Inclusi(.f.v.e.s). Le monde du livre et de l’écrit : quelles diversités ?

Jérôme Demolin

Ouvrage collectif
Inclusi(.f.v.e.s). Le monde du livre et de l’écrit : quelles diversités ?
Préface de Rodney Saint-Éloi
Paris, Éditions Double ponctuation et Alliance des éditeurs indépendants, 2022
Collection « Bibliodiversité, les mutations du livre et de l’écrit »
ISBN 978-2-490855-26-1

Cet ouvrage collectif paru en 2022 dans la collection « Bibliodiversité, les mutations du livre et de l’écrit » confronte le monde de l’édition européenne et nord-américaine (avec un passage par l’Inde, le Maroc et le Chili) à la question de l’inclusion. Il part du constat que le niveau de représentativité, d’inclusion du monde du livre et de l’écrit n’est actuellement pas satisfaisant.

Composé de 25 articles, répartis en 4 parties thématiques – Femmes et genre ; Autochtones ; LGBTQ+ ; Groupes socio-économiques exclus – il englobe une grande variété des facettes imaginables sous le vocable « inclusion », tout en laissant le champ ouvert à de nouvelles approches. Fidèle à ce qui fait la spécificité de sa collection, l’ouvrage rassemble des points de vue, des compétences pratiques et conceptuelles complémentaires pour tenter de donner une vision d’ensemble de son sujet. Il donne la parole à des éditeur·rices, à des libraires, à des traducteur·rices, des universitaires, mais avant tout à la « militance » 1

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Néologisme inventé par la revue Masques dans les années 1980 afin de désigner le combat que chacun·e peut mener dans sa vie personnelle au jour le jour.

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« Dans ce titre […] elle (l’inclusion) désigne la participation, l’implication, l’appropriation par des groupes et des personnes minorées de/par la société (quelles que soient les raisons de leurs positions périphériques), des processus de création, de publication et de diffusion de livres et des textes imprimés. » (p. 16)

L’inclusion dont il est ici question n’est pas un objectif véritablement quantifiable. C’est avant tout une réponse à une minoration. L’inclusion ne se comprend que dans une dynamique de réaction à un état subi de diminution des facultés et des potentialités d’existence, de développement, d’une personne, ou d’un groupe, en raison de ce qu’elle ou il est ; de sa qualification sur le plan historique, moral et politique. En cela, elle diffère de l’égalité, qui est un état stable, de l’équité qui est un rééquilibrage « généreux » de l’égalité arithmétique, de l’intégration qui est une homogénéisation, et de l’insertion, qui est plutôt un rapport de « productivité socio-économique ».

L’inclusion modifie. Elle est facteur de transformation de la nature même du lien social auquel elle s’applique. Son invocation est d’emblée beaucoup plus profonde et symbolique que pour les autres concepts que nous venons d’évoquer. L’inclusion dérange au sens propre, elle désordonne et réordonne le corps social, elle en change les règles, les logiques internes, elle s’attaque en quelque sorte au code source d’une organisation.

Au sein des différentes parties thématiques de l’ouvrage, les articles se complètent, font système, s’agencent de façon organique et finissent par dépasser le cadre établi. Dans la partie « Femmes et genre », en passant par le constat historique des luttes féministes contemporaines, par l’exposé de la gouvernance mise en place dans une librairie féministe ou encore par la dimension artistique de l’objet livre, l’apparente juxtaposition des approches donne en réalité au lecteur les clés de la fabrique des outils d’inclusion. Elle l’amène à comprendre de quelle manière l’inclusion, au sens ouvert, peut gagner les organisations ; par quels procédés concrets elle peut faire son chemin dans le monde du livre et de l’édition (comme ailleurs). Il en va de même concernant les thématiques « LGBTQ+ » et « Groupes socio-économiques exclus », qui font écho à la première thématique, la complète et vice et versa. Toujours dans cette approche en miroir la question de l’autochtonie peut très bien être entendue par le prisme de celle des groupes socio-économiques exclus ; ou encore celle du genre qui contient des réflexions sur la domination dans le milieu de la traduction et ses impacts sur la diversité éditoriale. Les classes ouvrières peuvent se réapproprier des formes de représentation culturelle en s’inspirant des luttes LGBTQ+, ou de celles de femmes ; et inversement… L’ouvrage est fait de lignes souples et de lignes de fuite, qui élèvent le lecteur ou la lectrice vers la multiplicité des possibles qu’inclut l’inclusion. Tout cela se mêle, les enseignements des uns valent pour les autres. Ce titre, à l’image d’un « manuel » riche et foisonnant, développe un cheminement coopératif d’émancipation appliqué aux mondes du livre et de l’édition.

Au final « inclusion » est une notion qui semble résister à la rationalisation doctrinale ou à l’inscription dans un système clos. De par sa charge symbolique, elle trouve alors une résolution plus claire à notre esprit grâce la médiation de la poésie. Rodney Saint-Éloi nous le démontre avec élégance dans sa préface de l’ouvrage :

« Inclusion. Que peut bien vouloir dire ce mot ? Le mot fait peur et nous projette dans le flou et la complexité […]. Quand j’écris ou entends inclusion, je me refais un visage, j’existe avec une conscience autre et des yeux étonnés […]. Comme si apparaissait soudain une grande lumière en moi, une vision plus généreuse et plus éthique de la vie […]. Quand je lis le mot inclusion, j’ouvre grand les yeux et les oreilles […]. J’apprends mieux mon métier d’être humain. J’apprends comment faire humanité. Comment faire altérité. Avant je disais, quand j’étais jeune et désespéré, le mot révolution, pour faire tourner mieux la terre, pour comprendre le chant des oiseaux. » (p. 7)