Le muséum national d’histoire naturelle : un écosystème fertile pour la médiation en bibliothèque

Louise Fauduet

Claire Le Borgne

Les bibliothèques du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris, conservent un patrimoine de plus de 2 millions de documents, témoignages, analyses et représentations, réalisés de main humaine, dans toutes les disciplines de l’histoire naturelle. Ils prennent la forme d’imprimés, de manuscrits, d’iconographies, d’objets d’art, et comprennent les documents et archives produits par les agents de l’établissement au cours de son histoire.

Ces collections répondent aux près de 70 millions de spécimens conservés dans les collections naturalistes, au sein d’une même Direction générale déléguée aux collections. Ensemble, elles constituent des sources exceptionnelles à la disposition des chercheurs du monde entier ainsi que du public qui fréquente ses musées, jardins et parcs zoologiques. Recherche, enseignement, expertise, valorisation auprès de toutes et tous, sont autant de facettes de la mission de diffusion des connaissances du Muséum, une mission présente depuis sa création et maintes fois réaffirmée au cours de ses bientôt quatre siècles d’existence.

Les actions de médiation des bibliothèques du Muséum suivent ces lignes de force. Elles font découvrir, à travers l’histoire de l’institution, le dialogue entre arts et sciences qui irrigue ses collections et dont témoignent, entre autres, dessins naturalistes et sculptures. Elles prennent également part à la diffusion de la recherche en cours au Muséum. Elles mettent en œuvre des modes de médiation qui font pratiquer tous les publics, avec la perspective de s’inscrire à terme dans le mouvement de sciences participatives au Muséum.

Les bibliothèques du Muséum ont en outre la force d’agir en un réseau riche de neuf pôles. La Bibliothèque centrale, située au Jardin des plantes, offre une bibliothèque de recherche, accessible aux étudiants à partir du niveau master et aux personnes justifiant d’un besoin d’accès aux collections, et une médiathèque de près de 6 000 ouvrages, ouverte à toutes et tous. Sept bibliothèques spécialisées et une bibliothèque professionnelle proposent des collections qui éclairent l’histoire des laboratoires et des métiers du Muséum : botanique, Musée de l’Homme, sciences de la Terre, invertébrés et biologie parasitaire, écologie, milieux aquatiques, ichtyologie et anthropologie, vertébrés, et jardins.

Faire découvrir un patrimoine au croisement des sciences et des arts

Les collections dont la Direction des bibliothèques et de la documentation a la charge sont de typologie variée : imprimés, manuscrits et archives, iconographies, sculptures et autres objets d’art. Nombreuses, elles font donc l’objet de valorisations ponctuelles, thématiques.

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Figure 1. Exemple de présentation de collections en salle des vélins, située à la Bibliothèque centrale

Photo MNHN

Les visites guidées en restent le mode de médiation privilégié car, bien que très classique, il rencontre toujours un fort succès auprès des publics, en particulier adultes. Ces visites sont organisées pour des rendez-vous nationaux comme les Journées européennes du patrimoine ou les Nuits de la lecture, des salons et conférences comme le Salon du dessin de Paris, ou encore des saisons culturelles du Muséum, en lien avec les expositions des galeries. Ces saisons donnent en effet le ton de la programmation culturelle et se déclinent sous des formats variés favorisant le partage et la convivialité. Les bibliothèques ont le soin de s’y insérer et de prolonger chaque thématique par des actions valorisant les collections qu’elles conservent, en complémentarité des autres entités du Muséum, comme les services de Médiation et d’action culturelle du site Jardin des plantes ou du site Musée de l’Homme.

La Bibliothèque centrale a par ailleurs la chance d’avoir une réserve – au climat contrôlé – visitable. Un certain nombre d’objets fragiles y sont exposés, comme deux globes de Coronelli, ou le Carporama, collection de 112 fruits et écorces en cire créée dans les années 1800-1820, sur l’île Maurice. La collection des vélins du Muséum, soit environ 7 000 dessins scientifiques de végétaux et d’animaux réalisés entre le XVIIe et le XXe siècles, y est également conservée et présentée lors d’événements. D’autres œuvres remarquables sont exposées en permanence dans les espaces publics de la Bibliothèque centrale. Ce sont autant d’illustrations du double mouvement qui anime les relations entre sciences et art au Muséum depuis sa création : d’une part, car les artistes se sont tournés vers les collections du Muséum pour y trouver l’inspiration, dans les collections vivantes, naturalisées ou documentaires, et d’autre part, car le travail de représentation des règnes végétal, animal et minéral par les scientifiques a donné naissance à des créations qui sont admirées pour leurs apports à l’histoire des sciences comme à l’histoire des arts.

On peut ainsi admirer, dans la médiathèque, située au rez-de-chaussée du bâtiment et ouverte à toutes et tous, des éléments du cabinet de curiosités de Joseph Bonnier de la Mosson, acquis par Buffon en 1745, ainsi qu’un plâtre de l’Hippopotame de François Pompon, dont l’œuvre a été confiée au Muséum après sa mort. La salle de recherche, située au deuxième étage, accueille quant à elle des sculptures, qui peuvent également être valorisées à l’occasion de ces actions de médiation.

La Direction des bibliothèques et de la documentation est en effet en charge de la gestion de la sculpture dans les sites du Muséum. Les bibliothécaires mènent ainsi hors des bibliothèques, dans le Jardin des plantes, des visites de la statuaire qui décore la Galerie de paléontologie et d’anatomie comparée et les escaliers de la Grande Galerie de l’évolution, ou de la sculpture animalière présente dans la Ménagerie. La campagne de restauration des statues exposées dans les allées du Jardin des plantes est également l’occasion de sensibiliser le public aux enjeux de conservation dans le respect de l’environnement et de la biodiversité, qui ont guidé le choix des méthodes et des matériaux. Des visites à deux voix, en compagnie des restaurateurs, ont ainsi été proposées.

Créer un dialogue avec la recherche grâce à la diversité des collections du Muséum

Une des particularités du Muséum national d’histoire naturelle est de confier à certains chercheurs la charge scientifique de collections naturalistes, et d’assortir ces missions d’activités de médiation. Les compétences des bibliothèques en matière de documentation et de valorisation de l’histoire de l’institution renforcent ainsi leur lien avec la recherche au sein de l’institution. Les bibliothécaires sont par exemple invités à participer aux séminaires de l’ensemble Terre et Univers sur les collections et y ont détaillé les trésors des archives du commandant Charcot ou les richesses du fonds Théodore Monod. Des présentations du fonds consacré au cœlacanthe, à la bibliothèque d’anatomie comparée, ont été faites aux chercheurs du Muséum comme aux professionnels de l’information.

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Figure 2. Une présentation de collections sur le cœlacanthe, en bibliothèque d’anatomie comparée

Photo MNHN

Ces quelques exemples d’actions qui renforcent le lien entre collections des bibliothèques et collections naturalistes ouvrent plusieurs perspectives dans l’action culturelle. La première est celle d’actions de médiation mêlant ces deux types des collections. Ainsi, lors des Journées européennes du patrimoine, la responsable de la bibliothèque de botanique a mis au point une visite mêlant observation de plantes vivantes dans le Jardin des plantes et présentation des collections des bibliothèques avec, à l’occasion, une planche de l’Herbier du Muséum sur les mêmes espèces. Les liens entre culture de plantes, vocation première du Jardin à sa création, étude des plantes collectées, et dessin scientifique sont rendus particulièrement visibles aux visiteuses et visiteurs.

Une dynamique similaire a animé la valorisation de deux nouvelles sculptures de dodos créées à l’occasion du 30e anniversaire de la Grande Galerie de l’évolution cette année. La bibliothèque a identifié dans les archives des laboratoires et dans les collections de livres et d’œuvres d’art les témoignages de travaux antérieurs de reconstitution du dodo. Le partage de ces découvertes avec le taxidermiste, Vincent Cuisset, et l’artiste en charge des nouvelles sculptures, Camille Renversade, a permis, entre autres, de réaliser des présentations des dodos à trois voix pour les publics des visites du week-end anniversaire.

Responsables de collections et chercheurs du Muséum sont aussi invités à la bibliothèque pour éclairer un ouvrage par leurs connaissances et la présentation de leurs pratiques professionnelles. Depuis la levée des restrictions sanitaires et la reprise des manifestations culturelles d’ampleur, les Nuits de la lecture sont ainsi l’occasion de valoriser des livres pour enfants des éditions du Muséum : le conte Charlie et le champignon, de Julieta Canepa et Pierre Ducrozet, dans une rencontre avec Marc-André Selosse, microbiologiste ; Le pou, d’Isabelle Collombat et Julie Colombet, en dialogue avec Coralie Martin, chercheuse en parasitologie ; Macalou, de Karine Tuil et Lucile Piketty, commenté par Aude Bourgeois, directrice de la Ménagerie du Jardin des plantes. Les bibliothèques ont par ailleurs vocation à accueillir des lancements d’ouvrages, des éditions grand public ou scientifiques du Muséum, en présence de leurs auteurs et des contributeurs responsables de collections naturalistes ou enseignants-chercheurs.

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Figure 3. Nuits de la lecture 2024. Création par des enfants de masques et de marionnettes de félin, à partir des collections des bibliothèques

Photo MNHN

Développer la médiation et l’interaction

Pour rendre accessibles les collections de sciences, sensibiliser le public aux activités de collecte, de conservation et aux missions de recherche par le seul moyen des actions de médiation évoquées préalablement ne suffit pas. Il est nécessaire d’aller au-devant des publics et surtout de les rendre acteurs de la médiation des sciences naturelles.

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Figure 4. Illustration du pou par Julie Colombet

D’autres formats de médiation appellent les visiteuses et visiteurs à faire l’expérience de pratiques scientifiques, mises en regard des collections des bibliothèques. Lors des Journées européennes du patrimoine ont ainsi été proposés des ateliers d’illustration botanique, de dessin à la chambre claire ou encore de gyotaku (technique japonaise d’impression sur papier de poissons entiers, ici recréée à l’aide de modèles en silicone). Ils ont été coconçus et animés par Agathe Haevermans, Didier Geffard-Kuriyama et Jeanne Buffet, illustrateurs scientifiques du Muséum, et Agnès Dettaï, chercheuse au département Origines et évolution et chargée de collections. La bibliothèque a également participé en 2023 aux ateliers Litternature, qui initient les élèves de cycle 3 au travail de naturaliste par la classification des espèces représentées dans les livres jeunesse. Ce projet du Service de culture scientifique de l’université de Montpellier était diffusé dans un réseau de médiathèques à l’occasion de Partir en Livre, festival de littérature jeune public organisé par le Centre national du livre. Au Muséum, il a mobilisé l’illustratrice Julie Colombet, dessinatrice de la série Bestioles publiée par le Muséum, lors d’ateliers sur le thème des insectes.

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Figure 5. Journées du patrimoine 2023. Atelier à la chambre claire, dispositif optique utilisé pour le dessin scientifique

Photo MNHN

La dimension participative de la médiation s’exprime aussi dans des formes ludiques, comme l’animation de parties du Loto de Buffon : ce jeu illustré du XIXe siècle a été reproduit par Vilac, fabricant de jeux en bois, d’après un exemplaire conservé à la bibliothèque. Il reprend des représentations de l’Histoire naturelle de Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, intendant du Jardin du roi de 1739 à 1788. Les bibliothécaires ont également conçu un jeu de piste sur le thème des espèces menacées à l’occasion du week-end anniversaire de la Grande Galerie de l’évolution en mars 2024. Pensé pour un public familial, il entraîne les joueuses et joueurs à explorer les recoins de la médiathèque et à découvrir huit espèces animales et végétales en danger d’extinction.

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Figure 6. Exemple de coloriage proposé dans un cahier d’activités estival

Enfin, la Bibliothèque centrale et la bibliothèque Yvonne-Oddon du Musée de l’Homme organisent des bibliothèques hors les murs avec succès. Les premières se tiennent en juillet et août sur une pelouse du Jardin des plantes lors d’événements regroupés sous la bannière Rendez-vous nature. Elles sont organisées en partenariat avec la bibliothèque municipale Buffon, qui proposait depuis plusieurs années une animation en plein air sur ce site. La Bibliothèque centrale met à disposition une quarantaine d’ouvrages pour un public familial, et des activités manuelles réalisées à partir d’images des collections : coloriages, découpages, jeux… Ces « cahiers de vacances » sont également rendus disponibles sur le site internet des bibliothèques. La bibliothèque du Musée de l’Homme a inauguré en 2024 une offre d’ouvrages tous publics, implantée à proximité des galeries de l’exposition Préhistomania lors du week-end événement l’accompagnant.

Les missions du Muséum national d’histoire naturelle depuis sa création rejoignent à la perfection le mouvement de la science avec et pour la société, et le souhait du public d’être acteur de la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

Cependant les bibliothèques du Muséum ont encore à trouver leur rôle dans les programmes de sciences participatives de l’établissement, alors même que ce mode d’action rencontre un grand succès dans la médiation des sciences en général. L’importance historique de la pratique taxonomique au Muséum, documentée au sein des collections des bibliothèques, donne comme piste à explorer le rôle des ressources documentaires anciennes et contemporaines dans l’identification collaborative d’espèces. Les programmes de recherche participative qui examinent la place de la nature dans les représentations culturelles trouvent également un écho dans les collections.

Ce sont autant de partenariats à envisager pour maintenir la dynamique de l’action culturelle des bibliothèques du Muséum. Elles relèvent, dès à présent, le défi de conjuguer l’engouement pour les sujets scientifiques d’un public familial, majoritaire au Muséum comme dans tous les musées de sciences, et les pratiques d’une bibliothèque de recherche et patrimoniale. Les collections documentaires et de patrimoine écrit, et l’interaction des bibliothèques avec les autres entités du Muséum, collections naturalistes et pôles de recherche, constituent la force de leur stratégie de médiation dans un environnement unique.