« Les bibliothèques de prison, ou la nécessité du partenariat »

Journée d’étude ABF – 10 mai 2016

Pascale Pauplin

Le mardi 10 mai 2016 s’est tenue à la bibliothèque Françoise-Sagan une journée d’étude, « Les bibliothèques de prison, ou la nécessité du partenariat », organisée par l’Association des bibliothécaires de France.

Nicolas Merle, chargé de mission au Département de l’éducation et du développement artistiques et culturels (ministère de la Culture et de la Communication), a ouvert la journée par un bilan des actions Culture-Justice menées en 2015. Il a d’emblée insisté sur le défi complexe que les services de l’État ont dû relever pour concevoir une stratégie territoriale cohérente à l’échelle des nouveaux territoires. Le point a ensuite été fait sur les actions financées par les DRAC l’année dernière : 2 millions d’euros sont venus soutenir 450 à 500 projets. Ces instances sollicitent de plus en plus les collectivités territoriales qui s’intéressent elles-mêmes de plus près à la question de la démocratisation culturelle. Dans le cadre de ces partenariats, la bibliothèque apparaît comme le point d’entrée privilégié de la vie culturelle en détention. Les actions livre-lecture représentent plus d’un tiers des conventions et sont souvent couplées à un autre champ disciplinaire, par exemple livre-lecture et théâtre. Ces partenariats nécessitent un dialogue soutenu. Nicolas Merle a alors conclu sur l’importance de la formation pour surmonter les différences de cultures professionnelles.

Un état des lieux des bibliothèques

Après avoir rappelé la mission de réinsertion de l’administration pénitentiaire, Nathalie Faure, chargée du développement culturel à la Direction de l’administration pénitentiaire (Ministère de la Justice), a présenté la synthèse de l’enquête de 2015 sur le fonctionnement des bibliothèques des établissements pénitentiaires. La politique culturelle relative à la lecture s’organise autour de deux axes : d’une part le repérage de l’illettrisme, d’autre part le développement des bibliothèques et des activités culturelles qui leur sont liées. L’enquête a connu un fort taux de participation (90% des établissements) dans un contexte de baisse budgétaire. Les bibliothèques publiques restent les partenaires essentiels des bibliothèques de prison. Ces collaborations sont fondamentales pour l’animation, l’expertise sur les collections, la formation et la mise en place du SIGB. Ainsi, la bibliothèque en détention apparaît comme un lieu de socialisation, dédié à la lecture, qui permet de mettre en place des activités culturelles grâce à l’action d’acteurs impliqués.

Partenariats possibles, expériences et
profils à géométrie variable

Hors Cadre, Mission Culture justice Nord-Pas-de-Calais :
un dispositif régional d’animation et de développement du Livre et de la lecture en prison

L’association Hors Cadre a ensuite été présentée par Marc Le Piouff, chef de projet. Elle assure depuis 2003 le suivi de la mission régionale de développement culturel en prison. Son rôle a été formalisé par une convention régionale établie avec la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille et la DRAC Nord-Pas-de-Calais. Hors Cadre se présente donc comme une interface entre ces deux institutions. Elle œuvre pour la mise en place de projets culturels et assure également des missions ponctuelles d’expertise (évaluation des fonds, partenariats). Pour cela, elle cherche à mettre en réseau les acteurs et à trouver des financements. La programmation culturelle de la prison est envisagée à l’échelle du Comité technique local puis validée par le Comité régional qui regroupe la DRAC, la DISP et les services pénitentiaires d'insertion et de probation. Sur un an, 150 projets ont été acceptés. Enfin, lors du Comité de pilotage interministériel régional, l’association Hors Cadre présente un bilan annuel qui sert à orienter et définir la stratégie de l’année à venir.

La convention de la maison d’arrêt de Colmar

Sébastien Hammes, chargé musique et cinéma à la médiathèque départementale du Haut-Rhin, anciennement chargé des publics empêchés, a fait remarquer que le réseau institutionnel est assez peu structuré en Alsace, contrairement à celui du Nord-Pas-de-Calais. L’administration pénitentiaire et les SPIP du Haut-Rhin ont donc sollicité un partenariat d’une part avec le département, la maison d’arrêt de Colmar et l’Association éducative, culturelle, sportive et d’aide aux détenus, d’autre part avec la bibliothèque municipale et diverses associations. La demande portait sur une restructuration de la bibliothèque, un suivi de celle-ci et le développement de l’action culturelle. Du fait d’une convention très généraliste et de l’absence de structures régionales, la médiathèque départementale a joué un rôle central : évaluation des collections présentes, établissement d’une politique documentaire, installation d’un SIGB, formation des intervenants, désherbage et préparation d’actions de médiation.

Témoignage de Catherine Langlois sur le centre de détention de Val-de-Reuil

Catherine Langlois a ensuite témoigné sur les bibliothèques du centre de détention de Val-de-Reuil. Bibliothécaire de la médiathèque de la commune, elle est détachée à mi-temps auprès de l’établissement. Construit en demi-sphère, ce centre de détention est le plus grand d’Europe. L’architecture spécifique de la prison met la bibliothèque au cœur de l’unité carcérale. Cette originalité a incité le Ministère de la Justice à demander une convention dès 1989. En 2008, celle-ci a évolué en convention triennale, entre la ville, le SPIP, l’établissement et la DRAC. Des projets ont été initiés, comme le festival Normandiebulle de Darnétal. Catherine Langlois a rappelé combien il est important de créer du lien avec les auxiliaires-bibliothécaires et de les intégrer totalement aux projets. Ces personnes sont en effet des ponts entre les détenus et la bibliothèque.

Table ronde : les partenariats internes

Une émission littéraire en prison

Séverine Clerc, professeure documentaliste, et Aurélien Zann, animateur vidéo à la maison d’arrêt de Metz, ont ensuite présenté l’émission littéraire Biblio, diffusée sur le canal interne Ciel de la maison d’arrêt. L’émission prend place à la bibliothèque et présente un débat entre deux personnes. Les détenus sont acteurs de l’émission et parlent de leur lecture afin de donner l’envie de lire à d’autres personnes. Deux autres détenus travaillent également au montage de l’émission. Afin d’attirer du public, les liens avec le cinéma et les séries sont fréquents. Dernièrement, les présentations d’un livre sur la musculation et d’une biographie de Zlatan Ibrahimović ont connu un grand succès.

Les espaces Facile à lire

Les « Kiosques », espaces « Facile à lire », ont ensuite été présentés par Lise Martin, chargée de mission Livre et Lecture Pays de La Loire et bibliothécaire au centre pénitentiaire de Nantes. Ces espaces sont une réponse adaptée et innovante qui s’appuie sur un mobilier identifiable présentant les livres de face. Le but est de désacraliser la lecture afin de conquérir un nouveau lectorat et de lutter contre l’illettrisme dont le pourcentage en prison est supérieur à la moyenne nationale. Le projet a été développé en trois étapes dans un esprit de partenariat. Premièrement, un comité technique s’est réuni dans chaque établissement afin de discuter de la création du « Kiosque ». Deuxièmement, les collections et le mobilier ont été acquis selon un cahier des charges. Enfin, la médiation permet de faire vivre le Kiosque de façon pérenne au sein de l’établissement. Pour ce faire, elle associe les bibliothèques partenaires, repose sur un accès au livre sans contrainte et s’appuie sur un lancement dynamique porté, par exemple, par des comédiens qui déclament des textes dans les lieux de détention.

La formation ABF au centre pénitentiaire de Nancy

Marie-Odile Fiorletta, bibliothécaire à la médiathèque Manufacture de Nancy chargée du partenariat avec le centre pénitentiaire Nancy-Maxéville, a ensuite présenté la formation pour les détenus qu’elle a sollicitée auprès de l’ABF-Lorraine. Les organisateurs et enseignants ont dû faire face à plusieurs contraintes : l’absence d’internet, la pauvreté de l’offre documentaire et l’impossibilité d’organiser des stages à l’extérieur. Les cours requérant une connexion ont donc été assurés à l’aide de captures d’écran tandis que la liste bibliographique a été axée sur des thématiques bien représentées dans les bibliothèques du centre. Enfin, le stage a été remplacé par un rapport à rendre sur la bibliothèque et sur les améliorations à y apporter. Sur les 11 détenus qui ont suivi l’ensemble de la formation, 8 ont réussi et une personne libérée a passé l’examen à l’extérieur avec succès. Si cette formation a demandé beaucoup de temps et d’énergie aux coordinateurs, le bilan est positif tant pour les détenus qui ont reçu une formation professionnalisante que pour les enseignants qui ont fait preuve d’une grande cohésion et qui ont appris à connaître le milieu carcéral.

Présentation du Médiathèmes la bibliothèque,
une fenêtre en prison

Enfin, la journée d’étude s’est close sur une présentation du nouveau Médiathèmes de l’ABF : La bibliothèque, une fenêtre en prison 1. Ce livre informatif et pratique est le fruit du travail de la Commission ABF Bibliothèques d’établissements pénitentiaires.

Cette rencontre fut l’occasion de témoignages et d’échanges riches, aussi intéressants les uns que les autres. Sandrine Husson (médiathèque de l’École nationale de l’administration pénitentiaire) a notamment appelé les bibliothécaires à signaler les actions culturelles menées en milieu carcéral. Les productions des détenus, réalisées lors de ces animations, sont présentées dans la lettre trimestrielle « Culture infos » 2 tandis que le pôle ressource « actions culturelles » met à disposition des différents partenaires plus de 500 documents.