Le festival [En]Quête de Sciences : l’évolution d’une manifestation scientifique pour et par les étudiant·es

Benjamin Caraco

Basile Dufay

Frédéric Gai

Julien Legalle

Jean-Marc Routoure

Depuis huit ans, la bibliothèque universitaire Rosalind-Franklin (BURF, service commun de la documentation (SCD) de l’université Caen Normandie), dédiée aux sciences et techniques et aux sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), organise un festival de médiation scientifique mêlant culture et jeux. À l’origine porté principalement par le pôle de l’animation culturelle de la bibliothèque, il s’est progressivement transformé en un festival par et pour les étudiant·es, conduisant au repositionnement de la bibliothèque dans son organisation. Celle-ci est devenue avant tout commanditaire et coordinatrice d’une série d’événements réalisés par les étudiant·es, notamment d’une école d’ingénieurs (ESIX) et des unités de formation et de recherche (UFR) desservis par la BU (sciences et STAPS), jusqu’à la prise en charge récente de la communication par les étudiant·es de l’institut universitaire de technologie (IUT) information-communication. Ce faisant, le festival symbolise le rôle fédérateur de la bibliothèque à l’échelle du campus 2 de l’université de Caen.

Les bibliothèques universitaires ne sont pas, a priori, en première ligne pour l’animation culturelle au sein de leurs établissements, ce rôle étant dévolu aux services culturels universitaires. À partir des années 2000, leur rôle dans le domaine est néanmoins affirmé 1

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Colin SIDRE, « Contexte juridique et outils d’appropriation de l’éducation artistique et culturelle », in Colin SIDRE (dir.), Faire l’action culturelle et artistique en bibliothèque, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2018 (coll. La Boîte à outils ; 43), p. 18-25.

. En 2011, le statut des services communs de la documentation liste parmi leurs missions la participation à des « activités d’animation culturelle, scientifique et technique ». Outre que les BU peuvent alors se raccrocher à des événements nationaux (Journées européennes du patrimoine, Nuit de la lecture ou Fête de la science), l’implication des étudiant·es est relativement fréquente (réalisation d’expositions par exemple), de même que le recours à des partenariats avec différents types d’acteurs – qui compensent parfois la faiblesse des moyens pour une activité plus éloignée du cœur de métier des BU 2
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Voir à ce sujet les contributions de Sylvie Fayet, ancienne directrice du SCD de l’université de La Rochelle, dans Colin SIDRE (dir.), op. cit., mais également celle de Livia Rapatel au sujet du SCD de l’université de Lyon et notamment la participation des doctorants à l’animation de « BARCamp ».

. En parallèle, et pour différentes raisons (coupure historique entre « culture scientifique » et « culture générale », désaffection et/ou contestation des sciences, montée en puissance des fake news et du complotisme), la nécessité de « médiatiser la science » s’impose de plus en plus aux bibliothèques, qu’elles soient universitaires ou de lecture publique. En témoigne le terme générique de « médiateur scientifique » 3
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Cf. Justine ANCELIN (dir.), Médiatiser la science en bibliothèque, Villeurbanne, Presses de l’Enssib (coll. La Boîte à outils ; 35), 2016.

. Le festival universitaire caennais [En]Quête de Sciences s’inscrit à l’intersection de ces deux tendances et se singularise par les modalités de participation du public étudiant mais également des enseignants-chercheurs. Ces derniers ont en effet une mission de diffusion de la culture scientifique et humaniste, susceptible de s’imbriquer avec leurs enseignements.

Faire (re)venir le public en BU de sciences

Notre article se propose d’abord de revenir sur le contexte de la mise en place du festival, à savoir la perte d’attractivité de la bibliothèque à partir de 2010, confrontée à une baisse de fréquentation et du nombre de prêts de documents. En réponse, l’équipe de la bibliothèque a mis en place une série d’actions avec pour objectif de faire (re)venir son public : visites de rentrée auprès des L1 (licence), formations à la recherche documentaire, mais également refonte des espaces dans une logique d’hybridation (nouveaux mobiliers, prêt d’objets), présence sur les réseaux sociaux, mise en place d’espace et de fonds axés détente (bandes dessinées, jeux de société, romans, salle e-sport, vélos-pupitres). Significativement, une politique d’animation culturelle ambitieuse a été lancée avec l’organisation de conférences et d’expositions. La première étape a été d’accueillir à la bibliothèque ce qui existait déjà dans les salles de cours, à l’image des conférences professionnelles de l’UFR STAPS. Cette expérience permet de séduire d’autres UFR et départements ainsi que les associations étudiantes comme la Corpo Sciences.

Au départ simple lieu d’accueil de projets menés au sein des UFR et d’associations, la BU Rosalind-Franklin propose peu à peu son propre contenu pour compléter l’offre existante. Ainsi en 2013-2014, deux enseignants de l’UFR STAPS, un docteur en littérature et deux bibliothécaires lancent les rencontres « Écrire le sport », permettant d’associer les thèmes du sport et de la culture (art, littérature, cinéma…). Pendant quatre ans, auteurs, journalistes, réalisateurs et sportifs participent à des tables rondes au sein de la BU. Des séances cinéma, des expositions et des lectures complètent le programme. Ces rencontres ont une véritable influence sur la création du festival [En]Quête de Sciences, principalement en termes de liens entre sciences et culture à destination des publics étudiants, enseignants et hors université.

Les métamorphoses d’un festival grâce à la coopération avec les composantes

Alors que les bibliothèques scientifiques participent souvent à la Fête de la science, c’est paradoxalement la difficulté à être visible et à proposer une offre originale dans ce cadre qui a poussé la BURF à proposer son propre événement de médiation scientifique, le festival [En]Quête de Sciences. Positionné en mars au carrefour entre la semaine des mathématiques et le Printemps des poètes (et après les vacances et avant les examens), l’idée était de pouvoir impliquer enseignants-chercheurs, peu disponibles en octobre, et associations étudiantes. Pour les premières éditions, le bibliothécaire en charge du projet s’appuie sur les partenaires habituels de la bibliothèque sur les questions de médiation scientifique et programme des expositions, projections de cinéma, conférences, jeux et concours, faisant du Pi Day (14 mars) 4

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Le Pi Day est le jour de π (3,14). À cette occasion, un quiz portant sur des questions de mathématiques et un concours de tartes (« pie » en anglais) sont organisés par des enseignant·es et des étudiant·es de la Corpo Sciences.

le moment symbolique de l’événement.

Au fil des années, des associations étudiantes organisent des Escape Game, Murder Party et autres actions de vulgarisation scientifique ludiques. D’autres services de l’université s’impliquent également progressivement. Le Centre d’enseignement multimédia universitaire (CEMU), service d’appui à la pédagogie, rejoint la programmation en proposant des sessions de jeux « pédagogiques », des démonstrations de casques de réalité virtuelle ou encore une Murder Party conséquente ayant pour décor un colloque scientifique. Depuis peu, le Service universitaire d’action culturelle (SUAC) s’est inscrit dans le calendrier de la manifestation avec des séances de cinéma et une pièce de théâtre autour du thème de la science.

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Figure 1. Spectacle performance #ExoTerritoires, compagnie Le Clair Obscur

Crédits : Direction de la communication – Université de Caen Normandie

L’arrivée dans la programmation d’une école d’ingénieurs (ESIX) conduit à une transformation profonde de la philosophie du festival. De 2017 à 2019, l’école propose avec ses étudiant·es de première année des animations dans le centre de culture scientifique technologique et industrielle (CCSTI) de Caen « Le Dôme ». Ces animations sur deux journées étaient regroupées sous le titre de « SyNoMeca » 5

avec une journée sur inscription et une journée en visite libre. L’arrêt de cette coopération conduit au transfert de ces ateliers dans le cadre d’[En]Quête de Sciences. Réalisés par les étudiant·es dans le cadre pédagogique d’une « gestion de projet », ils sont axés davantage sur l’aspect événementiel que technique. Parmi une liste de thèmes définie par l’enseignant chargé du cours et le bibliothécaire, tels que « Low tech », « Sciences et pop culture », « Sciences et sport », « Mécatronique ou magie ? », les étudiant·es réparti·es en groupes se positionnent et sont évalué·es non pas sur la réussite de l’atelier mais sur celle de la gestion de projet.

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Figure 2. Atelier « Mécatronique ou magie ? », 2024

Crédits : Bibliothèque universitaire Rosalind-Franklin – Université de Caen Normandie

Ce projet permet de rendre les étudiant·es acteur·rices de leur parcours de formation. Ils et elles sont mis·es en situation de répondre aux besoins d’un client, ici la bibliothèque. Ce faisant, ils et elles doivent prendre en compte ses attentes et ses contraintes. Le tout se déroule dans un contexte bienveillant, puisqu’il s’agit d’un travail universitaire, intégrant des aspects pédagogiques. L’aspect événementiel est déterminant : il constitue un fort levier de motivation pour les étudiant·es en première année. Ils et elles parviennent à trouver des solutions aux écueils techniques et d’organisation. Ils et elles arrivent ainsi à adapter leur niveau d’ambition par rapport aux contraintes (délais, technicité, sécurité, etc.) pour mener à bien leur projet, dont ils et elles retirent in fine beaucoup de fierté. En effet, à leur échelle, ces projets sont « importants », tant par la taille des équipes que par l’envergure des ateliers, et nécessitent donc une vraie gestion de projet, avec l’utilisation des outils et méthodes adéquats (réponse à la demande, budget, répartition des tâches, calendrier, gestion des risques, parties prenantes, etc.). Tout cela favorise la cohésion de la promotion des primo-entrant·es et aide à l’acculturation au domaine de formation de l’école.

Ainsi quatre à six groupes, chacun encadré par un enseignant tuteur, proposent un projet en lien avec le thème sélectionné tout en mettant en valeur leurs compétences et leur formation. En installant leur atelier sur différents campus, ils doivent adapter leur discours de médiation scientifique à différents publics : le spécialiste (i.e. : leurs enseignants ou leurs pairs), le néophyte et le scolaire. En effet, depuis trois éditions, un partenariat avec une école primaire a été mis en place et conduit à des visites d’élèves qui participent aux ateliers proposés par les étudiant·es-ingénieur·es.

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Figure 3. Escape Game « Imitation game », 2023

Crédits : Bibliothèque universitaire Rosalind-Franklin – Université de Caen Normandie

Quand les étudiant·es prennent en charge la communication de la BU

Cette expérience concluante a permis de démarcher d’autres composantes, qui ont alors rejoint le dispositif, comme les étudiant·es du Bachelor universitaire de technologie (BUT) information-communication qui ont intégré le dispositif en 2022. Ils ont d’abord proposé différents ateliers sur la vulgarisation scientifique dans les médias (cinéma, télévision, réseaux sociaux). Si l’approche ludique a permis de déployer une pédagogie par projet « agile », le contenu était résolument centré sur des sujets à dimension médiatique, ce qui avait pour conséquence un déplacement des lignes inscrites au programme national. Il a donc été proposé à la nouvelle promotion d’étudiant·es d’assurer l’intégralité de la communication du festival, plaçant de la sorte la bibliothèque comme « commanditaire » du projet, et la direction de la communication de l’université de Caen comme ressource.

L’intégration d’étudiant·es d’IUT information-communication s’inscrit dans la logique proposée par la réforme du BUT, en vigueur depuis la rentrée 2021 (passage à un cursus sur trois ans et préparation à un deuxième cycle dans l’enseignement supérieur), ce qui entraîne une évolution des besoins pédagogiques : nécessité de comprendre les enjeux et les exigences d’études longues, lien avec le terrain professionnel et construction d’un parcours autour de la notion cardinale de « compétences ».

L’action de communication vient s’inscrire dans le cadre d’un cours de « gestion de projet relationnel ». Au-delà des habituels blocs propres à un cours de gestion de projet, la dimension relationnelle est ici prégnante. Il convient donc d’intégrer des éléments relatifs à la communication interpersonnelle, à la communication institutionnelle, à la compréhension du commanditaire/client, mais aussi à la médiation dans son sens large, pour faire de l’action de communication une découverte et un recrutement des publics. En somme, la communication est perçue, pour ce cours, comme une mise en place d’une ou plusieurs interfaces reliant une structure à ses « cibles ».

Un groupe de travaux dirigés (TD) est sollicité, soit une vingtaine d’étudiant·es. À ce stade de leur formation, ils et elles ont déjà eu l’occasion de suivre des enseignements relevant de la gestion de projet, de la planification stratégique ou de la communication des organisations. Le groupe a par ailleurs été amené à développer des compétences dites « transversales », en expression, production numérique, audiovisuel ou graphisme.

L’idée est de proposer un travail en groupes à « plusieurs » étages, l’intégralité de l’effectif constituant une agence de communication à part entière. Ensuite, en fonction du diagnostic délivré par les étudiants eux-mêmes, une organisation en équipes-projets est constituée, afin de répondre aux besoins du commanditaire, et de mettre en place un système d’interlocution et d’échange d’informations le plus fluide possible.

Le groupe s’est ensuite constitué en trois équipes : une consacrée à la production visuelle (identité graphique, refonte de la direction artistique) et à la réalisation de supports « print » (affiches, programme-dépliant, bâche) et Web (bannière réseaux sociaux numériques – RSN – et site Web, adaptation RSN), une autre dédiée à la production de contenus digitaux, avec la réalisation de vidéos-interviews des groupes d’étudiant.es, la préparation de posts pour les réseaux (X, Instagram, Facebook, LinkedIn), et la dernière en charge de la production écrite (communiqués de presse, agenda…), aux relations publiques et aux relations presse. Chacun des membres du groupe devait, enfin, venir couvrir une action du festival, pour assurer les publications sur les réseaux sociaux, mais aussi documenter l’action.

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Figure 4. Affiche de l’édition 2024 réalisée par les étudiant·es du département information-communication, université de Caen Normandie

Travailler ensemble et avec la bibliothèque

Au-delà d’une pédagogie par projet aux accents ludiques, s’appuyant sur la forme du festival, l’intérêt de l’intégration au festival tient aux plusieurs dimensions d’enseignement et de médiation. Il est important de constater que les étudiant·es impliqué·es sont les premier·ères touché·es par l’action de médiation, en devenant plus acteur·rices de leur apprentissage 6

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Jean VASSILEFF, avec la collaboration de Frank HERMANN, La pédagogie du projet : pédagogie de l’autonomie, pédagogie de la complexité, Lyon, Chronique sociale, 2024 (coll. « Pédagogie formation »).

. Chaque groupe présent sur site vient tester l’atelier du groupe voisin.

Afin de comprendre les attentes du commanditaire, les groupes doivent prendre la mesure de l’action (le festival) et des actions de la bibliothèque. Ce premier moment passe, finalement, par une première action de médiation simple : pour les étudiant·es d’information-communication, la tenue d’une séance de cours dans la bibliothèque elle-même, dans un lieu qu’ils et elles ne fréquentent pas du tout, les deux sites étant éloignés (45 minutes de transport en commun).

Dans la continuité, la bibliothèque s’est de nouveau « installée » au campus 3, sur un site très petit (trois départements, environ 600 étudiant·es), où plus aucune bibliothèque n’existe depuis quelques années. La programmation a permis d’intégrer une semaine d’animation sur ce site, affichant l’identité de la bibliothèque, pour proposer ses actions hors les murs, dans des moments où les étudiant·es ont réussi à faire la promotion d’actions auprès des publics de leur département, mais aussi des départements voisins (informatique, réseaux et télécommunications), notamment en faisant appel au bureau des étudiant·es local. Les étudiant·es ont aussi appris à connaître des filières éloignées des leurs. En définitive, le bilan est marqué par une forme de décloisonnement bénéfique, aussi bien en matière de culture générale que de synergies des services et des sites, plaçant la bibliothèque au cœur d’une distribution et d’une circulation d’échanges, de pratiques et de savoirs. Proposition innovante, elle permet aussi de mettre l’étudiant·e et son travail au centre de la valorisation universitaire, dans une démarche d’apprentissage émancipatrice 7

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Sur ce sujet, voir Michel HUBER, Apprendre en projets : la pédagogie du projet-élèves, Lyon, Chronique sociale, 2020 (coll. « Pédagogie formation »), p. 12-18.

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En définitive, le mérite du festival est de replacer au centre des considérations la démarche de l’étudiant·e et la valorisation de son parcours. En conséquence, le festival s’est métamorphosé peu à peu en un festival « par et pour les étudiants » et entraîne un changement de positionnement du bibliothécaire en charge du festival, impliqué dans le suivi et l’évaluation des étudiant·es, et positionné comme un « client » de ces dernier·ères. La bibliothèque conserve la coordination générale de la manifestation, veille à la cohérence de l’ensemble des événements proposés et facilite la logistique pour les différents acteurs impliqués.

Conclusion

Pendant douze jours, 1 500 à 2 000 personnes participent à la vingtaine d’ateliers proposés sur trois campus caennais et les sites distants d’Alençon et Cherbourg. L’objectif initial de dynamiser un campus et sa bibliothèque s’est peu à peu transformé en valorisation des compétences et acquis des étudiant·es sur différents campus, leur permettant également de se rencontrer. Cette manifestation est donc un exemple original de participation des publics, non pas ponctuelle, mais inscrite dans la durée et dans une coopération avec les équipes pédagogiques.