Bibliothèque nationale suisse – 125 ans

André-Pierre Syren

Cathy Strahm et Hannes Mangold (dir.)
Schweizerische Nationalbibliothek – 125 Jahre = Bibliothèque nationale suisse – 125 ans = Biblioteca nazionale svizzera – 125 anni = Biblioteca naziunala svizra – 125 onns
Schweizerische Nationalbibliothek, 2020
ISBN 978-3-908189-02-2

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Critique réalisée avec le concours de Cédric Vigneault et Celestino Avelar.

La Bibliothèque nationale suisse existe depuis 1895. L’historien Urs Hafner raconte qu’elle fut fondée dans un appartement bernois de cinq pièces sans électricité, qu’elle quitta quatre ans plus tard avant d’aménager en 1931 dans le site à l’architecture inspirée du Bauhaus qu’elle occupe toujours, avec des agrandissements successifs. « Une pour tous », elle représente, selon sa directrice Marie-Christine Doffey, « la diversité d’opinions et de vérités » de la confédération, au nombre desquelles on notera le récent alignement (2006) de l’appellation allemande de l’établissement en Nationalbibliothek plutôt que Landesbibliothek. La première diversité de ce livre est en effet celle des langues : trois sont principalement employées, allemand, français et italien, auxquelles s’ajoutent le romanche et même deux pages en anglais, dont la présentation des Swiss News du Queensland (Brisbane). Variété des narrations aussi : histoire, fiction à trois voix sur les Archives littéraires suisses, bande dessinée, réflexion sur « La lecture comme acte de rébellion » (entretien avec Michael Hagner). Les textes sont traduits dans les trois langues principales, y compris, sur un papier plus épais, dans la bande dessinée de Fanny Vaucher grâce à un astucieux dispositif de mise en page. Seuls les témoignages de 25 personnes et personnalités fréquentant l’établissement ne sont donnés que dans la langue de leur locuteur·rice.

Ce volume souple de 200 pages au format confortable (23 x 30 cm) frappe d’emblée par son élégance, il suscite une attention qui se mue tôt en curiosité puis en admiration. Parfait représentant de l’école graphique suisse, dû à l’agence Notter+Vigne, le livre conjugue la diversité foncière avec une organisation rigoureuse, notamment par les portraits de lectrices et lecteurs, dont les photographies en délicat noir et blanc, toutes prises de trois-quarts, semblent sortir des marges extérieures des pages en regard de la photo couleur d’un objet sélectionné au sein des collections. Organisation encore : les pages mises en abîme, les aplats pastel roses, verts ou bleus, relevés de fond argent qui rappelle les gris des portraits. Seule cette couleur manque à la version numérique du livre – de même que le discret gaufrage de la couverture bien sûr – intégralement téléchargeable sinon sur le site de la BN 2

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Le site de l’agence graphique donne un meilleur aperçu de l’effet argenté : http://notter-vigne.ch/fre/125_ans?tag=selection.

. Un petit effort d’imagination permet de s’en faire une idée sur les quatre remarquables pages de la table : Inhaltverzeichnis/Sommaire/Indice/Cuntegn/Table of contents.

Un beau livre qui s’affirme tel, mais sans ostentation, à la typographie sobre qui traverse les traditions linguistiques (caractères « Suisse » de la fonderie numérique Swiss Typefaces, façon machine à écrire pour les témoignages, avec empattements pour les textes longs, linéaire pour l’identité visuelle), d’une modernité assumée, qui invite à une lecture fragmentée mais néanmoins complète car l’iconographie court à travers les langues sans se répéter : cherchez les sabots !

Quel est le récit proposé ? Alors que la genèse de l’établissement explique l’absence de prestigieux ouvrages anciens, c’est la modestie recherchée des objets valorisés qui frappe d’emblée : même l’excellence typographique suisse du siècle dernier en est absente. À l’inverse, le premier objet représenté est… une fontaine à eau (et le dernier, retenu par un youtubeur d’origine camerounaise, une copie des chaises de 1931). Diversité à nouveau avec les premiers documents commentés, issus des différents sites de l’institution : archives du plasticien d’origine roumaine Daniel Spoerri ; disque d’hymnes socialistes tessinois de la fin du XIXe siècle, retrouvés dans un grenier et désormais conservé à la Phonothèque nationale suisse de Lugano ; spécimens de la collection multicontinentale d’encriers du Centre Dürenmatt Neuchâtel. L’ouverture aux médias et aux cultures se trouve ainsi démultipliée, sauf dans la dimension chronologique puisqu’aucun des items valorisés n’est antérieur à la création de l’institution. D’une manière générale, le labeur est mis en valeur : travail des actrices et acteurs de la vie culturelle suisse (tels un cahier de la dadaïste Emmy Hennings ou le « clavier de couleurs » du designer Karl Gerstner), travail des bibliothécaires à travers leurs outils –fichier, bibliographie, catalogue online « Helveticat », travail des techniciens comme cette laborantine en désacidification, travail des lectrices et lecteurs enfin. Dans cet exercice d’élégante ascèse, la palme revient à Pascal Ducommun, auteur d’un hommage à Lichtenberg : « Livre sans feuille auquel manque la reliure » (p. 72).

Une image traverse l’ouvrage, comme une persistance rétinienne parmi textes, photos, choix documentaires : des boîtes… Fanny Vaucher ne pouvait mieux titrer sa bande dessinée conclusive : « Le palais où tout s’emboîte ». Nous serions bien inspirés d’emboîter le pas d’une si belle réalisation.