poursuit son engagement en tant que pilote militaire. L’armée lui offre la possibilité de poursuivre ses entraînements sportifs. Il est sélectionné et participe aux Jeux olympiques d’été de 1948 à Londres pour l’épreuve du 400 mètres haies et atteint les demi-finales. Ce portrait est l’occasion pour nous d’évoquer auprès de notre public le dépassement de soi porté tant par le sport que les nécessités du pilotage aérien.

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Figure 4. Jacques André, escadrille Normandie-Niémen, fonds mémorial Normandie-Niémen

© DR / Fonds mémorial Normandie-Niémen / Coll. musée de l’Air et de l’Espace - Le Bourget

Enfin, le musée a organisé l’événement « Perche aux étoiles » 6

avec l’entreprise Perfe’o et le Dynamic Aulnay Club. Il s’agit d’une compétition sportive homologuée par la Fédération française d’athlétisme dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, qui a eu lieu les 14 et 15 juin sur le tarmac, au sein même du musée. Au-delà de la compétence sportive, le musée souhaite par cette activité s’ouvrir sur son territoire et proposer aux jeunes des temps d’initiation. Nous travaillons aussi à la valorisation d’une sélection d’articles de presse, en parallèle de l’article de Luc Robène 7
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Cf. note 4.

, issus de la collection des périodiques du département. Et à plus long terme, des perspectives de valorisation de certains fonds voient le jour, comme la mise en place d’un outil de valorisation en ligne des trois albums de photographies, coupures de presse, notes et documents personnels de Roland Garros en lien avec ses descendants.