At a Tipping Point : Education, Learning and Libraries
Rapport OCLC, juin 2014
Un nouveau rapport réalisé par l’OCLC (Online Computer Library Center) en juin dernier 1
présente l’impact de la diffusion du « e-learning » (ou formation en ligne) et des Moocs 2Mooc, en anglais : massive open online course. Une traduction française a été proposée : formation en ligne ouverte à tous (FLOT).
La présentation de la progression de l’usage de ces supports d’apprentissage en ligne dans le contexte américain est édifiante. C’est en mesurant l’importance de ces changements, voire de cette révolution, que les chercheurs lancent un appel aux bibliothèques afin qu’elles réfléchissent à leur positionnement stratégique, principalement en termes d’offre et d’image.
Nous présentons ici principalement les analyses très éclairantes qui sont faites sur l’impact de cette révolution pour les bibliothèques, laissant volontairement de côté les nombreuses données sur la pénétration du e-learning dans la vie de l’internaute américain qu’on pourra consulter en ligne.
Dans un premier temps, les auteurs du rapport rappellent l’évolution de la pénétration de l’Internet, des connexions haut débit, des appareils nomades et des réseaux sociaux auprès de leurs concitoyens. Devant profiter de cette dynamique, la diffusion du e-learning et des Moocs était également annoncée comme « massive ». L’étude menée par l’OCLC montre que 48 % des Américains connectés âgés de 16 ans et plus ont déjà bénéficié du e-learning sous des formes diverses et pour des apprentissages variés. Le cas particulier des Moocs est un peu en retrait puisque 22 % (seulement ?) de la population décrite ont déjà suivi un cours en ligne en vue de l’obtention d’un crédit universitaire et que le taux de complétion d’un cours serait inférieur à 10 % des personnes initialement inscrites. Globalement, les bénéficiaires du e-learning sont satisfaits de leur expérience. Pour 51 % d’entre eux, c’est le caractère pratique 3
de ces enseignements qui en fait l’intérêt ; loin derrière vient la possibilité de développer ses connaissances (17 %) puis d’apprendre à son propre rythme (16 %). Les résultats de l’étude évoquent un avenir radieux pour le e-learning qui devrait s’implanter durablement dans les pratiques des internautes de demain.À la suite de ces considérations encore difficilement transposables au contexte français, le rapport se penche sur la perception qu’ont les usagers des bibliothèques et sur la construction de l’image ou de la « marque » bibliothèque. Sujet que les équipes de l’OCLC étudient depuis longtemps dans des rapports toujours passionnants, citons principalement :
- Cathy DE ROSA, Joanne CANTREL et Matthew CARLSON. Perceptions of Libraries : Context and Community. OCLC, 2010.
- Cathy DE ROSA, Joanne CANTREL et Diane CELLENTANI. Perceptions of Libraries and Information Resources. OCLC, 2005.
Dans le chapitre 3 du rapport intitulé « Libraries : The Brand », les auteurs s’interrogent sur le paysage concurrentiel des bibliothèques bouleversées par l’arrivée – massive, on l’a dit – du e-learning dans les pratiques quotidiennes des internautes. Premier constat, l’image des bibliothèques reste profondément associée aux livres. En 2005, 69 % des internautes américains déclaraient que la première image à laquelle ils associaient les bibliothèques était « les livres » 4
Dans une étude récente (mars 2013) publiée par Bill and Melinda Gates Foundation, La perception des avantages offerts par les TIC dans les bibliothèques publiques en France : le point de vue des usagers, « lire/emprunter des livres » est considéré comme le service le plus important par 96 % des répondants français âgés de 15 ans et plus (94 % des répondants de l’UE).
Parallèlement à cette cristallisation, qu’on pourrait aussi décrire comme une crispation, les auteurs du rapport ont mesuré un changement de l’attachement sentimental des usagers aux bibliothèques, notamment chez les plus âgés, et d’un certain dédain, notamment chez les plus jeunes. Ainsi, alors qu’en 2005 l’idée d’une bibliothèque d’abord associée aux livres est prégnante, les jeunes évoquent aussi dans leur discours la poussière, l’ennui, le silence. Il semblerait que les jeunes interrogés lors de l’étude de 2014 citent toujours les livres comme première image, mais associée cette fois aux espaces, à un lieu où il fait bon lire et travailler. Parallèlement, les plus âgés qui exprimaient un fort attachement nostalgique aux livres en 2005, délaissent la mélancolie pour évoquer – eux aussi – la bibliothèque comme lieu. Ce rapprochement des perceptions des plus jeunes et des plus âgés est bien illustré par la figure 1.
Figure 1. Perception de la bibliothèque chez les jeunes (16-24 ans) et les seniors (+ de 60 ans)
Chez les étudiants, s’associe à cette idée de bibliothèque comme lieu, celle d’un endroit où on peut faire ses devoirs : « A place where you can get books, or do work on the computers. » « A quiet place to study up for major exams. » « A place where you can go to check out books, do research, study and read. »
Forts de ces constats, les auteurs insistent sur le hiatus qui risque de s’installer entre des internautes s’essayant de plus en plus à l’apprentissage en ligne et des bibliothèques perçues comme des réservoirs à livres… La marque « bibliothèque » perd ainsi de plus en plus de sa pertinence dans un environnement concurrentiel en plein bouleversement. Finalement, être associées aux livres est-il encore un concept porteur pour les bibliothèques ? Ne faut-il pas – à tout prix – changer d’image avant que la marque « bibliothèque » ne soit déclarée complètement obsolète, notamment pour les armées d’e-apprenants que l’étude nous promet ?
Le chapitre suivant est consacré à la perception des bibliothèques dans le contexte de la vie universitaire et de l’offre de services présente sur les campus américains. Une carte heuristique est proposée à la suite d’une enquête menée auprès de parents d’étudiants et d’anciens étudiants. Dans cette carte mentale qui cartographie l’ensemble de l’offre présente sur les campus (voir page 62 du rapport), nous nous focalisons ici sur la place des bibliothèques. De façon significative par rapport au reste des services offerts, ces dernières sont l’endroit qui facilite le plus la réalisation des travaux universitaires, celui qui fournit l’accès à des outils et des équipements permettant de réaliser ces travaux universitaires et, enfin, la bibliothèque universitaire fournit une information actuelle et pertinente ainsi que l’accès à de la documentation historique.
Figure 2. Perception des bibliothèques dans le contexte de la vie universitaire et de l’offre de services présente sur les campus américains
Cette analyse propre au contexte des campus américains est intéressante et mériterait d’être menée dans le contexte hexagonal.
Suivant l’objet de leurs travaux, les auteurs du rapport se sont demandé quelle était la place des BU pour les e-apprenants : 14 % des étudiants sont allés en bibliothèque pour accéder à des ressources de e-learning, 28 % y ont accédé via le site de la bibliothèque et 12 % se sont adressés à un professionnel pour y parvenir ; enfin, 7 % ont fait appel à un service de référence en ligne proposé par la bibliothèque. En conclusion de ce chapitre, on apprend que les e-apprenants aimeraient que les bibliothèques soient le lieu où ils puissent trouver de l’information sûre et des accès aux enseignements en ligne.
En conclusion, il est rappelé que les e-apprenants reconnaissent aux bibliothèques la capacité qu’elles auraient à les accompagner dans l’identification et l’accomplissement de leurs objectifs pédagogiques. Or les perceptions que les usagers ont de la bibliothèque font l’impasse sur cette offre de service qui est bien souvent oubliée. Pourquoi les e-apprenants ne font-ils que très rarement appel aux services de la bibliothèque pour accéder aux cours en ligne ? Simplement parce qu’ils n’y pensent pas : « It didn’t cross my mind. »
« La pertinence d’une offre tient à la perception que les usagers en ont, pas au produit lui-même », répètent à l’envi les auteurs en conclusion en incitant les bibliothèques à tout faire pour changer leur image. Elles n’ont pas un problème de produit, elles ont un problème d’environnement ! Pour les auteurs, les bibliothèques bénéficient d’une situation stratégique idéale qui leur permettrait de se positionner dans l’écosystème en construction de l’apprentissage en ligne. Il faut en saisir dès aujourd’hui l’occasion en communiquant sur l’offre et l’expertise des bibliothèques en matière d’accès et de facilitation vers les ressources pédagogiques en ligne car la demande est forte et ne fera que croître dans les années à venir.
Figure 3. Le repositionnement de l'offre de la bibliothèque pour passer de la notion de « lieu » à celle de « travail effectué » crée un nouveau point de pertinence pour les apprenants en ligne
Ce rapport est précieux à plus d’un titre. Même s’il présente un contexte relativement éloigné du contexte français et de l’appétence actuelle des internautes et des étudiants à avoir recours aux Moocs et autres sites d’apprentissage en ligne, il présente des tendances que l’on perçoit déjà dans l’Hexagone, dont il est important dès à présent de se saisir. Le rapport de 112 pages, richement illustré de graphiques et d’infographies séduisantes, enchaîne état des lieux, constats, résultats d’études et vision prospective de l’avenir en concluant sur des solutions concrètes à mettre en œuvre pour replacer les bibliothèques au cœur de la mêlée dans un environnement concurrentiel en plein bouleversement.