« L’avenir de la science, c’est la collaboration, non la compétition »
Entretien avec Arnadi Murtiyoso
BBF : Pouvez-vous présenter votre parcours universitaire et votre activité aujourd’hui ?
Arnadi Murtiyoso : Je suis originaire d’Indonésie, où j’ai effectué mes études de Bachelor en géodésie et géomatique. J’ai par la suite été recruté par le réseau des écoles d’ingénieurs de l’Institut national des sciences appliquées (Insa). J’ai reçu mon diplôme d’ingénieur topographe de l’Insa Strasbourg en 2016. En 2017, j’ai décidé de faire une thèse à l’université de Strasbourg au sein du Laboratoire ICube (sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie), plus précisément dans l’équipe Télédétection, Radiométrie et Imagerie optique (TRIO). Après la soutenance de ma thèse en 2020, j’ai continué dans le monde de la recherche avec un contrat postdoctoral (jusqu’à fin 2021) dans la même équipe. Pendant ma thèse et pour mon travail postdoctoral, je travaille principalement sur la documentation du patrimoine bâti et l’application de l’intelligence artificielle (IA) pour aider sa reconstruction 3D.
BBF : Quelle a été votre pratique de la science ouverte pendant vos travaux de recherche ?
Arnadi Murtiyoso : Pendant ma thèse, j’ai essayé d’ouvrir mes recherches autant que possible, car pour moi, le patrimoine culturel est un bien commun. J’ai notamment rendu accessible les codes de programmation que j’ai développés pendant ma thèse. Les explications des algorithmes développés sont disponibles dans des articles scientifiques qui sont, dans la plupart des cas, publiés en libre accès. De plus, mon mémoire de thèse est lui-même ouvert et disponible sur le site theses.fr. Nous nous sommes mis d’accord avec mon directeur de thèse pour que les publications et les algorithmes soient ouverts. À l’initiative d’une doctorante italienne travaillant sur un sujet similaire et de moi-même, nous avons également créé un benchmark avec les données que nous utilisions dans nos thèses. Le but de ce benchmark est de pouvoir rendre accessible les données 3D des bâtiments historiques aux scientifiques du monde entier. Ceci est très important car avec l’arrivée de l’IA, une grande quantité de données est nécessaire afin d’améliorer nos objectifs scientifiques. Aujourd’hui encore, avec mes travaux postdoctoraux, je sens que cette ouverture est très importante, que ce soit le partage de données, mais aussi le partage de publications, de codes, de connaissances, etc. Cela nous permet de mieux travailler avec un esprit de collaboration, d’éviter de réinventer la roue et de perdre du temps dans un domaine technologique qui évolue très rapidement.
BBF : Quelles difficultés ou quels freins éventuels avez-vous rencontrés dans cette pratique ?
Arnadi Murtiyoso : Il existe deux freins principaux d’après mon expérience. Premièrement, un frein économique. Malgré nos idéalismes, l’argent est toujours nécessaire pour couvrir les opérations de la recherche. Par exemple, les maisons d’édition rendent traditionnellement leurs articles payants pour les lecteurs. Mais dans l’esprit de la science ouverte, il est maintenant possible, chez la plupart des éditeurs, de publier les articles en libre accès. Cependant, l’argent pour couvrir les coûts de publication doit venir de quelque part, ce sont donc les auteurs qui payent pour ce genre d’article. Je comprends très bien cette logique, mais à mon avis les montants demandés par certains éditeurs peuvent être une grande contrainte pour les scientifiques voulant publier leurs articles en libre accès, en particulier pour les auteurs issus de pays en voie de développement. Le deuxième frein réside dans les limitations imposées par chaque pays. Pour certains sujets, par exemple le nucléaire, cela peut être compréhensible car c’est un domaine où les données sont très sensibles. Cependant, dans certains pays, il existe toujours des règles strictes qui limitent la collaboration internationale, même pour des sujets de recherche avec un bas niveau de dangerosité comme la documentation du patrimoine, le sujet de mes recherches.
BBF : Quels sont aujourd’hui les enjeux autour de la science ouverte ?
Arnadi Murtiyoso : Essayer de convaincre les chercheurs de l’intérêt de la science ouverte. Ce n’est pas facile de le faire, car il y a toujours la notion de droit d’auteur qui les gêne ; ce qui est tout à fait compréhensible. Il faudrait qu’on arrive à les convaincre qu’on ne va pas voler leur travail. La sensibilisation à la science ouverte des jeunes chercheurs et des étudiants est aussi d’une grande importance. En effet, il arrive souvent que les moyens pour mettre en œuvre la science ouverte soient disponibles mais inconnus des chercheurs.
BBF : Quel rôle occupe la science ouverte dans les pratiques actuelles de la recherche, plus collaboratives et moins individuelles ?
Arnadi Murtiyoso : La science ouverte est la suite logique de l’évolution de la méthode scientifique. Les questions de recherche auxquelles nous faisons face aujourd’hui sont devenues de plus en plus compliquées à résoudre sans une approche multidisciplinaire et ouverte. Pour cette raison-là, je pense que c’est presque impossible de travailler seul dans le domaine de la recherche au XXIe siècle. La science ouverte nous permet de rassembler la connaissance de chercheurs issus pas seulement d’une équipe ou d’une institution, mais du monde entier pour aborder les problèmes de l’humanité. Pour moi, l’avenir de la science c’est la collaboration, et non la compétition.
BBF : La crise du Covid-19 a-t-elle fait évoluer la manière de considérer la science ouverte et sa place dans l’écosystème de la recherche ?
Arnadi Murtiyoso : Je pense que la crise a montré clairement les avantages de la science ouverte. Elle a déclenché un réseau de recherche totalement impressionnant, surtout dans le développement des vaccins et des médicaments contre le virus. Grâce à un réseau ouvert, pas seulement entre les scientifiques mais aussi auprès des régulateurs nationaux, les vaccins ont pu être développés dans un temps record. Cela n’aurait pas été possible sans la science ouverte, grâce à laquelle les scientifiques partagent leurs connaissances pour le bien commun. Pour moi, il s’agit d’une preuve concrète de ce que nous pouvons faire ensemble pour faire avancer la science.
BBF : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes chercheurs à propos de la science ouverte ?
Arnadi Murtiyoso : La science ouverte n’est pas seulement un idéalisme, mais quelque chose de très concret. Cependant, c’est aussi un sujet qui est souvent mal compris. En effet, la science ouverte doit toujours respecter le droit d’auteur. Ouverte ne veux pas dire que nous pouvons reprendre les travaux et les ressources des auteurs sans rien en contrepartie. Il faut au minimum citer les références. Pour cela, mon conseil aux jeunes chercheurs est de se renseigner sur tout ce qui est en lien avec la science ouverte et le droit d’auteur, par exemple les différents types de licences et leur implémentation.