Numalire
Une expérimentation de numérisation à la demande du patrimoine conservé par les bibliothèques sous la forme de financements participatifs (crowdfunding)
Introduction et contexte
Les moyens dont disposent les bibliothèques pour conduire leurs programmes de numérisation du patrimoine qu’elles conservent sont rarement à la hauteur des enjeux. Dans ces conditions, faire appel aux ressources financières des internautes peut sembler être une solution opportune. Certaines bibliothèques dans le monde font déjà appel à leur travail, à leurs connaissances, à leurs compétences ou à leur créativité pour indexer (folksonomie), numériser (Europeana 1914-1918, par exemple) ou corriger l’OCR (projet TROVE de la Bibliothèque nationale d’Australie, projet Ozalid entre la Bibliothèque nationale de France, Orange, Jamespot, Urbilog, I2S, ISEP, INSA Lyon, université Lyon-1, LIRIS, université Paris-8, etc.). On parle de crowdsourcing, c’est-à-dire d’externalisation de certaines tâches bibliothéconomiques auprès de la foule des internautes. En retour de leur participation, les amateurs bénéficieront de développement personnel, de distraction, de jeu, d’autopromotion, ils pourront satisfaire leur soif d’altruisme ou, parfois, recevoir des gratifications sous la forme de cadeaux ou d’argent, obéissant tantôt à des motivations intrinsèques, tantôt à des motivations extrinsèques (Andro et Saleh, 2014). Le crowdfunding, ou financement participatif, est une forme de crowdsourcing qui fait plus spécifiquement appel à la générosité des internautes. Mais, bien loin de s’adonner à une mendicité institutionnelle (Ayres, 2013), il s’agit, pour les bibliothèques, de s’inscrire dans un nouveau modèle de collaboration avec leurs publics et de centrer leurs politiques documentaires non plus exclusivement autour de leurs collections mais autour de leurs usagers individuels, appelés à participer à la valorisation du patrimoine et à mieux faire vivre les collections, la bibliothèque numérique devenant ainsi une co-construction.
La numérisation à la demande grâce à des financements participatifs permet aux bibliothèques ne disposant pas de service de reproduction numérique d’en offrir un, de qualité professionnelle, à un public élargi et de lui permettre d’accéder, en particulier, à des documents difficilement accessibles. Elle peut permettre aussi de moderniser ou de remplacer des services de prêts entre bibliothèques vieillissants. Au-delà de la demande d’un simple soutien financier, les bibliothèques offrent ainsi un service nouveau sans avoir à en supporter le coût, enrichissent leurs bibliothèques numériques, et ouvrent, au grand public, leur politique documentaire d’identification et de sélection des ouvrages qui, au sein du patrimoine documentaire qu’elles conservent, méritent d’être numérisés. Ainsi, les bibliothèques s’ouvrent également à des possibilités de collaborations avec des mécènes ou des investisseurs qui pourraient être intéressés par la possibilité de financer la numérisation de tel ou tel titre susceptible de générer, en retour sur investissement, un trafic web parfois important. Ainsi, l’argent public pourrait davantage se concentrer sur la numérisation de documents d’intérêt scientifique ou patrimonial non susceptible d’être prise en charge par le grand public et par les entreprises. D’après E. Chamberlain (2010), 91,8 % des universitaires de Cambridge, sondés dans le cadre d’une étude sur la faisabilité de la mise en place d’un service de numérisation à la demande, seraient intéressés par un tel service et 65,5 % d’entre eux le seraient également par un service d’impression à la demande.
En France, dès 1997, une expérimentation a été lancée, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, sous le nom de « Le livre à la carte » (Libris Éditions) afin de proposer la réimpression d’ouvrages sous la forme de fac-similés. Elle généra 140 commandes sur 3 mois. Deux ans plus tard, la société Librissimo (devenue Phénix Éditions lors de son intégration par Alapage, France Télécom), en partenariat avec la Bibliothèque municipale de Troyes et avec l’aide d’un atelier de numérisation in situ, proposa le même service pour un coût de 3 à 4 francs par page. Avec cette initiative pionnière qui engendra une centaine de commandes par mois début 2001 (Delcourt, 2011), la prestation de numérisation restait indissociable de celle de l’impression d’un fac-similé. Quelques années plus tard, Juan Pirlot de Corbion, fondateur de Chapitre.com, expérimenta, avec la Bibliothèque nationale de France, l’export d’une grande partie de son catalogue sur un portail commercial afin de permettre la numérisation à la demande de tel ou tel document par les internautes. Mais ce projet a finalement été abandonné, victime de son succès : le nombre de demande de devis et de descriptions matérielles de documents était très important et coûteux en temps de travail pour un trop faible taux de demandes de devis qui se concrétisaient par la commande de numérisations, les internautes ayant parfois changé d’envie ou d’avis à la lecture du devis. Enfin, plus récemment encore, en mars 2011, les Amis de la Bibliothèque nationale de France ont remis en place ce type de service sur la base de listes de titres proposées par la BnF et par des internautes, avec une moyenne de plus de 7 numérisations par mois pour un prix moyen de 196 €, après déduction fiscale 1
.En dehors des initiatives américaines Maine Shared Collections Strategy et revealdigital.com visant à permettre le financement de la numérisation des trésors cachés des bibliothèques, à l’échelle européenne, le réseau européen Ebooks on Demand (EOD) piloté par la Bibliothèque universitaire du Tyrol propose un service mutualisé de numérisation à la demande moyennant une cotisation annuelle des bibliothèques de 1 000 € environ pour la coordination, l’administration, l’OCR, l’assistance, l’accès à la plateforme de paiement et sa maintenance. En France, la Bibliothèque inter-universitaire de santé (BIUS) et la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg (BNUS) y participent parmi 40 bibliothèques de 12 pays d’Europe. Les bibliothèques participant au réseau peuvent ajouter des boutons dans leurs OPAC vers EOD. En France, elles peuvent désormais également le faire depuis leurs notices dans le catalogue national SUDOC. La numérisation est généralement réalisée par les ateliers internes des bibliothèques. Entre 2007 et 2011, d’après S. Gstrein et G. Mühlberger (2011), près de 5 000 livres ont ainsi été numérisés, 1 million de pages scannées, pour près de 2 500 lecteurs dans le monde. Les bibliothèques les plus importantes bénéficient ainsi de 250 à 350 livres numérisés par an chacune, soit environ une commande par jour de travail. Le prix moyen est d’environ 50 €. En général, la commande coûte 10 € forfaitaires auxquels s’ajoute une somme de 0,15 à 0,30 € par page. La majorité des commandes oscillent entre 20 € et 49 € par livre. Seulement 20 % d’entre elles dépassent 50 €. D’après G. Mühlberger et S. Gstrein (2009), pour un livre de 250 pages, le prix de la numérisation d’un livre peut osciller entre 30 € et 130 €. Le prix moyen d’un livre en 2009 était de 53 €. Ces coûts relativement compétitifs peuvent s’expliquer par le fait que les bibliothèques qui financent les ateliers de numérisation ne répercutent pas aux usagers l’intégralité des coûts, notamment en personnel. Si la bibliothèque en a fait le choix, les livres électroniques sont envoyés vers Amazon BookSurge accompagnés de métadonnées et d’ISBN afin de pouvoir être commandés sur Amazon sous la forme de Print on Demand (POD).
L’impression à la demande obéit à une philosophie voisine de la numérisation à la demande dans la mesure où elle replace le public au centre de la politique des bibliothèques et où elle favorise une collaboration entre intérêts publics et privés. En effet, ces dernières années, les éditeurs comme les imprimeurs ont constaté une tendance à la baisse du nombre de tirages. Dans le même temps, et en particulier depuis 2002, est apparu un nouveau modèle économique : le Print on Demand. Ce modèle économique consiste à imprimer en flux tendu en fonction de la demande et quasiment en temps réel. Il permet de ne plus avoir à déterminer à l’avance le nombre d’exemplaires qui devraient être vendus, de limiter ainsi les risques de surproduction, de ne plus connaître d’invendus, et surtout de ne plus avoir à gérer des stocks coûteux en personnel, en conservation et en loyers, mais aussi les coûts liés aux transports et à la logistique de la chaîne du livre. Comme le signale très justement S. Klopp en 2014, « pour le secteur de l’édition dont le modèle économique traditionnel est basé sur un modèle “juste au cas où” (constitution de stocks selon l’anticipation de la quantité de ventes attendues), le passage au “juste à temps” par le biais de l’impression à la demande constitue un bouleversement en profondeur ».
Le coût de production d’un exemplaire avec le Print on Demand demeure supérieure à l’impression traditionnelle offset, mais il ne faudrait, d’après W. C. Dougherty (2009), que deux jours pour obtenir 30 000 exemplaires quand il faudrait deux semaines selon un mode de production plus traditionnel. Le Print on Demand permettrait aussi de mieux satisfaire les besoins de populations parlant des langues variées, dans le cadre de sociétés de plus en plus multiculturelles. D’après W. C. Dougherty, la production de livres selon le mode traditionnel a connu une croissance de seulement 1 % en 2007, soit 276 649 nouveaux titres. Pour sa part, la production de livres sous la forme de Print on Demand est passée de 21 936 titres en 2006 à 134 773 en 2007. Entre 2002 et 2007, selon ce même auteur, la croissance des titres selon le mode traditionnel n’a été que de 29 % tandis qu’elle a été de 313 % pour le Print on Demand. Et, pour la première fois, aux USA, davantage de livres imprimés ont ainsi été produits avec ce modèle.
Ce modèle économique devait nécessairement rencontrer les préoccupations des bibliothèques en matière de numérisation. Les œuvres libres de droit ou orphelines de tout ayant droit, notamment indisponibles 2
En droit français, un livre indisponible est un livre publié en France avant le 1er janvier 2001 qui ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne fait pas l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique (Wikipédia).
Présentation de l’expérimentation
La société YABé, fondée par Filippo Gropallo et Denis Maingreaud et soutenue par le Labo de l’édition, a lancé en 2013 une expérimentation de huit mois qui visait à numériser et rééditer à la demande des documents libres de droits conservés dans huit bibliothèques parisiennes 3
La bibliothèque des Arts décoratifs, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, la bibliothèque de l’Hôtel de Ville de Paris, la bibliothèque Forney, la bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, la bibliothèque Marguerite-Durand, les bibliothèques de l’Institut national de la recherche agronomique et la bibliothèque Sainte-Geneviève.
L’expérimentation a commencé le 7 octobre 2013 avec le lancement du site web numalire.com, qui permet à un internaute de se procurer un exemplaire (numérique ou papier) d’un document indisponible sur le marché traditionnel et libre de droits. En recherchant sur internet un document, l’internaute aboutit sur le site numalire.com où sont agrégées des parties des catalogues des huit bibliothèques participantes au projet – au total, 500 000 notices de documents. Les internautes peuvent aussi accéder aux documents qui les intéressent à partir des catalogues ou sites web des bibliothèques ou encore via le moteur de recherche interne de Numalire. Une fois le document repéré, l’internaute s’authentifie et fait une demande de devis. YABé retransmet la demande de devis à la bibliothèque concernée qui l’examine en analysant les points suivants : état matériel du document, complétude du document, possibilité juridique de le numériser au regard des droits d’auteur, inexistence d’un exemplaire déjà numérisé en ligne… En fonction de ces éléments, la bibliothèque valide ou non la demande de l’internaute dans les 48 heures et apporte une description matérielle du document : nombre précis de feuillets, format et angle d’ouvertures. YABé transmet, le cas échéant, un devis à l’internaute. Une souscription s’ouvre ensuite sur le site de Numalire. L’internaute propose alors, en s’appuyant sur ses réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.), de partager le coût de la numérisation. Une fois le financement obtenu, YABé engage le processus technique de numérisation en s’appuyant sur un prestataire spécialisé répondant au cahier des charges fourni par chacune des bibliothèques. Au terme du processus, un fichier est remis à chaque souscripteur ainsi qu’à la bibliothèque qui peut alors le diffuser sur ses supports de diffusion et l’archiver de manière pérenne. L’internaute peut aussi demander un fac-similé papier du document numérisé s’il le souhaite sous la forme de Print on Demand.
Avec cette expérimentation, Numalire a permis aux bibliothèques participantes de répondre de manière innovante à une demande réelle du public qu’elles ne pouvaient satisfaire faute de moyens financiers suffisants et de canaux de reproduction. Ce service gratuit pour les bibliothèques est doublement avantageux pour elles : il leur permet de compléter leurs bibliothèques numériques en faisant l’acquisition des fichiers financés par les internautes ; par le biais du commissionnement, chaque bibliothèque bénéficie d’un bon de 15 % du volume des pages numérisées à utiliser sur des opérations de numérisation ultérieures. Numalire permet également aux bibliothèques de découvrir des documents uniques dans leurs collections dont elles ne soupçonnaient pas l’existence. Enfin, c’est un moyen pour les bibliothèques de cerner la demande réelle du public et de pouvoir, à terme, réorienter leurs axes de numérisation.
Résultats
Durant les huit mois de l’expérimentation, le site numalire.com a généré un trafic de 70 000 utilisateurs et de 115 000 pages vues. Parmi ces visiteurs, 55 899 provenaient de France. Au total, un tiers des visiteurs venaient de Paris, un tiers des autres régions de France et un tiers de pays étrangers. Parmi ces pays, on trouve notamment la Belgique, le Canada, la Suisse, l’Italie, les USA, l’Algérie, l’Allemagne, le Maroc, l’Espagne… 91 % des visiteurs sont arrivés sur le site via un moteur de recherche, seulement 5 % via un lien direct, 3 % via les sites et les catalogues des bibliothèques et 1 % via des réseaux sociaux. Le trafic web a connu un pic de consultation en novembre 2013, puis une chute significative à partir de la mi-décembre, suite à un moins bon référencement par les moteurs de recherche, mais cette diminution n’a pas eu d’impact trop important sur le nombre de commandes. À compter du mois de janvier 2014, le taux de transformation (nombre de visites / nombre de numérisations) s’est d’ailleurs fortement amélioré.
En complément, Numalire a également mené une enquête de satisfaction auprès de ses utilisateurs en juin 2014. Cette enquête a été envoyée à 380 personnes avec un taux de réponse de 31 % (soit 118 réponses). Il s’avère que 70,59 % des répondants étaient des hommes, généralement de catégories socioprofessionnelles supérieures (enseignants-chercheurs, étudiants, cadres supérieurs, juge, universitaire, professeur, verrier). 51,43 % des répondants ont demandé un devis dans le cadre de leur travail. 72 % des internautes ont connu le site via un moteur de recherche et seulement 9,09 % via le site de leur bibliothèque.
Ce bilan très positif au regard de l’intérêt à la fois du public et des internautes – 97 % des personnes interrogées estimant que le service est utile ou très utile – est à modérer en raison du faible taux de devis ayant débouché sur une numérisation. En effet, sur 414 demandes de devis, seuls 36 devis ont abouti au financement d’une numérisation, soit 11 % des devis traités. Bien que 25 % des demandes aient été déclarées non numérisables par les bibliothèques (documents déjà numérisés, sous droits, trop fragiles, incomplets ou manquants), ce nombre de demandes de devis aboutissant à une commande de numérisation reste trop faible au regard du temps de travail investi par les agents des bibliothèques. À raison en moyenne d’une demi-heure de traitement par demande de devis, 207 heures de travail collectives réparties sur l’ensemble des bibliothèques ont été investies dans cette expérimentation depuis le mois d’octobre 2013. Ce temps de travail, parfois considéré comme relativement ingrat, aurait toutefois été fourni dans le cadre de préparation de programmes de numérisation.
Les demandes de devis ayant donné lieu à transformation en commande réelle ont concerné principalement des documents ayant un petit nombre de pages et ont été prises en charge par un seul souscripteur, ce qui semble indiquer que le coût unitaire de la numérisation est trop élevé et que la logique participative qui devait permettre la réduction de ce coût par souscripteur fonctionne encore assez mal. Ces financements collectifs ne représentent, en effet, que 14 % du total. Il apparaît donc nécessaire de mieux communiquer sur cette logique participative pour espérer sa mise en œuvre ou y renoncer, et ainsi réduire nettement le coût unitaire de numérisation. Cet inconvénient est confirmé par les chiffres de l’enquête menée par YABé puisque 48 % des répondants estiment que le coût de la numérisation est trop élevé. Parmi ces personnes, 66,67 % jugent que le coût de la numérisation est trop élevé pour une personne seule ou doutent de l’issue de la souscription, 16,67 % jugent qu’il est trop cher pour ce que c’est, et 16,67 % qu’il est trop cher par rapport au prix des bouquinistes où l’original papier peut être acheté. Parfois, les internautes qui sont invités à souscrire par un premier souscripteur comprennent mal le fonctionnement du service : le partage de la souscription est jugé trop compliqué pour près de 20 % des répondants. Les résultats encore insuffisants du nombre de partages de souscriptions s’expliquent par le caractère innovant de ce type de service. Les internautes doivent encore s’approprier le mode de fonctionnement de Numalire avant de tester des fonctionnalités 4
plus avancées de partage de souscriptions par des communautés d’intérêts qui n’ont pas encore été suffisamment touchées dans le cadre de l’expérimentation.Afin de compléter le bilan de son expérimentation, YABé a souhaité recueillir l’avis des bibliothèques participant au projet. Au lancement du projet, les réticences ont été assez nombreuses. « Il reste peu à numériser », « Il n’y aura pas de demandes », « Ce projet n’est pas prioritaire », « N’y a-t-il pas un risque à ce que le privé se substitue aux bibliothécaires et aux financements publics ? » : voici quelques-unes des phrases qui sont souvent revenues lors des entretiens téléphoniques de juin 2014. Mais, face au manque de budget et d’atelier de numérisation, sous l’impulsion parfois de leur hiérarchie, les bibliothèques sollicitées par YABé ont fini par se dire qu’elles n’avaient « rien à perdre », et par se lancer dans l’expérimentation. Au cours de celle-ci, les avis ont évolué et maintenant, certains bibliothécaires proposent ce service à leurs lecteurs !
Tout en pointant les échecs et limites rencontrés (peu de financements collectifs, prix trop élevés, délais assez longs pour obtenir les fichiers, concurrence d’autres projets de numérisation à la demande…), la plupart des bibliothèques souhaitent continuer à participer à ce projet, surtout si des perspectives d’évolution sont envisagées.
Conclusion et perspectives
Dans un contexte où l’identification de documents méritant encore d’être numérisés devient plus difficile après les campagnes de numérisation de masse lancées par de grandes institutions et de grandes multinationales, et alors que de nombreuses bibliothèques ont été contraintes, faute de moyens, ou ont fait le choix d’externaliser la numérisation de leur patrimoine à des prestataires, la mise en place d’un service de numérisation à la demande sous la forme de crowdfunding, c’est-à-dire via l’externalisation du financement auprès des internautes, est particulièrement opportune. L’ambition de Numalire est de doter chaque bibliothèque patrimoniale d’un outil structuré lui permettant de répondre favorablement à toute demande de reproduction d’un document libre de droits en le numérisant dans le respect du domaine public, c’est-à-dire, sous licence Public Domain Mark 5
afin d’en permettre la réutilisation la plus large et ouverte possible. La mise en place de cette collaboration entre bibliothèques, société privée et internautes, résulte d’une conduite du changement au sein des bibliothèques dont le personnel a progressivement été convaincu de sa faisabilité, de l’intérêt d’ouvrir leurs politiques de numérisation au public, et de collaborer avec des partenaires d’autres milieux socioprofessionnels.Afin de rendre la participation des bibliothèques au projet Numalire plus rentable au regard du temps investi par les agents, il apparaît toutefois important de trouver des solutions pour augmenter le ratio nombre de demandes de devis / nombre de commandes de numérisation. Pour augmenter ce ratio, Numalire pourrait, par exemple, proposer un calcul automatisé du prix en se basant sur les informations bibliographiques contenues dans les notices des catalogues des bibliothèques – lorsque leur qualité le permet. Sur la base de statistiques tirées de l’expérimentation, la différence moyenne qui existe entre le dernier numéro folioté indiqué sur les notices bibliographiques conformément aux normes de catalogage et le nombre réel de feuillets pourrait être estimée, de la même manière que pourraient être lissés sur l’ensemble des commandes les surcoûts liés aux ouvertures restreintes d’ouvrages. Ainsi, l’internaute saurait immédiatement quel est le prix de la numérisation et pourrait donc commander sans attendre un devis. Cette dernière étape ne consisterait plus, pour les bibliothèques qu’à donner leur accord, à vérifier la présence du livre en magasin et la possibilité juridique et technique de le numériser. Les coûts en temps de travail seraient donc considérablement réduits pour l’État et le ratio nombre de demandes / nombre de livres numérisés serait beaucoup plus élevé, ce qui améliorerait significativement l’intérêt du service.
Numalire pourrait changer de statut et adopter celui de fonds de dotation plus adapté à l’activité menée ce qui permettrait aussi une défiscalisation de 66 % à ses clients. Numalire pourrait travailler avec plusieurs prestataires pour bénéficier de conditions plus avantageuses. Il pourrait aussi être imaginé qu’un prestataire se déplace dans chaque bibliothèque avec son matériel portable de numérisation afin de permettre la numérisation in situ des documents non autorisés à quitter la bibliothèque. Le temps dévolu à l’opération de numérisation serait ainsi plus court, et les documents à trop forte valeur d’assurance pour pouvoir être sortis des bibliothèques pourraient ainsi être inclus dans le catalogue proposé par Numalire.
Afin de toucher un public plus grand, Numalire pourrait accroître son offre en s’ouvrant à d’autres types de supports (articles de périodiques dont la demande pourrait être forte et le prix de numérisation plus limité, manuscrits, estampes, sons, vidéos…), ainsi qu’à d’autres bibliothèques à l’échelle nationale et internationale dont les métadonnées, exposées et réutilisables de plus en plus librement, pourraient être moissonnées. Pour augmenter sa visibilité, Numalire pourrait être présent sur les catalogues en ligne des bibliothèques ou le catalogue national SUDOC à l’instar d’eBooks on Demand.
Enfin, d’autres stratégies pourraient être développées par Numalire : solliciter des fondations et des mécènes ; mobiliser des communautés d’amateurs et d’érudits par une politique volontariste de community management ; associer les libraires qui, étant à la recherche de nouveaux marchés, pourraient se démarquer des enseignes web en suscitant des rééditions patrimoniales, en diffusant des souscriptions auprès de leurs clients et en mobilisant des communautés de lecteurs, renouant ainsi avec la tradition du libraire-éditeur autour de la réinvention de la souscription.
En mettant en œuvre ces différentes stratégies, Numalire s’introduirait durablement dans l’éco-système du livre.
Bibliographie
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- AYRES Marie-Louise (2013). “Singing for their supper”: Trove, Australian newspapers, and the crowd. Document présenté à : IFLA World Library and Information Congress, 17-23 août 2013, Singapour. Traduit par Mathieu Andro (2013) : « Faire appel à la charité » : Trove, les journaux australiens et la foule des internautes.
- CHAMBERLAIN Edmund (2010). Digitisation-on-Demand in Academic Research Libraries.
- DELCOURT Thierry et LE MORE Henri (2001). « Un nouveau service pour les lecteurs. : la reproduction de livres à la demande à la bibliothèque de Troyes », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 5, p. 94-102. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2001-05-0094-001
- DOUGHERTY William C. (2009). « Print on Demand : What Librarians should know », The Journal of Academic Librarianship, 35 (2), p. 184-186.
- GSTREIN Silvia et MÜHLBERGER Günter (2011). Producing eBooks on Demand – A European Library Network.
- KLOPP Sophie (2014). Numérisation et impression à la demande en bibliothèque : un panorama. Mémoire d’étude DCB, Enssib. En ligne : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/64445-numerisation-et-impression-a-la-demande-en-bibliotheque-un-panorama.pdf
- MÜHLBERGER Günter et GSTREIN Silvia (2009). « eBooks on Demand (EOD) : a European digitization service ». IFLA Journal, 35 (1), p. 35-43.