Journée d’étude de l’ADBGV
« Quels territoires pour la lecture publique ? Les bibliothèques et la réforme territoriale » – Bordeaux, 23 septembre 2014
Afin d’essayer d’y voir plus clair dans les réformes territoriales en cours et comprendre de quelle façon elles pourraient impacter les bibliothèques des grandes villes et des intercommunalités urbaines, l’ADBGV avait invité plusieurs représentants d’associations d’élus lors de sa journée d’étude à Bordeaux.
Les travaux de la matinée ont été introduits par Fabien Robert, adjoint à la culture à la ville de Bordeaux, qui a eu l’occasion d’insister sur la place de la lecture publique à Bordeaux, illustrée par la requalification entreprise autour de la médiathèque Mériadeck (que les participants à la journée d’étude ont eu l’occasion de visiter en amont) comme par l’ouverture de deux nouvelles médiathèques de quartier ces dernières années. Alors que la bibliothèque municipale de Bordeaux s’apprête à reprendre la gestion du portail métropolitain (résultat de la fusion des deux portails documentaires qui existaient précédemment), avec la volonté à terme d’avoir une carte commune pour permettre aux usagers d’emprunter sur l’ensemble du territoire, F. Robert a insisté sur les enjeux de la réforme territoriale et l’importance, pour les associations professionnelles comme l’ADBGV, d’y réfléchir en amont.
Réformes territoriales : état des modifications législatives en cours
C’est à David Constans-Martigny (de l’Association des maires des grandes villes de France) qu’est revenue la délicate mission de dresser le panorama des trois lois et demie actuellement en cours d’élaboration ou fraîchement adoptées en lien avec la réforme territoriale. Tout en insistant sur le côté très fluctuant de l’actualité, il s’est attaché à garder la crête (ce qui est saillant) dans chaque projet. Il a d’abord présenté la loi MAPTAM (loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), la seule qui ait été adoptée, en date du 27 janvier 2014. Cette loi prévoit un renforcement des métropoles qui passeraient à quatorze entre le 1er janvier 2015 et le 1er janvier 2016. Avec certains critères de population (plus de 400 000 habitants dans un bassin de plus de 600 000 habitants) et des compétences élargies, en particulier dans le domaine du Tourisme. Ces métropoles pourraient à terme devenir plus nombreuses en faisant abstraction du critère démographique, ce qui concernerait alors Toulon, Mulhouse, Tours, Clermont ou Angers. La loi MAPTAM rétablira la clause de compétence générale supprimée en décembre 2010.
David Constans-Martigny a ensuite présenté le projet de loi Cazeneuve (dont la deuxième lecture est prévue pour l’automne, avec une promulgation souhaitée avant la fin de l’année), qui prévoit que les régions passent de 22 à 14 en métropole, avec désignation de chefs-lieux provisoires avant le 31 décembre 2015 et la possibilité de droit d’option pour les départements. Il a souligné qu’il n’y est plus question du plafonnement des effectifs des conseils régionaux. Puis il a exposé le projet de loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République), ou loi Lebranchu, qui pourrait supprimer de nouveau la clause de compétence générale et redéfinir les compétences élargies des régions, qui deviendraient chefs de file sur le Tourisme et pourraient participer à la Culture et au Sport (domaines de compétence partagée). Il a souligné la volonté de mettre en place des guichets uniques pour les subventions et celle de renforcer les intercommunalités, avec un seuil de bassin de vie de 20 000 habitants obligatoire pour chaque communauté de communes à compter du 1er janvier 2017. Enfin D. Constans-Martigny a évoqué le projet d’une loi Culture, émanation des lois Création et Patrimoine travaillées sous l’ère Filippetti.
À côté de ces projets, le représentant de l’AMGVF a présenté les outils imaginés pour améliorer la contractualisation territoriale, et notamment les CTAP (conférences territoriales de l’action publique), avec des documents qui seraient contractuels entre les communes signataires et des pénalités pour celles qui ne respecteraient pas la convention signée.
Toutefois D. Constans-Martigny a souligné que les textes législatifs portaient plus sur la gestion des équipements d’intérêt communautaire que sur la compétence culturelle, alors qu’il paraîtrait plus raisonnable de réfléchir sur un domaine d’action au sein d’une compétence plutôt que sur l’ensemble de ladite compétence.
Enjeux de la réforme territoriale
Catherine Dupraz (ADAC GVAF, qui inclut métropoles et communautés d’agglo) a ensuite évoqué les enjeux de la réforme territoriale pour les grandes villes et précisé que, si la culture était à peine évoquée dans la loi MAPTAM, les enjeux culturels de la réforme seraient considérables et que tous les niveaux de collectivités seraient impactés. Elle a rappelé qu’à Avignon cet été, les associations d’élus avaient défendu la clause de compétence générale et que l’ARF avait suggéré la diminution du rôle des DRAC, en souhaitant que la culture soit une compétence obligatoire pour les régions. Quant aux départements, ils pourraient disparaître alors qu’ils consacrent 1,3 milliard d’euros aux archives départementales et aux bibliothèques départementales de prêt. Quid du devenir de leurs actions et de leur financement ? Si l’État revendique son rôle de garant de l’égalité des territoires et son expertise, pourra-t-il garder ce positionnement avec des moyens en baisse et des modèles parfois vieux de cinquante ans ? Si, en période de pénurie, la tentation est grande de ne sauver que quelques grandes institutions et quelques grands événements, C. Dupraz pense qu’au contraire c’est le moment de remettre l’ensemble à plat. Comme Brigitte Proucelle, DAC de Bordeaux, elle a estimé qu’il importait de partir des initiatives locales et des besoins des citoyens, de faire du benchmark – afin de ne pas compiler les compétences mais faire plutôt des schémas directeurs –, d’articuler et d’élargir les réseaux d’acteurs et de décloisonner les approches par discipline.
Une table ronde animée par Philippe Charrier (directeur de la BM de Strasbourg) a ensuite permis à David Constans-Martigny (AMGVF), Catherine Bertin (ADF) et Emmanuelle Thuong-Hime (DAC de la région Aquitaine) d’échanger sur les différents échelons des changements à venir. Ils ont tous souligné que l’on n’était plus à l’époque des décentralisations avec transferts de compétences (comme dans les années 1980 ou 2000) mais dans une phase où la nécessité était de créer des outils pour permettre aux collectivités de mieux travailler ensemble, retenant notamment l’exemple d’autodétermination lyonnais, même s’il n’est pas reproductible partout.
Lors de ces échanges, Catherine Bertin a mis en garde contre une vision simpliste qui consisterait à penser qu’en supprimant les départements, les économies nécessaires seraient faites. Elle a rappelé l’actualité des départements, à savoir des élections en mars 2015 pour élire en une fois les membres des conseils départementaux. Leurs mandats devraient durer jusqu’en 2020, ce qui leur donnera le temps de proposer des solutions en fonction de trois scénarios : il y a une métropole, et alors département et métropole fusionnent ; le territoire est périurbain, on assiste alors à une fédération d’intercommunalités ; le territoire est rural et il le reste. Dans toute l’Europe, Catherine Bertin a rappelé que les réformes territoriales buttaient sur l’existence constitutionnelle des échelons que l’on voudrait supprimer après en avoir créé de nouveaux. Elle a aussi plaidé pour la diversité des solutions à trouver, en prenant exemple sur les régimes spéciaux de la Corse, du Grand Paris ou de l’Outremer.
Emmanuelle Thuong-Hime (DAC Aquitaine) a pour sa part fait remarquer que les régions étaient des collectivités de création récente (1982), presque sans transferts de charges (à l’exception de l’Inventaire en 2007). Elle a évoqué l’exemple aquitain, où la région revendique le « chef de filat » sur le pôle Livre du champ des industries culturelles et créatives. Mais ce n’est pas vrai pour toutes les régions, certaines étant moins volontaristes.
En complément, Dominique Lahary a présenté les résultats de la journée interprofessionnelle et interassociative du 15 septembre dernier (avec AAF, ABF, ADBDP, ADBGV, etc.) sur la réforme territoriale. Les régions y avaient justement été pointées comme un échelon riche de potentiels, mais avec de grandes disparités.
Dominique Arot (doyen de l’Inspection générale des bibliothèques) a clôturé la matinée par l’exposé de quelques convictions forgées d’après ce que l’IGB a pu observer sur le terrain à l’occasion d’études récentes. Il a insisté sur l’importance de maintenir une égalité des territoires et l’égalité d’accès des citoyens à un certain nombre de services publics et à la culture. L’intercommunalisation des bibliothèques est une réalité, mais là où ça fonctionne le mieux (comme à Plaine Commune), c’est là où il y a un véritable projet politique et pas seulement une gestion d’équipement a minima. L’IGB a fait aussi l’éloge de la proximité, tout en insistant sur la nécessité d’échelons de coopération nationale, régionale ou départementale, mais aussi sur la place des grands opérateurs nationaux comme BPI, BnF ou CNL. L’IGB constate, elle aussi, que le paysage est divers à l’horizon, mais estime que cela ne doit pas nous inquiéter : il faut avoir des stratégies locales en fonction des réalités locales. L’Inspection a souligné qu’il fallait veiller à ne pas défaire ce qui avait fait ses preuves (par exemple, le travail de terrain mené dans les départements ou le concours particulier des bibliothèques), mais travailler à améliorer ce qui ne fonctionnait pas bien, comme la coopération régionale. Toutefois cela suppose que les bibliothécaires acceptent de changer et de travailler autrement.
Il a été rappelé qu’il fallait que les décideurs aient en tête ce que sont les bibliothèques du XXIe siècle, et notamment leur rôle pluriel dans beaucoup de politiques publiques (et pas seulement culturelles). Sans oublier les bibliothèques universitaires, qui participent aussi, désormais, à l’offre de ressources sur le territoire, notamment dans le domaine de la formation.
L’après-midi, il était proposé de travailler en atelier (trois, modérés par Marine Bedel, Philippe Charrier et Sophie Danis, directrice de la BM de Versailles) sur les mêmes questions, afin de réfléchir notamment aux conditions d’un repositionnement BDP/BM. L’exemple lyonnais a été comparé à l’exemple montpelliérain. Toutefois les transferts de responsabilités aux interco s’accompagnent d’un dépeçage des services de médiation des BDP, ce qui nuit à leur efficacité. D’autre part, certaines BDP sont rétives à l’idée de toute extension « géographique » des agglomérations. La première nécessité est donc d’avoir des rencontres et des temps de discussion entre BMGV et BDP.
On a convenu du besoin de diagnostics locaux (intercommunaux) des services rendus et de la possibilité d’utiliser, pour la coopération locale, la mise à disposition des conservateurs d’État. Au souhait unanime d’éviter le modèle unique, s’est ajouté celui de pouvoir travailler ensemble sans transfert : une majorité des présents pensaient positif de passer la compétence lecture publique aux intercommunalités, mais sans forcément qu’il y ait transfert des équipements et des personnels, ce qui induirait lourdeurs et crispations. Sur le partage des compétences et le rôle des régions, il apparaît que cet échelon « supérieur » pourrait avoir un rôle à jouer dans les ressources numériques et le patrimoine. En revanche, la formation des bénévoles doit demeurer une question de proximité.
En conclusion de cette journée très riche en informations et en réflexion, Juliette Lenoir, présidente de l’ADBGV, a souligné combien la réforme territoriale était une opportunité pour notre créativité. Elle a souhaité que l’on reparte des publics et de la part que nous assumons dans les différentes politiques publiques (sociale, éducative, etc.), en appelant à des diagnostics territoriaux qui devront tenter d’être prospectifs dans la dématérialisation, les besoins du public évoluant sans doute plus vite que nous. Elle a également fait l’éloge de la diversité : « On ne peut pas imaginer une solution unique pour la Bretagne, la Corse et Paris, tout en nous intégrant à l’époque de Netflix et Amazon, qui abolissent les distances. »