Architecture et bibliothèque : flux et formes des espaces de la culture
Journée d’étude Enssib-BmL – Lyon, jeudi 29 janvier 2015
Depuis quatre ans, l’Enssib et la Bibliothèque municipale de Lyon collaborent à l’organisation d’une journée d’étude annuelle sur des questions d’architecture.
Gilles Éboli, directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon, et Thierry Ermakoff, responsable du Département des services aux bibliothèques à l’Enssib ont introduit cette 4e édition en proposant de poursuivre l’interrogation sur ce modèle pour s’interroger sur les flux et les formes des espaces de la culture.
Selon les termes du programme,« les espaces de la culture ne sont pas redevables d'une seule logique de "boîtes" et de multiples flux les traversent (hommes, choses, signes), qu'il convient d'interroger. Comment amener les flux dans la "boîte", comment les réguler, comment les faire circuler entre les boîtes ? Mais aussi, de manière symétrique, comment fluidifier la circulation grâce aux formes et à l'information ? L’idée est de ne pas concentrer les échanges sur le bâti en tant que tel mais sur l’ensemble architectural en lien avec ce qui l’anime et l’habite ».
L’objet de la matinée, modérée par Christelle Petit, responsable du service Diffusion des savoirs à l’Enssib, était d’élargir la réflexion aux différents espaces de la culture : l’urbain, les musées.
Le projet urbain Lyon Part-Dieu, présenté par Nathalie Berthollier de la mission Lyon Part-Dieu, était abordé ici sous l’angle des flux.
Le quartier de la Part-Dieu à Lyon, quartier très actif et vivant, concentre aujourd’hui tous les flux métropolitains. Construit dans les années 70, avant la décentralisation, sur un ancien terrain militaire, cet ensemble multifonctionnel devait alors constituer un deuxième centre pour la ville en concentrant des lieux commerciaux, culturels, administratifs.
D’autres enjeux ont dévoyé le projet initial. La construction de la gare en 1980, au départ conçue pour accueillir 35 000 voyageurs par jour – qui en concentre aujourd’hui 120 000 avec un objectif à 225 000 – devenue un pôle multimodal, fait aujourd’hui de ce quartier une porte d’entrée de la ville. L’ampleur prise par le centre commercial nécessite de composer différemment avec ce qui est devenu un « barrage urbain ». Ces enjeux nouveaux amènent à repenser les mobilités en recréant des porosités, en redonnant sa place au piéton par la création d’un « sol facile ». Il s’agit aussi d’en faire un quartier à vivre par la création de 2000 logements intégrant des socles actifs (commerces et services en rez-de-chaussée) dans cet ensemble actuellement vécu comme très fonctionnel et minéral.
Le projet est conduit dans le cadre de la mission Part-Dieu depuis 2010. Il a permis, au terme d’une première phase de stratégie et de prospective associant des sociologues, des professionnels du quartier et intégrant des phases de concertation publique, à trouver l’équation programmatique qui serve tous ces enjeux. Le projet assume et préserve, sans démolir, la magnifique architecture des années 60 et 70 fondée sur les principes d’urbanisme de l’époque dissociant les réseaux et les flux : tunnels routiers, immeubles au sol, piétons sur dalle. Il s’agit de composer avec les architectures existantes, notamment les immeubles de grande hauteur, dans le respect de ce patrimoine urbain et architectural. Seule la façade urbaine située face à la gare sera démolie afin d’ouvrir l’espace vers le centre commercial et la bibliothèque.
L’objectif est de hisser ce quartier, premier quartier tertiaire français en région, qui intègre la plus grande bibliothèque publique municipale de France, le plus grand centre commercial en Europe occidentale, l’auditorium ONL, les Halles Paul-Bocuse, au rang de quartier urbain de référence en Europe.
Au musée du Louvre, le "Projet pyramide", présenté par Françoise Broyelle, en charge de la partie médiation du projet, porte sur une refonte de l'accueil du plus grand musée du monde.
Le projet part d’un constat : les dispositifs prévus à l’origine craquent face à l’hyper-fréquentation du site qui a plus que doublé depuis la création de la pyramide. La relation au public est jugée peu hospitalière, la médiation peu adaptée, la signalétique manque d’une vision globale, les conditions de travail sous la pyramide sont difficiles. Le Louvre constitue un ensemble particulièrement complexe spatialement, mais aussi dans ses contenus : appellations, signes, plans, s’adressant à un public au trois-quart étranger, dont six visiteurs sur dix viennent au Louvre pour la première fois, et 4 % n’ont jamais mis les pieds dans un musée.
Partant d’une une observation minutieuse des lieux et des usages qui s’y sont développés, la philosophie du projet est fondée sur trois fondamentaux : le repérage spatial (comprendre le bâtiment, s’y repérer), le mode d’emploi culturel (découvrir et comprendre ce que le Louvre peut offrir), l’ergonomie et le confort (pour une visite plus facile, plus fluide, plus plaisante). La démarche consiste à accompagner la visite dans une logique de « marche avant » où chaque étape prépare la suivante. Partant du plus petit élément de médiation qu’est le cartel et progressant à rebours, il s’agit de dispenser l’information au bon moment, au bon endroit.
L’objectif est bien d’instaurer avec le visiteur une relation nouvelle de confiance basée sur l’autonomie et le partage, facilitant l’appropriation, propice à la valorisation et privilégiant le plaisir de la visite.
A la Cité du design de Saint-Étienne, boucle créative accueillant des publics divers, les flux et formes des espaces culturels sont étudiés au prisme du Living Lab.
Les projets développés à la Cité du design reposent sur l’innovation par les usages. Car le design s’intéresse non seulement au graphisme, aux objets et équipements, mais aussi aux espaces (instancier une fonction dans un lieu), au numérique et aux services. Alexandre Pennaneac’h, coordinateur du LUPI®, Laboratoire des usages et des pratiques innovantes, en a livré quelques exemples.
L'approche Living Lab est un concept novateur dans le champ du management de l'innovation qui intègre les utilisateurs comme des parties prenantes du processus de conception. Le Living Lab, lieu d’échanges, permet de tester grandeur nature des produits, des services, des outils ou des usages nouveaux avant leur mise en production. Les utilisateurs sont associés selon différents profils : utilisateur observé / testeur / participant / expert. La démarche d’observation des usages intègre des notions de communauté, d’empathie (accueillir les usages pour les comprendre), d’itération et procède en travaillant par prototypes. Les projets présentés, développés dans le cadre du dispositif normé LUPI, concernent des échelles d’intervention différentes, tel le développement d’un prototype d’un parcours muséal, la création d’aménagements dans un quartier, la promotion touristique d’une région auprès des visiteurs d’un site patrimonial.
L’objet de la journée était de croiser les contributions dans leur nature mais aussi leur géographie. La programmation de l’après-midi était tournée vers l’étranger.
Quel est le rôle de la bibliothèque dans une ville de la connaissance ? Tel est le thème de l’enquête commanditée par les bibliothèques de Düsseldorf. L’étude présentée par Agnes Mainka, Member of Research Staff / Department of Information Science, a été menée par l’unité de recherche en sciences de l’information de l’université Heinrich-Heine de Düsseldorf.
Les bibliothèques sont reconnues comme faisant partie de ces « facteurs soft » qui contribuent à l’image d’une ville. Pour ne pas être un concept éphémère, elles doivent s’adapter pour répondre aux besoins de la société. Dès lors, qu’attend-t-on d’une bibliothèque, tant physique que virtuelle, dans une ville de la connaissance ? En tant que fournisseurs de services, les bibliothèques se doivent d’être très largement ouvertes (24h/24) et d’être des lieux d’acquisition de la connaissance. Sur le plan physique, la bibliothèque doit constituer un jalon dans la ville, être un lieu qui crée de l’engagement. Sur le plan numérique, sa mission est de constituer et de donner accès à des bibliothèques numériques, d’être présente sur les réseaux sociaux.
Il s’agit d’offrir à la fois un lieu de création et de récréation, mais aussi un réseau au service des acteurs de la société de la connaissance.
Le tour d’horizon s’est achevé par la présentation de deux projets inspirants, inscrits dans d’ambitieux projets de rénovation urbaine et qui ont mis en œuvre une véritable culture de la participation en impliquant les citoyens dans l’ensemble du processus de conception.
Le projet danois de l’Urban Mediaspace d’Aarhus, présenté par Marie Østergård, Project Leader and Partnership Developer pour les bibliothèques publiques d’Aarhus, s’inscrit dans le cadre de la reconversion d’une ancienne zone portuaire et intègre la construction d’une bibliothèque publique de 18 000 m2.
Il s’agissait, dès l’origine du projet en 2003, de projeter une bibliothèque du futur passant d’une logique de transactions à une logique de relations. La bibliothèque s’adresse au public, aux usagers, et « nous sommes tous des usagers ». Dès lors, comment représenter une vision commune de la bibliothèque ? On ne crée par une bibliothèque pour 5 ans mais pour 100 ans. Comment s’adapter à des besoins que l’on ne connaît pas encore ?
La démarche de ce projet a été mise en œuvre selon un modèle développé, utilisé et labellisé sous l’appellation « Danish model program for library building ». Cette méthode de co-design est avant tout basée sur une constante interaction entre architectes, professionnels et usagers. Il s’agit de créer les conditions d’un processus créatif de conception par le déballage d’idées, d’expérimentations par la réalisation de prototypes, d’évaluation en testant avec les usagers, dans un constant mouvement de va-et-vient et de « prise de décision de dernière minute » (indispensable dans un projet aussi long) auquel les architectes ont dû s’adapter : « Ils ont beaucoup appris en travaillant avec nous .»
L’architecte a pensé la bibliothèque comme un espace urbain couvert, une place publique dans la ville, composé de quatre espaces d’apprentissage, de rencontres, de performance et d’inspiration. Le projet intègre un concept nouveau de parking automatique de 1000 places sous forme de boîtes à voitures (« la ville c’est pour les gens, pas pour les voitures »), une aire de jeux innovante, des bureaux urbains ouverts aux entreprises selon un principe du « donnant-donnant » (concept finlandais), un scriptorium (seul espace silencieux), un coin jeunesse conçu pour les familles en créant des passerelles entre les générations (les enfants ne viennent pas seuls).
La bibliothèque ouvrira ses portes fin 2015 à l’occasion de l’édition 2015 du « Next Library Festival ».
Le projet de la Central Library d’Helsinki présenté par Pirjo Lipasti, Chief Planner à la Helsinki City Library, constitue un autre exemple de mise en œuvre d’une démarche résolument participative au service d’un projet de construction d’une bibliothèque publique du XXIe siècle.
Le site, une ancienne zone ferroviaire en plein centre de la capitale reconvertie en vaste campus culturel, compte déjà le Musée de la Finlande, un opéra, un musée d’art contemporain, une maison de la musique ; il n’y manquait plus qu’une bibliothèque.
La lecture est une priorité politique en Finlande ; ce pays, de 5,5 millions d’habitants dispose d’un dense réseau de 836 bibliothèques publiques dont la moyenne de fréquentation avoisine dix visites par an et par habitant. Helsinki, capitale de 600 000 habitants compte elle-même 36 bibliothèques comptabilisant 16 prêts par an et par habitant en moyenne.
Les bibliothèques publiques finlandaises se positionnent de manière très volontariste au service des citoyens. Elles se veulent des pôles d’intégration des citoyens leur offrant des lieux pour apprendre, créer, vivre des expériences, être actifs, des bâtiments intelligents intégrant des solutions technologiques de pointe.
Les bibliothèques renforcent l’identité de la collectivité, et la création d’un tel équipement est considérée comme un projet collectif à l’échelle de la ville. Aussi, l’association des citoyens à sa conception, dans un esprit de démocratie participative, était-elle considérée comme essentielle.
La consultation publique a été organisée sous de multiples formes pour permettre aux citoyens d’exprimer leurs valeurs et leurs idées : invitation d’auteurs pour échanger avec le public, création d'un « arbre des rêves » numérique (toutes les idées ont été prises en compte et sont encore visibles sur internet), une « urban adventure » pour sillonner la ville en interviewant les gens sur leurs souhaits et attentes, campagnes ciblées pour la définition de points précis au sein d’ateliers urbains (qui se sont révélés être une manière très efficace de travailler).
Une démarche de « budget participatif » permettant aux citoyens de décider de l’utilisation d’une partie du budget public a été mise en œuvre, basée sur une méthode de visualisation du budget et de prise de décision facile à comprendre par tous. Des propositions de projets pilotes ont été soumises au vote des citoyens au sein de workshops. Ce sont ainsi plus de 2 300 propositions exprimées par le public qui ont été collectées et classées en grandes catégories : le silence, l’action, les services numériques, le faire (« working », « learning », « do it yourself »), les enfants et autres groupes de publics cibles, les collections, les contenus, les services tout au long de la journée, l’architecture, l’équipement, la décoration intérieure…
Le concours international d’architecte, ouvert et anonyme, a duré un an et demi et obtenu 544 réponses. Les projets ont été affichés sous forme de posters dans la ville et le public invité à voter (« ils ont adoré être consultés ! »).
Le bâtiment se déploie sur 10 000 m² (objectif : 10 000 m² pour 10 000 visiteurs par jour) entièrement dédiés aux espaces publics, le back office demeurant dans les anciens locaux. Il comporte trois étages, chaque niveau ayant son identité propre. L’architecture simple et fluide de cette « bibliothèque sous un nuage » (« The library under cloud, dressed in wood ») joue sur la relation intérieur / extérieur pour s’intégrer naturellement au site et devenir un nouvel édifice emblématique de la ville d’Helsinki.
Ce projet long, initié en 1998, véritablement lancé en 2000, verra son aboutissement en 2017-2018 et constituera le projet phare de la célébration du centenaire de l’indépendance de la Finlande.
Ces projets divers témoignent de la constante nécessité de réinterroger la forme pour l’adapter à la dynamique des flux. Cette recherche d’adéquation conduit à concevoir des démarches de conception plus participatives et interactives pour une meilleure prise en compte des attentes et des usages.