L’exposition « Histoires du rugby à Madagascar » aux Archives nationales d’outre-mer

Fabien Bordelès

Les Archives nationales d’outre-mer (ANOM), service à compétence nationale, rattaché au service interministériel des Archives de France (ministère de la Culture) implanté à Aix-en-Provence depuis 1966, ont pour mission la conservation des archives de l’expansion coloniale française. Héritières de trois siècles d’histoire, elles conservent deux grands ensembles au passé administratif et archivistique différent : d’une part les archives des ministères en charge du XVIIe au XXe siècle de l’empire colonial français, d’autre part les archives transférées en partie des anciennes colonies et de l’Algérie lors de leurs indépendances, à l’exception des protectorats du Maroc et de la Tunisie, du mandat français en Syrie et au Liban. Elles conservent également des archives privées (particuliers, associations, entreprises) relatives à l’outre-mer français, une cartothèque, une iconothèque et une bibliothèque riche de plus de 120 000 titres spécialisés sur l’histoire des outre-mer et des colonisations. La bibliothèque bénéficie du label Collection d’excellence de Collex-Persée.

L’idée d’une exposition sur le rugby malagasy [malgache] est née en 2018, dans le cadre du projet initié par l’ambassade de France à Madagascar « Réduire les inégalités hommes-femmes par le rugby, vecteur de la promotion du genre et de développement à Madagascar » avec la collaboration du ministère de la Jeunesse et des Sports malgache. Plusieurs expositions ont servi de guide dans sa réalisation, notamment celle des ANOM à Aix-en-Provence « L’Empire du sport » 1

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L’Empire du sport, Aix-en-Provence, CAOM, AMAROM, 1992.

et, plus récemment, celle réalisée en 2007 à Bordeaux au Musée d’Aquitaine intitulée « Le rugby, c’est un monde » 2
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Musée d’Aquitaine Bordeaux, Le rugby, c’est un monde, Biarritz, Atlantica, 2007.

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Le but de l’exposition « Histoires du rugby malagasy » est de refléter le plus fidèlement possible le rugby malgache de ses origines aux Makis (1900-2024). Mettre en lumière sa longue histoire chargée d’exploits et de drames. Aller à la recherche du gasy flair [style malgache] et de ses caractéristiques. En effet, ce sport de combat insulaire qui se joue tout autour du monde a ceci de particulier : « il permet l’expression de l’âme » 3

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Jean LACOUTURE, Voyous et gentlemen, une histoire du rugby, Paris, Gallimard, 1993.

et de la culture de chaque nation le pratiquant.

Le parti muséologique pris se veut populaire et simple, mais aussi scientifique, historique et éducatif. Le choix des items s’est effectué autour de trois axes : l’intérêt historique, scientifique ou artistique, la rareté ou l’aspect inédit des documents exposés, la diversité des sources : archives internationales et publiques (Archives & Bibliothèque nationales de Madagascar, Agence ANTA, Archives nationales d’outre-mer d’Aix-en-Provence, Bibliothèque nationale de France, INA – Institut national de l’audiovisuel…), œuvres de photographes (Émile Pierre, Dany Be, Pierrot Men, Nantenaina Rakotondranivo, Franck Sanse…), de dessinateurs (Doda, Mek, Pov, Claude Serre, Michel Iturria…) et pièces issues de collections privées.

Tout au long du parcours de l’exposition, des portraits de lieux (stades), de clubs et de personnes : joueuses, joueurs, entraîneurs, arbitres et une dirigeante sont présentés au public pour mieux appréhender l’esprit du rugby malagasy ou gasy. Le rugby, c’est « des mondes », voici le rugby gasy !

Covid oblige, après trois ans de recherches, l’exposition, conçue par les commissaires Fabien Bordelès, Berthin Rafalimanana et Helihanta Rajaonarison, a débuté dans la capitale malgache, Antananarivo, du 1er septembre au 26 novembre 2021, sur deux lieux : le jardin public d’Antaninarenina (17 panneaux) et l’espace Rarihasina (350 m2). Plus de 10 000 visiteurs (sans compter ceux du jardin public) ont pu profiter du parcours visuel et sonore de cette exposition gratuite, dans un lieu culturel malgache historique mis à neuf pour l’occasion et niché au cœur de la ville sur l’avenue de l’Indépendance. La manifestation culturelle a connu un grand succès populaire !

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Figure 1. La version extérieure de l’exposition dans le jardin public d’Antaninarenina à Antananarivo en septembre 2021

© FB

Dans sa version intérieure, l’exposition comprend : 33 panneaux (120 x 160 cm) illustrés et explicatifs présentant le parcours, installations artistiques, dessins de presse et aquarelles, documents vidéo, dont un film d’ambiance sonore sur écran géant réalisé pour l’exposition comprenant les chants des rugbymen et la musique malagasy (43 min), des reportages (INA, TVM – Televiziona Malagasy…) et une guirlande d’essais malgaches lors des matchs internationaux, deux films projetés avec casques, des objets : ballons (dont ballons de récupération fabriqués et utilisés par les enfants des rues), tickets de rencontres, maillots, livres, revues, journaux, fanions, drapeaux, médailles… Et 200 photographies, un catalogue en français 4

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Fabien BORDELÈS, Histoires du rugby malagasy, Antananarivo, MAE/MYE, 2021.

et un livre en malgache 5
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Berthin ZOTO, Tantaran’ny baolina lavalava malagasy, Antananarivo, MAE/La Maison des Sports, 2021.

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Figure 2. Exposition « Histoires du rugby malagasy », vue de l’entrée de l’intérieur, à l’espace Rarihasina, Antananarivo, septembre 2021

© FB

Dans la continuité de cette exposition tananarivienne, une table ovale a été organisée le 3 septembre 2021, par Sylvie Andriamihamina aux Archives nationales de Madagascar sur les sources de l’histoire des sports.

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Figure 3. Affiche de l’exposition d’Antananarivo, 2021

Le parcours de l’exposition se partage en quatre espaces-temps/thèmes et une entrée (en mêlée) :

  • pour introduire le propos général ;
  • quelques mots pour définir l’histoire du sport/des sports & des jeux :
  • histoires d’un sport : le rugby, pour un cadrage malgache/malagasy ou gasy ;
  • voir et entendre l’histoire de la balle allongée/lavalava.

Des photographies et une chronologie comparée de l’histoire des sports et du rugby à Madagascar et dans le monde permettent au visiteur de mieux situer la période et l’évolution de sa pratique dans le temps.

Le premier espace (XIXe siècle-1957) s’ouvre sur le vestiaire montrant les jeux et les activités corporelles avant la colonisation. Le contexte de l’activité corporelle/physique ancestrale et traditionnelle à Madagascar est présenté à travers des photographies, des livres : danses, jeux (fanorona), les sports de combat (lutte et boxe) différents selon les régions : daka pour les Merina, moraingy pour les Sakalaves, savika pour les Betsileo, ambia (boxe) et ringa (lutte) dans le sud-est et doranga ou toranga dans le sud-suest, mais aussi le savika entre course de taureaux et rodéo. Puis, à travers l’introduction du rugby, on voit apparaître les autres sports qui sont promus par le Gouvernement général de Madagascar et/ou pratiqués parfois par certains colons : tennis, vélocipédie, skating (patins à roulettes), tir, gymnastique, équitation… Nous insistons sur le rôle majeur du Stade olympique de l’Imerina à partir de 1909 pour la diffusion de la pratique du rugby et sur son rôle comme instrument dans la lutte qui a accompagné le nationalisme et l’identité malagasy pendant toute la période coloniale, ainsi que lors des premières rencontres internationales (1947-1957). Cette année est celle de la fameuse tournée de l’équipe représentative de Madagascar, la glorieuse tournée qui va se terminer tragiquement et qui va demeurer un symbole important du sens politique donné à cette pratique sportive.

L’espace 2 concerne la période allant de l’indépendance aux Makis (1960-2019). Le début de cette séquence est illustré notamment par les photographies de Daniel Rakotoseheno, alias Dany Be, pour les années « noires » de 1970, et par la presse malagasy et des portraits de joueurs et de club. Ensuite, nous dévoilons la naissance des Makis et de leur hiaka en 1999, leur sacre à Yverdon-les-Bains (Suisse) comme champions du monde junior groupe D, puis leur victoire comme champions d’Afrique de rugby XV, groupe B, en 2012 à Mahamasina, jusqu’à la Coupe d’Afrique 2020. Nous redécouvrons aussi les lieux du rugby à Antananarivo : Mahamasina le berceau des sports à Madagascar, le Stade Malacam des cheminots d’Antanimena et le Stade Makis d’Andohatapenaka (15 000 places), inauguré le 15 décembre 2012 par Andry Rajoelina alors président de la Transition.

Dans l’espace 3, le visiteur rencontre les femmes d’ovalie à Madagascar, du début des années 1990, avec la pionnière Élise Raharimalala qui organise les premières rencontres, jusqu’aux tournois internationaux et africains à VII à partir de 2008 à La Réunion, puis à XV en 2019. D’autres figures sont présentées : la doyenne des Makis, Tikasoa Raolinirina alias Nirina et ses deux filles, toutes trois internationales, ainsi que Tantely la plus capée, également capitaine des équipes nationales à VII et XV, ainsi que l’arbitre internationale Fara Ny-aina Sarah Razafimamonjy. Un hommage est aussi rendu aux basketteuses championnes d’Afrique en 1970, pour le cinquantenaire de leur titre.

Enfin, le dernier espace permet de voir les exploits des rugbymen malgaches et de les entendre chanter, grâce au film de l’exposition Lalan’ny Rugby Gasy (Le chemin du rugby malgache), réalisé par Hadrien Bels, en 2021 ; un montage de photographies, de films, de résumés des matchs Makis en 1957, 1971, 2005, 2012, 2019 et des féminines en 2019.

L’exposition a ensuite voyagé dans Madagascar : à Antsirabe en avril 2022 (3 500 visiteurs), puis à Tuléar.

Profitant de la Coupe du monde de rugby en France, une nouvelle version de l’exposition s’est tenue à Aix-en-Provence aux ANOM (du 8 septembre au 8 décembre 2023). Le lieu d’exposition (150 m2) a permis l’accueil de plus 700 visiteurs.

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Figure 4. L’exposition aux Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence, le 7 septembre 2023

© ANOM – Hervé Malfuson

Le public aixois a également pu participer à une journée d’étude « Archives et histoires de sports » organisée le 10 novembre 2023 par les ANOM 6

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Sont intervenus : Véronique Reuter (documentaliste-archiviste au Centre de recherche et de restauration des musées de France, secrétaire pour la France de la section archives du sport de l’ICA – Conseil international des archives) : « Les sources de l’histoire du sport avec un focus sur le rugby » ; Cécile Fabris (conservatrice en chef du patrimoine, responsable du département de l’Éducation, de la Culture et des Affaires sociales à la Direction des fonds des Archives nationales) : « Les fonds Sport aux Archives nationales ; les actions de collecte, traitement et valorisation des Archives nationales et du réseau des archives autour du sport dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 » ; Didier Rey (Université de Corse Pasquale-Paoli, UMR Lisa 6240) : « Le football en Oranie coloniale des origines à 1918, au-delà des idées reçues » ; Nicolas Bancel (Université de Lausanne) « Sport et mouvements de jeunesse en Afrique occidentale française (1946-1960) » ; Stéphane Mourlane (Aix-Marseille Université-TELEMMe-CNRS) : « Les Jeux olympiques à l’heure des décolonisations » ; Fabien Bordelès (responsable des fonds du sud-ouest de l’océan Indien aux ANOM), présentation de l’exposition sur le rugby à Madagascar : « Histoire d’une pratique populaire et instrumentalisée (1900-2023) ».

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En 2024, à Vichy, du 31 mars au 2 avril, l’exposition a poursuivi sa tournée française dans le cadre de la Rencontre nationale sportive (RNS) qui rassemble chaque année depuis 1975 la diaspora malgache de France. Plusieurs milliers de visiteurs ont pu redécouvrir l’ovale culture malgache. Invitée par Le Grand Maul, festival autour du rugby, de la littérature & d’autres rebonds artistiques (rencontres, documentaires, expositions, spectacle) à Saint-Paul-lès-Dax les 24, 25 et 26 mai, l’exposition a pu rencontrer son public gascon. Le livre a également été présenté à la médiathèque Louise-Michel par Fabien Bordelès avec Richard Escot (L’Équipe) et Jeanne Sorrin (capitaine de l’équipe de Madagascar et joueuse au Racing Club de France).

Sous l’angle de la pratique rugbystique à Madagascar, cet ouvrage fabuleusement illustré traverse 150 ans de l’histoire sociale et politique de l’île et permet une rencontre profonde avec la culture malgache.

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Figure 5. Couverture de « Histoire du rugby à Madagascar », sous la direction de Fabien Bordelès [avec des articles de Sylvie Andriamihamina, Faly Andriantsietena-Bouchez, Camille Goussé, Berthin Rafalimanana, Véronique Valette], Maisonneuve & Larose Nouvelles éditions / Hémisphères éditions, 2023.