La blogosphère info-doc
Une communauté de savoir, une mosaïque de médiations
Bérengère Stassin
ISBN 978-2-36493-563-1 : 27 €
Le présent volume, issu de la recherche doctorale soutenue en 2015 de Bérengère Stassin, aujourd’hui maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine, repose sur l’analyse d’un considérable corpus de 5 555 billets de blog publiés par 68 blogueurs entre 2010 et 2012. En 400 pages, l’auteure interroge tout particulièrement la nature et le fonctionnement du réseau formé par la blogosphère info-doc, ainsi que la nature et le fonctionnement de la médiation qu’exercent leurs auteurs à travers leurs productions. Ce sont les blogs non institutionnels d’experts, c’est-à-dire de praticiens et/ou de chercheurs en SIC, se présentant sous leur identité professionnelle 1, cherchant à faire valoir leurs compétences et à se faire reconnaître en tant qu’experts dans un réseau de pairs, qui sont au centre de cette étude.
La lecture du cadre de référence théorique de la recherche, soit la première partie de l’ouvrage, et de la restitution des résultats de celle-ci, soit la troisième et dernière partie du livre, intéressera particulièrement tout professionnel de l’information.
En 1992, Tim Berners-Lee, un an après avoir annoncé le lancement du web sur le forum Usenet, anime « le premier blog […] bien qu’il n’en porte pas le nom » (p. 26). Malgré le faible nombre de personnes qui ouvrent une page personnelle durant les premières années du web, il est impossible de les recenser et une poignée seulement est passée à la postérité. En outre, la recherche ne dispose que d’une vue très américano-centrée des premières pages personnelles. Il est par conséquent impossible aujourd’hui de vérifier si Justin Hall est bel et bien le « père fondateur du journal intime en ligne » ainsi qu’il fut qualifié par le New York Times Magazine en décembre 2004.
Entre les premières pages personnelles des débuts du web, dont celle de Tim Berners-Lee, et les innombrables blogs des années 2000, il s’agit invariablement pour leurs auteurs de signaler des contenus, de commenter l’actualité et de mettre en récit leur vie quotidienne.
Le terme « blog », quant à lui, connaît le succès lors du lancement en 1999 de Blogger par Evan Williams, l’un des futurs concepteurs de Twitter. Avant la création de Blogger, l’animation d’un espace d’autopublication est réservée à une poignée d’individus dotés de compétences informatiques. Avec Blogger et les plateformes d’autopublication qui suivront (Skyblog, Overblog, Wordpress, etc.), gratuites et fondées sur le principe du WYSIWYG 2, les quelques pages personnelles des années 1990 font place à plusieurs millions de blogs au début des années 2000. Au milieu de la même décennie, l’arrivée des médias sociaux et l’abandon de la blogosphère au profit des plateformes de réseautage social par les plus jeunes font craindre la disparition des blogs. Aujourd’hui, les blogs font souvent partie d’un écosystème informationnel plus large.
Les bibliothécaires, quant à eux, investissent la blogosphère au début des années 2000. Le premier biblioblog français, BiblioAcid, est animé par Nicolas Morin et Marlène Delahaye, à partir de 2003, ce qui fait dire à ces derniers que « les bibliothécaires n’ont donc pas été particulièrement précurseurs dans ce domaine » (p. 64). Bérengère Stassin relève également la peu nombreuse littérature en langue française étudiant la blogosphère info-doc, a contrario de la foisonnante littérature en langue anglaise sur le sujet.
En guise de préambule à son analyse de la blogosphère info-doc et de ses auteurs, l’auteure rappelle utilement que « la création de contenus et les contributions relevant du commentaire ou de la critique de l’actualité médiatique, politique ou encore économique [sont] l’apanage “d’une minorité sociale, celle qui d’ores et déjà exerçait des activités en lien avec l’information et la culture avant l’arrivée de l’internet” » (p. 39).
Le lecteur apprendra alors, d’une part, que lesdits auteurs de la blogosphère info-doc partagent un intérêt pour le web et une appétence pour l’écriture en ligne, ainsi – et c’est essentiel – qu’un projet cognitif visant à échanger ou à construire des connaissances en lien avec l’information et la documentation, ce qui permet à Bérengère Stassin de qualifier cette blogosphère de « communauté de savoirs en ligne ». Ce souhait de diffuser des connaissances se double pour la recherche d’un esprit de vulgarisation.
D’autre part, aux yeux de certains membres de cette communauté, déplorant la lenteur du processus éditorial classique et le trop faible nombre de canaux traditionnels de partage et de diffusion de la connaissance en info-doc, ce projet vise à compléter l’information diffusée par les institutions de formation mais aussi les revues et les autres formes de publications professionnelles qui apparaissent comme « insatisfaisant[e]s » (p. 327).
De manière générale, plus un blogueur publie, plus il augmente sa visibilité. Comme toutes les blogosphères, rappelle Bérengère Stassin, la blogosphère info-doc est sujette à une loi de puissance, au sens où un petit nombre d’acteurs occupe une position centrale alors que le plus grand nombre est relégué en position périphérique, et qu’un petit nombre de thèmes fait l’objet d’un grand nombre de billets. Cela explique la place centrale des blogueurs généralistes, qui jouent un rôle d’interface entre les différents blogs spécialisés, et que trois thèmes, sur une centaine, représentent un quart des contenus produits par la blogosphère.
Ce travail a le grand mérite d’ouvrir la voie à de futurs travaux de recherche dont voici quelques pistes.
Une baisse significative du nombre de billets publiés sur la période étudiée – 2 444 billets publiés en 2010 contre 1 461 en 2012 (p. 247) – pose question : une analyse quantitative des contenus et son inscription dans le temps long (relatif) de la blogosphère info-doc restent à mener.
Bérengère Stassin n’avance pas d’hypothèse au sujet de la récurrence ou de l’obsolescence des thèmes abordés par les blogueurs. D’autres études sur des périodes différentes que celle étudiée autoriseraient à qualifier de « récurrent » ou d’« obsolescent » tel ou tel thème.
Dans les dernières pages du livre, il est dit que le blog n’est qu’une « brique d’un mur » (p. 342). L’étude des autres dispositifs visant à promouvoir l’expertise et la réputation des acteurs de la blogosphère info-doc reste à faire.
Enfin, le veilleur attentif de la blogosphère info-doc s’amusera, à la lecture, à retrouver l’identité, anonymisée, des blogueurs interrogés.