Développer l’accueil en bibliothèque
Un projet d’équipe
Presses de l’Enssib, collection « La Boîte à outils, #41 », 2017, 192 p.
ISBN 978-2-37546-055-9 : 22 €
Si elle constitue la « vitrine » d’un service, la fonction d’accueil apparaît pourtant peu valorisée, et les compétences qui y sont liées volontiers considérées comme subalternes et relevant du sens commun ou de la bonne volonté. On peut y associer l’image de la « soubrette », mentionnée par Héloïse Courty (p. 11). Conservatrice des bibliothèques, désormais consultante et formatrice spécialisée dans la qualité de l’accueil, elle a dirigé cet opus, qui met en lumière la complexité de l’accueil, soulignant qu’accueillir n’est pas inné : cela s’apprend, se manage, s’évalue et se transforme.
Ce 41e volume de la collection « La Boîte à outils » des Presses de l’Enssib rassemble quinze contributions qui invitent à repenser notre approche de l’accueil (c’est l’objet de la première partie de l’ouvrage), pour en accompagner les transformations (deuxième partie), avant de présenter en dernière partie, et dans l’esprit de cette collection, des dispositifs opérationnels, issus du marketing, du management d’équipe et de la conduite du changement, et s’appuyant sur les bonnes pratiques observées.
L’objectif de l’ouvrage est ainsi de « proposer différents leviers aux bibliothécaires pour investir ce rôle souvent flou et peu considéré, d’accueil », résume Héloïse Courty dans le « mode d’emploi » introductif à l’ouvrage. Cela repose sur une ambition plus vaste : « adopter un nouveau paradigme » de l’accueil (p. 11), qui ne saurait être réduit à des activités de médiation. Cette approche « iconoclaste » de l’accueil implique en effet de remettre en cause nos représentations traditionnelles du métier pour passer d’« une logique de collections à une logique de services » comme le résume Maxime Szczepanski dans son article sur l’installation du zonage dans l’un des sites de la bibliothèque universitaire d’Angers, en vue d’assurer une meilleure coexistence des différents usages de la bibliothèque. En effet, elle ne saurait être que ce lieu d’étude, d’ordre et de silence, souvent favorisé dans les conceptions du métier, et le « zonage » mis en place dans un nombre croissant de BU permet de s’adapter aux besoins des publics qui souhaitent pouvoir bavarder, travailler en groupe ou faire une pause-café (p. 49), dans l’esprit du « troisième lieu » développé par la sociologie urbaine anglo-saxonne 1.
Autrement dit, la problématique de l’accueil interroge notre relation à l’usager, et plus fondamentalement nos postures et notre identité professionnelles. « Pour bien accueillir l’autre, encore faut-il avoir conscience du filtre avec lequel nous interprétons le monde, notre univers professionnel, l’autre », écrit ainsi Barbara Bay dans sa présentation de la Fabrique de l’hospitalité, le laboratoire d’innovation des hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui a pour vocation de co-construire de nouveaux services avec les patients pour humaniser leur séjour et améliorer les conditions de travail des soignants, et ce, en favorisant une approche plus transversale et plus collaborative du parcours de soins. Ce retour d’expérience illustre l’apport des théories du care pour (ré)investir la mission d’accueil autour des notions d’empathie, d’hospitalité et d’autonomie de l’usager (empowerment) 2. L’accent est mis sur la valeur de la relation qui se crée en situation d’accueil, et donc sur l’importance de « compétences particulières d’ordre relationnel », expliquent Lola Mirabail et Stéphane Tonon (p. 59) dans leur contribution sur l’Infomobile à la bibliothèque de l’université de Paris 8. « L’originalité de l’Infomobile tient à la manière dont le dialogue s’engage avec l’usager » (p. 55), soulignent-ils : « des personnels de la bibliothèque se déplacent dans les espaces sur des plages de service public d’une heure afin de répondre autrement aux besoins des lecteurs » (p. 54). L’objectif est de repérer et d’aborder les usagers en difficulté, pour offrir un « service de très grande proximité » (p. 55), et réduire ainsi la distance avec l’institution bibliothèque, dans le contexte d’une BU accueillant des publics très diversifiés et souvent non francophones. Ce service d’Infomobile, mis en place en 2001, repose sur le volontariat des personnels et fonctionne bien car il est pleinement intégré à la culture de l’établissement.
Force est de constater, cependant, que l’Infomobile ne s’est guère exportée, et qu’elle reste une spécificité de la politique d’accueil de ce SCD. En effet, il ne faudrait pas sous-estimer les problèmes rencontrés par les agents dans les situations d’accueil (une complexité relationnelle qui ne saurait être réduite au fameux « stress du front office »), en particulier face à des publics dits « difficiles » ou « précaires », comme l’avait analysé le sociologue Vincent Dubois dans son enquête sur La vie au Guichet, menée au sein des caisses d’allocations familiales 3. Accueillir au quotidien des usagers, parfois très éloignés des codes de l’institution, peut générer des conflits de représentation et de la démotivation, qui sont explorés dans plusieurs des contributions rassemblées dans le présent ouvrage. Catherine Cauderlier, responsable de la médiathèque de Dammarie-lès-Lys, située en zone urbaine sensible, met en lumière l’« usure de l’accueil » face aux tensions générées par des enfants laissés sans surveillance parentale et par la présence de bandes de jeunes souvent bruyants et peu respectueux des règles de la bibliothèque. L’approche d’une psychologue du travail permet d’aborder les risques psychosociaux liés à la fonction d’accueil, par essence, dans laquelle les agents doivent souvent faire face à de l’inattendu et imaginer des stratégies d’adaptation traduisant un décalage difficile à vivre entre le travail prescrit et les réalités du terrain.
La troisième partie de l’ouvrage propose précisément des outils « pour aller de l’avant ». Elle a le mérite de ne pas confondre modernisation de l’accueil et illusion techniciste – elle n’est pas réductible à l’introduction d’automates de prêt – ou la focalisation sur les procédures. C’est l’apport de la complémentarité des approches et des outils, en lien avec la dimension humaine et collective, qui est ici mis en avant. L’élaboration de référentiels communs, dès l’étape d’accueil de nouveaux collègues, avec par exemple un carnet de bord puis un parcours de formation, permet ainsi de définir un socle de références partagées, afin « que les professionnels investissent leur mission d’accueil avec davantage de confort et de confiance » pour reprendre les termes d’Anne-Christine Collet (p. 94), responsable qualité et chargée de la formation continue au SCD de l’université Lyon 1. Le consultant Martin Mouchard souligne l’intérêt des outils d’intelligence collective, du brainstorming aux réunions de régulation dont l’animation peut tourner pour encourager l’appropriation d’un projet et la créativité d’équipe. Nathalie Clot, directrice de la bibliothèque universitaire d’Angers, présente l’approche « orientée usagers » qui se démarque des enquêtes et des sondages pour se concentrer sur l’observation des usages réels de la bibliothèque (en s'inspirant par exemple de la technique de la carte cognitive, demandant aux usagers de dessiner la bibliothèque) pour proposer ensuite des services mieux adaptés aux utilisateurs (service design). Au SCD de Lyon 1, le « point écoute usagers » permet de collecter en ligne les remarques entendues à l’accueil, qui sont traitées chaque mois puis font l’objet d’« actions planifiées ». La démarche qualité, principalement sous la forme du référentiel Marianne ou de la norme ISO 9001 (pour laquelle le SCD de Lyon 1 et la médiathèque du Kremlin-Bicêtre, mentionnés dans le livre, sont labellisés), offre l’opportunité d’installer une dynamique d’amélioration continue de l’accueil. Héloïse Courty évoque cependant les risques d’une démarche qualité sans transformation managériale. Et l’ouvrage se clôt sur le rôle de la direction dans la conduite du changement : son implication et son soutien sont indispensables pour accompagner une approche qui invite à se remettre en question et à « sortir du cadre des habitudes » (p. 157).