Les institutions du livre face à la « Culture numérique » des « Digital natives »
Séminaire Ebook AN3 – Paris, 13 janvier 2014
Il ne faisait pas bon être bibliothécaire le 13 janvier dernier lors de la dernière séance du séminaire Ebook AN3, dont le BBF a déjà rendu compte (voir le n° 5-2013). Cette fois-ci, nous écoutions Laurent Collet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulon, dont les recherches au sein du laboratoire I3M portent sur l’innovation, les usages et l’économie des dispositifs numériques d’information et de communication. La séance était consacrée aux institutions du livre face à la « culture numérique » des « digital natives ».
Son intervention lui a permis de présenter des études récentes qu’il a menées dans son laboratoire en faisant l’exploit de les rattacher à la problématique de la séance : l’une consacrée aux « bibliothèques départementales de prêt conquises par le web 2.0 » ; l’autre reposant sur une enquête quantitative auprès des 16-24 ans de la région PACA visant à mesurer la culture numérique et l’insertion professionnelle.
Des analyses qu’il a menées sur les sites des BDP, Laurent Collet conclut au retard de l’offre de livres numériques par les BDP (l’enquête date de 2012). À défaut de pouvoir analyser cette offre qu’il qualifie d’inexistante, il a étudié les sites web des 96 BDP, constatant leur forte dépendance vis-à-vis des sites institutionnels des conseils généraux qui les abritent et la faiblesse de l’appropriation du discours sur le numérique sur leurs pages. Ces observations (relativement datées, il suffit de consulter l’offre de la médiathèque du Haut-Rhin pour se rassurer – un tant soit peu – sur les capacités de la profession à proposer une offre qui réponde à, ou qui permettre de susciter l’appétence du public en matière de lecture numérique) ont mené l’intervenant à conclure sur la difficulté que peuvent éprouver des professionnels habitués à gérer du stock à évoluer vers une offre de flux nécessitant une médiation adaptée. Cependant, Laurent Collet a concédé que les BDP pouvaient rencontrer des obstacles pour mettre à disposition des ressources numériques et électroniques aux usagers avec lesquels elles ne sont pas en contact direct. Il écrit à propos des BDP et de leurs sites : « Plus récemment, le développement continu des dispositifs numériques d’information et de communication les incite à être présents et se positionner sur le web. Ce nouvel espace d’intermédiation n’est pas neutre et interroge leur rôle de médiation dans le processus de démocratisation et d’acculturation à la lecture en général et, en particulier, à la culture numérique. » N’est-ce pas là un constat sévère qui tient insuffisamment compte des missions de ces établissements particuliers aboutissant, finalement, à un contre sens dans les conclusions ?
On se souvient que sur le même thème, Sylvie Octobre, du DEPS, avait rédigé en 2009 une synthèse intitulée « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ? ». Dans cette note, la sociologue écrivait à propos des médiathèques : « [elles] connaissent un succès réel qui s’explique par la conjonction de plusieurs phénomènes : la mutation de l’offre proposée, qui a intégré des produits numériques et des outils technologiques ; l’ouverture, la liberté d’accès et la gratuité (comme en témoigne le nombre croissant d’usagers non-inscrits) qui a autorisé des usages variés, du périscolaire (venir y faire ses devoirs) au plus littéraire (y emprunter des romans). »
Laurent Collet a ensuite relaté l’enquête menée en région PACA auprès des 16-24 ans sur la question du lien éventuel entre culture numérique et insertion professionnelle. Au cours de cette enquête, il était demandé aux jeunes de préciser ce qu’ils lisaient en ligne. Comme beaucoup ont dit qu’ils ne lisaient rien, l’intervenant a suggéré qu’effectivement « les jeunes ne lisent pas » (en ligne) et qu’ils préfèrent encore le papier à la lecture en ligne, prouvant par là qu’ils n’avaient pas de « culture numérique ». À ce sujet, il a évoqué les résultats du certificat informatique et internet (C2i) qui montreraient également la faiblesse des compétences des étudiants en la matière. Sans culture ni compétence informatique… de quoi est donc faite la « culture numérique » des digital natives ?, s’est-il demandé.
De ces assertions hâtives et peu argumentées ont découlé cependant des questions intéressantes : qu’appelle-t-on culture numérique ? L’outil numérique modifie-t-il notre rapport au monde (et notre culture) ? Cette notion recouvre à la fois des habiletés, des valeurs, des usages… mais alors, où est la « culture » ?