Desservir une communauté de territoire
La documentation au sein de Normandie Université
La documentation dans le cadre de la politique de site conduite par Normandie Université peut-elle contribuer au rayonnement de l’enseignement supérieur et de la recherche sur un territoire régional ? Au-delà d’un ensemble de services mutualisés, il serait souhaitable que la documentation soit plus systématiquement associée aux actions de développement des services aux chercheurs et à la valorisation de la recherche, terrain sur lequel elle à toute légitimité pour endosser son rôle d’accompagnement.
Can Normandie Université's site policy on documentation help foster the higher education and research sector's outreach efforts across the region? In addition to the newly pooled services, documentation should be more systematically involved in projects to develop services for researchers and in promoting research – an area where documentalists can legitimately claim considerable expertise.
Les services communs de la documentation et les bibliothèques universitaires se caractérisent par la transversalité de leur action dans la première de leurs missions qui est le soutien à la formation et à la recherche. L’ouverture sur la vie des établissements, leurs politiques de service, leur culture de travail en réseau, facteurs d’innovation, sont aussi leur marque de fabrique. Mais pour autant, la documentation a-t-elle un impact sur la structuration d’une politique de site, sur le maillage d’un territoire régional du point de vue de l’enseignement supérieur et de l’IST ? La documentation est-elle toujours au cœur des enjeux stratégiques des politiques de sites ? Est-elle un facteur de construction d’une identité de territoire ? S’il est difficile de l’affirmer, faute de recul, l’exposé des actions conduites au nom de la COMUE Normandie Université par la commission documentation/édition permet de poser quelques pistes de réflexion.
Le rapport 1 adressé en décembre 2016, à Madame la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par Mme Joëlle Claud, inspectrice générale des bibliothèques, et MM. Hervé Méchéri et Renaud Nattiez, inspecteurs généraux de l’administration de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dresse les pistes de cette réflexion, notamment à travers l’expérience d’universités fusionnées et de communautés universitaires d’établissement. Le cas de la documentation au sein de Normandie Université y est cité comme un élément fédérateur pour les établissements de l’ESR normand.
La COMUE Normandie Université
Normandie Université est un regroupement des universités de Caen Normandie, du Havre, de Rouen Normandie, de l’ENSICAEN, de l’INSA Rouen Normandie et de l’ENSA Normandie, et de six établissements associés.
La coopération des établissements normands est initiée d’abord sous forme associative, avec la création du pôle universitaire normand, en avril 1998, qui gérait des projets interrégionaux entre les trois universités (Caen, Le Havre, Rouen) et les deux écoles d’ingénieurs (ENSICAEN, INSA Rouen), puis confirmée en 2011 2 par la création du pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) Normandie Université sous statut d’établissement public de coopération scientifique (EPCS).
Conformément à cette volonté de coopération, le conseil d’administration du PRES Normandie Université, réuni le 4 juillet 2013, se prononce pour l’évolution vers une communauté d’universités et établissements (COMUE) sur le périmètre régional normand.
Normandie Université est entrée en action au 1er janvier 2015. L’ensemble représente 67 000 étudiants et 4 300 enseignants et chercheurs.
Normandie Université 3, dans son projet stratégique 2014-2020, souligne les atouts du territoire normand, son potentiel en matière de formation et de recherche 4, son antériorité de coopération. Normandie Université entend favoriser, par son action, la qualification professionnelle et l’insertion sociale par la formation initiale, l’apprentissage et la formation continue. Elle souhaite mettre ses capacités d’innovation au service de la création d’activité économique, sociale et culturelle à l’échelon régional. Dans cette stratégie affichée, les établissements membres ont inscrit, au décret fondateur, la documentation et le numérique comme axes structurants dans un territoire où la distance géographique et la circulation entre les sites sont, sinon un obstacle, du moins une contrainte dont il faut tenir compte.
C’est pour construire cet axe documentaire commun que Normandie Université a conforté la Commission documentation / édition, crée par l’ancien PRES, dans ses statuts et ses missions.
ENSA NORMANDIE
699 étudiants
67 enseignants dont 20 enseignants-chercheurs (toutes catégories confondues : docteurs, doctorants, habilitation à diriger la recherche)
1 médiathèque
40 000 € de budget pour la médiathèque
40 places assises
Ouvert le lundi de 13 h à 17 h et du mardi au vendredi de 9 h à 17 h
4 agents documentalistes (3,6 ETP), 1 agent adjoint administratif (0,5 ETP), 5 étudiants moniteurs (0,5 ETP)
La Commission documentation / édition : statut et missions
La Commission documentation / édition est conduite par une vice-présidente, elle réunit les directeurs des bibliothèques des établissements membres, les directeurs des presses universitaires normandes, Média Normandie, un représentant de la commission numérique et des représentants élus, chercheurs, étudiants, personnels.
Sur le site de Normandie université, elle est ainsi présentée : « La Commission documentation / édition prépare pour le conseil d’administration les décisions en matière de mutualisation de procédures, de services et de ressources dans le domaine de la documentation et de l’édition. Pour certains dossiers, elle travaille en étroite collaboration avec la commission numérique. Elle poursuit la démarche de mutualisation et de réflexion sur la pertinence de projets au niveau régional, en complémentarité avec les stratégies d’établissements. »
Elle hérite ainsi d’une feuille de route formalisée dans le projet stratégique, feuille de route qui s’inscrit dans un continuum d’actions héritées du PRES ou inscrites dans le schéma directeur numérique normand (SDNN) et qui énonce les orientations suivantes :
– la coordination d’une offre de formation des usagers à la documentation, en lien avec la formation doctorale ;
– l’intégration de la documentation dans l’innovation pédagogique et l’indexation des ressources pédagogiques ;
– la mise en œuvre d’une archive institutionnelle pour le signalement, la diffusion et la conservation des publications scientifiques des établissements normands ;
– l’acquisition mutualisée et coordonnée de ressources électroniques ;
– l’élargissement du service d’information documentaire à distance ;
– la coordination en matière de SIGB et outils de recherche fédérée pour aboutir à des outils communs optimisés ;
– la valorisation concertée de collections d’excellence, de fonds patrimoniaux (conservation et numérisation).
Bibliothèque de l’université Le Havre Normandie
Université Le Havre Normandie
- effectifs étudiants : 8 000 en 2016-2017
- effectifs personnels : 840
- 300 enseignants-chercheurs et chercheurs
- 230 doctorants
Bibliothèque universitaire
- nombre de sites : 2
- personnels : 39 (hors emplois étudiant), 45 avec emplois étudiants
- budget hors masse salariale : 865 454 €
- dépenses documentaires : 574 579 €
BU centrale
- surface : 8 500 m² dont 5 500 m² au public
- places assises : 943 (12 salles de travail en groupe, 2 salles de formation)
- entrées annuelles : 340 339
- prêts annuels : 55 878
- horaires hebdomadaires : 75 heures 30
La Commission documentation / édition :
réalisations et projets
Formation des personnels et des usagers
Normandie Université a, par ailleurs, été dotée de la compétence de formation des personnels de documentation par le transfert du CRFCB (centre régional de formation aux carrières des bibliothèques), auparavant rattaché à l’université de Caen, devenu Média Normandie.
Média Normandie, assumant pleinement ses missions de CRFCB notamment auprès des bibliothèques de collectivités locales, accompagne en outre les projets documentaires de la COMUE, en contribuant notamment à une offre de formation construite en étroite association avec les établissements documentaires, à une formation rénovée en réponse aux attentes des établissements et à la consolidation d’une culture professionnelle commune qui peut être prolongée au-delà de l’offre de formation.
Ainsi, à l’initiative des responsables des services aux publics des SCD de Caen, Le Havre et Rouen, un cycle de rencontres, intitulé les Rendez-vous de la Qualité, permet l’échange de pratiques en matière d’accueil et de services aux lecteurs dans un objectif d’harmonisation et, à moyen terme, de labellisation de la qualité de l’accueil.
La formation des doctorants et enseignants-chercheurs de Normandie à l’information scientifique et technique et aux nouvelles compétences informationnelles figure aussi dans la feuille de route de Média Normandie et se concrétise par un partenariat avec l’Urfist de Paris.
SCD de Rouen Normandie
Université
- 29 337 étudiants
- 1 338 enseignants-chercheurs
- 994 BIATSS
- SCD : 72 ETP
- budget : 1 862 000 € en 2017
7 sites
- Santé
- Droit-économie-gestion
- Lettres-SHS-STAPS
- Sciences – Mont-Saint-Aignan
- ESPE
- Sciences – Le Madrillet
- Site d’Évreux
Horaires hebdomadaires : 75 heures 30
Dépôt et signalement des thèses
Les bibliothèques interviennent à l’échelle des écoles doctorales notamment en ce qui concerne le dépôt et la diffusion électronique des thèses. En effet, avec le passage du diplôme de docteur sous la compétence de Normandie Université, il a fallu coordonner et harmoniser le processus du dépôt des thèses dans STAR en accompagnant les établissements selon des calendriers différents.
Un travail s’est engagé sur la mise en place d’un environnement de travail unique pour Normandie Université. Cette coordination a fait travailler ensemble établissements documentaires, DSI et écoles doctorales : travail autour des échanges de données, des pratiques de diffusion avec la rédaction de charte en conformité avec l’arrêté des écoles doctorales. Les SCD se sont donc trouvés à coopérer de concert sur la procédure de soutenance et la production d’une charte de dépôt électronique des thèses, validée au conseil académique de la COMUE. Le dépôt est mis en œuvre pour Normandie Université depuis janvier 2017.
Bibliothèque de l’INSA de Rouen Normandie
Public :
– 1 550 élèves
– 140 enseignants-chercheurs
– 113 doctorants
Personnels : 6 agents qualifiés
Budget : 270 000 €
Espaces : 800 m², 200 places assises
Horaires hebdomadaires :
– 59 heures d’ouverture
– 64 heures en période d’examen
Collections :
– papier : 16 000 ouvrages, 150 abonnements
– numériques : 4 500 ouvrages, 17 ressources électroniques, plus de 9 000 revues en ligne
Création d’un portail institutionnel sur HAL
La décision de Normandie Université de retenir HAL date de février 2015. L’ouverture d’un portail institutionnel HAL est l’aboutissement d’un projet, à l’initiative de la Commission documentation / édition, pour apporter à la communauté scientifique une solution d’archives ouvertes pour la conservation et la valorisation des publications scientifiques universitaires normandes. Elle s’est accompagnée de moyens humains mis à disposition par la COMUE en y associant, dans une démarche de projet rigoureuse, l’ensemble des acteurs de la documentation universitaire, les directions de la recherche et du pôle numérique. Un ingénieur a ainsi été recruté, qui aura, par sa double compétence scientifique et documentaire, la mission de convaincre et d’accompagner la communauté de chercheurs à déposer dans HAL.
Des outils communs
L’accès distant aux ressources documentaires numériques était une demande prioritaire de la communauté universitaire normande. La mise en place d’un ENT commun à l’ensemble des établissements a permis, au moyen d’une plateforme unique de reverse proxy mutualisée, de répondre à ce besoin. La mise en place de ce service, administré par la COMUE, a favorisé les initiatives de mutualisation de ressources électroniques et permis de mettre en place ezPAARSE pour analyser les usages de l’offre documentaire numérique régionale.
La plateforme de réponse documentaire à distance, d’abord gérée régionalement sous le nom de PingPong et désormais intégrée au sein du réseau UBIB, constitue un partage réussi d’un outil documentaire permettant la mutualisation et la coordination de l’assistance documentaire aux usagers, à travers une approche multicanal : messagerie instantanée / asynchrone.
Enfin, le projet SGBM auquel adhèrent les trois bibliothèques universitaires vise à permettre une gestion intégrée des ressources documentaires papier et électronique des trois universités normandes, une interconnexion facilitée des catalogues et, à terme, la possibilité d’envisager un système d’information documentaire unique. Le fait que les trois universités normandes s’inscrivent dans la phase pilote de cette initiative nationale innovante témoigne de la volonté d’avancer aussi rapidement que possible sur une politique d’infrastructure documentaire mutualisée et de nouveaux services documentaires pour la communauté universitaire normande. Cette infrastructure, si elle devient commune, pourrait constituer un levier puissant pour accélérer et favoriser une meilleure mutualisation des pratiques et des services documentaires au sein du site normand.
SCD de Caen Normandie (données 2016) *
– 28 390 étudiants
– 1 619 enseignants
– effectifs personnels : 1 099
– 5 bibliothèques intégrées dont deux en sites distants (Cherbourg-en-Cotentin et Alençon)
– budget SCD : 1 768 718 €
– dépenses documentaires : 1 281 318 €
– entrées : 1 056 895
– prêts : 164 130
– personnels : 77,6 ETP
– collections physiques :
33 445 mètres linéaires
– surfaces : 25 800 m²
Horaires hebdomadaires : 76 heures (amplitude maximale) + ouverture de la BU Santé le dimanche de 13 h à 19 h.
Le besoin d’un schéma directeur
L’énumération précédente ne serait qu’une fastidieuse description d’actions menées en commun par les SCD et les bibliothèques, si elle ne s’inscrivait dans cette volonté de produire des services structurants et innovants pour la communauté d’établissements dans une logique de rapprochement et de mutualisation des services. Les acteurs de la Commission documentation / édition sont constamment dans une démarche volontariste qui s’inscrit dans la culture du travail en réseau des bibliothèques. Le risque, cependant, est de se heurter à moyen terme à l’absence d’un schéma directeur qui traduirait une stratégie planifiée pour la documentation, pour soutenir, donner du sens à la réalisation de ses objectifs, et en particulier, la modernisation des infrastructures documentaires et le développement de services en direction de nos publics, étudiants, enseignants, chercheurs et personnels sur le territoire normand.
Il est évident qu’il aurait été préférable que les étapes arrivent dans un ordre plus logique : un projet stratégique et politique affirmé et formalisé au préalable pour la documentation à l’échelle du site et duquel découlerait plus naturellement la définition et la mise en place de moyens humains et financiers pour aboutir à la réalisation d’objectifs pour la documentation.
Cette limite est illustrée par exemple par le développement des services aux chercheurs ou la valorisation de la recherche : la documentation est rarement associée aux actions de développement des services et de valorisation, alors que pour certains aspects, comme la conservation des données de la recherche, les nouvelles stratégies de publication, la bibliométrie, la documentation serait légitime à jouer son rôle en relation avec les missions des directions de la Recherche.
Alors, comment atteindre ces objectifs en dehors d’une politique affirmée et des moyens dédiés ?
Pour autant, l’activité continue de la Commission documentation / édition, les projets soutenus, les dossiers concrétisés, créent une synergie et, en creux, dessinent une appartenance à une communauté de territoire. À long terme, les dossiers structurants, tels que le projet de SGBM, le déploiement d’une archive institutionnelle, les services mutualisés, l’accompagnement de la recherche, adossés à la légitimité de la documentation et à l’engagement des professionnels, participeront de l’identité du site normand et de son ancrage dans le tissu économique et social de la nouvelle région Normandie réunifiée.
L’auteur remercie pour leur relecture attentive de cet article :
– Élisabeth Lalou, vice-présidente Normandie Université, chargée de la commission documentation-édition ;
– Pierre-Yves Cachard, directeur de la bibliothèque universitaire de l’université du Havre ;
– Joël Carré, directeur de la bibliothèque de l’INSA Rouen Normandie ;
– Isabelle Saint-Yves, directrice de la médiathèque de l’ENSA Rouen Normandie ;
– Laurence Boitard, directrice du SCD Rouen Normandie.