Numérisation, pour une nouvelle approche de la qualité

Luc Bellier

Le premier marché de numérisation de masse mis en œuvre par la Bibliothèque nationale de France (BnF) s’est achevé au début de l’année 2011. Il a permis de traiter 410 000 documents, 37 millions de pages numérisées et océrisées, dont 15 millions de pages en haute qualité, et de saisir 650 000 pages de tables et index avec leurs liens.

Il a impliqué autour de 600 personnes à la BnF et en sous-traitance. Le personnel de la BnF, pour sélectionner 130 000 volumes et 30 000 microformes, a manipulé, vérifié, analysé 1 million de volumes et de bobines.

Ces opérations de production se sont étalées entre juillet 2008 et septembre 2010 avec un rythme hebdomadaire de va-et-vient des documents entre la BnF et le prestataire :

  • chaque semaine, environ 2 000 volumes partaient des magasins, 2 000 autres étaient réceptionnés en retour avec leurs images sur disques durs, soit environ 450 000 pages ;
  • chaque semaine, environ 3 000 documents numériques étaient mis en ligne deux semaines après leur réception.

Le traitement de ces volumes et de ces flux a été, pour la BnF, un défi méthodologique et organisationnel majeur, mais aussi un défi technique et documentaire. Il s’agissait de lier deux chaînes distinctes, l’une logistique et l’autre dématérialisée, des objets et des fichiers, avec le minimum d’intervention humaine, tout en gardant comme priorité une exigence de qualité sur chaque document numérique. C’est cette démarche de gestion de projet, tâchant de faire coexister des objectifs quantitatif et qualitatif ambitieux, qu’il s’agit ici de présenter.

La fluidité comme principe

Le contrôle unitaire de la production est la méthode naturelle et spontanée quand il s’agit de vérifier la qualité d’un travail. Pour contrôler chaque document reçu, étant donné les volumes concernés, il aurait fallu mettre en place une équipe importante. La qualité ne pouvait donc s’envisager par un contrôle unitaire, document par document. Jusque-là, la BnF pratiquait un contrôle basé sur la norme ISO 28590. Celle-ci mesure la qualité par échantillonnage sur des lots considérés comme homogènes et comparables. Chaque document d’un lot faisait l’objet d’un contrôle sur un échantillon de pages. Si l’échantillon dépasse dans un lot le seuil d’erreurs tolérées, l’ensemble du lot est rejeté.

Comme on le constate, le contrôle se positionne en fin de cycle de production. À cette étape, plusieurs autres lots sont déjà en fin de réalisation chez le prestataire, alors que commencent les premiers contrôles. Les erreurs n’étant pas connues du prestataire, le nombre de documents à revoir concernerait plusieurs lots, ceux produits et contrôlés et ceux en cours de production pendant les contrôles.

Le contrôle par échantillon utilisé jusque-là par la BnF pour des marchés de moindre volume, ne peut plus être utilisé dans ce cadre. Par son positionnement en fin de cycle, par le temps trop long nécessaire au contrôle, par l’effet démultiplicateur des rejets par lot, cette organisation paralyserait le travail du prestataire comme celui de la BnF. Les documents à retraiter atteindraient des niveaux tels qu’ils auraient engorgé la production.

Une autre approche était nécessaire parce que la nature même du projet était en contradiction avec les principes de cette norme : la norme ISO 28590 précise que « ces procédures sont principalement destinées au contrôle de séries continues de lots » 1

. Dans l’organisation prévue, les lots contiennent toutes sortes de documents, donc de contraintes et de risques non reproductibles. Les lots recouvrent des supports et des documents divers et variés (microfilms de périodiques juridiques du XIXe siècle, libelles de deux pages des XVIIe et XVIIIe siècles, thèses de médecine ou armoriaux etc.).

Les fonds n’étant pas sélectionnés au préalable pour l’ensemble du marché, des lots homogènes ne sont pas réalisables. Les lots de livraisons sont des lots artificiels mélangeant toutes sortes de documents, donc de contraintes et de risques d’erreurs non reproductibles sur d’autres documents du même lot. Dans ces conditions, la norme ISO 2859 n’est plus pertinente.

Différents éléments ont guidé les choix sur une démarche qualité autour du principe de fluidité :

  • les objectifs quantitatifs du marché ;
  • une alimentation en continu ;
  • le lissage de l’activité durant plus de deux ans, impliquant une continuité de la production pendant 52 semaines par an.

La fluidité s’imposait donc à différents niveaux de l’organisation de la production :

  • fluidité de la sélection documentaire, à la préparation des caisses à envoyer, jusqu’aux livraisons des documents numériques ;
  • fluidité de la mise en ligne sur Gallica ;
  • fluidité des rejets et de leurs corrections.

Pour garantir la qualité de l’ensemble et prévenir les rejets massifs à cause d’anomalies traitées tardivement, il fallait absolument éviter que des stocks de documents en cours de production chez le prestataire ne s’accumulent, dans différentes étapes, sans possibilité d’identifier les erreurs.

La maîtrise de la qualité est la garantie pour assurer la fluidité d’une numérisation de masse. Elle nécessite un parfait partage entre les équipes du prestataire et celles de la BnF afin que chaque acteur puisse identifier, à son poste, les risques que soulèvent un document ou un ensemble documentaire pour les étapes suivantes. Ce partage permet d’identifier les risques en amont, de partager les contraintes, et donc de lever les difficultés ou de les contourner.

Pour garantir la fluidité, plusieurs outils étaient à disposition et stipulés dans le marché :

  • un planning des enlèvements exprimés en page, définissant de façon mécanique le nombre de pages livrées à l’issue du cycle de production. Il était détaillé par filière (microfilms, microfiches, par départements BnF et filière des bibliothèques partenaires) ;
  • un planning de production, fixant les objectifs de livraisons du prestataire, semaine après semaine, prenant en compte un délai de production après l’envoi des documents physiques. Ce délai a été évalué à six semaines par le prestataire dans un document contractuel.

Pour surveiller l’avancement de ce cycle, le prestataire envoyait contractuellement à la BnF, chaque semaine, les indicateurs suivants :

  • le nombre de documents en entrée et en sortie de chaque atelier ;
  • le nombre de pages entrées et sorties de chaque atelier.

Ces indicateurs permettaient de voir les engorgements et, dans la phase de lancement du projet, de réguler les départs de documents pour que l’accumulation soit rapidement régulée.

Ces indicateurs permettaient aussi d’identifier rapidement les étapes problématiques et d’analyser les causes de ces engorgements.

Contrairement aux hypothèses élaborées aux débuts du marché avec le prestataire, ce ne fut pas l’étape de numérisation qui posa des difficultés de cet ordre. Ce fut principalement la maîtrise des flux dans les étapes de transformation en mode texte.

Cette supervision contractuelle a permis d’étudier régulièrement, et si besoin de façon approfondie avec le prestataire, la qualité des procédés de production pour garantir au mieux la qualité unitaire des documents numérisés, avec comme premier facteur d’alertes les problèmes de fluidité dans la production et les contrôles.

La qualité produit comme objectif

Si le contrôle unitaire et l’application de la norme ISO 28590 ne sont pas adaptés, en revanche la préoccupation de la qualité de la production demeure prioritaire. L’exemple qui suit décrit la méthode employée pour maîtriser la qualité.

Le marché, entre autres prestations, demandait la livraison d’un fichier XML reprenant les tables et index des ouvrages afin de proposer sur Gallica une navigation par les entrées de la table et des index, et aussi une indexation des mots saisis par le moteur de recherche. L’enjeu est bien expliqué par Alban Cerisier dans les annexes du rapport Tessier 2

. La qualité de ces fichiers XML est donc essentielle au référencement dans Gallica et à la navigation dans le document.

Pour un ouvrage en un seul volume la résolution des liens, c'est-à-dire, la transformation en un lien hypertexte des numéros de pages saisis dans la table se fait en reliant les images de chaque page à la numérotation de la page.

Quand la table des matières porte sur un périodique et donc sur plusieurs fascicules ou années de publication, la résolution des liens de la table ne peut se faire aussi facilement. Pour limiter le travail humain, l’outil informatique de résolution des liens de base réalise d’abord les liens automatiques puis, pour les liens manquants, la liaison est effectuée manuellement après recherche du bon document de la série. Cette organisation a donné des résultats efficaces et satisfaisants.

Durant l’été 2010, lors d’un contrôle habituel (40 documents chaque semaine), la BnF a constaté que les liens hors volume étaient non résolus donc inactifs. Comme l’organisation du projet le prévoyait, l’anomalie a été signalée immédiatement au prestataire et les documents contrôlés en erreur par la BnF furent rejetés. L’analyse du problème a montré que, suite à une mise à jour du logiciel, un bug s’était produit et le système sautait l’étape de résolution manuelle des liens non résolus. Il a été alors facile d’identifier les seuls documents touchés par le bug, soit quelques dizaines, sur l’ensemble des documents en cours chez le prestataire ayant une table des matières, soit quelques dizaines au lieu des milliers de documents. Ayant travaillé aussitôt sur la correction du processus, tous les documents produits étaient de bonne qualité, après seulement trois semaines écoulées entre le signalement de l’erreur et sa correction.

Cet exemple illustre la logique de travail mise en place : une connaissance partagée des processus permettant d’identifier rapidement une erreur et son origine dans la chaîne. Combinée à une fluidité des livraisons, cette méthode limite les rejets et favorise le maintien de la qualité et la maîtrise des niveaux de risque.

La limitation des rejets participe de la fluidité et créé ainsi un cercle vertueux. Plus la production est fluide, plus les anomalies sont identifiées rapidement, limitant ainsi le nombre de documents concernés. Plus le prestataire et la bibliothèque partagent leur organisation et leurs contraintes et plus il est facile d’analyser les anomalies et de corriger rapidement les étapes de travail concernées.

L’expérience acquise précédemment par la pratique du contrôle par échantillon (norme ISO 2859) nous a permis de relever un autre écueil dans la gestion de la qualité du document : un échantillon de contrôle n’est pas constitué d’un document parmi d’autres mais d’une sélection aléatoire d’images parmi tous les documents. Le contrôle par échantillon ne permet pas de rejeter les erreurs si elles ne sont pas présentes dans l’échantillon et pourtant observées par les contrôleurs. Pour respecter la norme, ces erreurs ne peuvent pas être signalées au prestataire.

Cette méthode fait reposer la responsabilité du contrôle qualité entièrement sur les équipes client, qui doivent effectuer des contrôles systématiques dans une posture de sanction, et le prestataire assurant seulement les corrections mentionnées par celles-ci. Le prestataire n’est, de fait, plus responsable de la qualité de son travail.

La capitalisation de toute cette expertise nous a permis de construire une nouvelle méthode :

  • Pour appréhender la qualité du document, il faut que l’échantillon de contrôle contienne tous les éléments qui composent un document (toutes les images, métadonnées, éléments de la table des matières) : en travaillant sur un nombre restreint de documents il nous était possible d’examiner de façon détaillée et exhaustive le résultat et ainsi de voir si le prestataire remplissait sa mission.
  • La qualité de la production est de la responsabilité du prestataire, qui assure ses contrôles de production et fournit chaque semaine ses rapports : nous étions donc informés des taux de rejets, des causes de rejets, et de leurs proportions. Cela permettait de partager les analyses pour améliorer les résultats et aussi de régler les incompréhensions entre les différents agents de la BnF et les employés du prestataire.
  • Un échantillon doit permettre de vérifier si le produit fini correspond aux attentes client : la BnF constituait un échantillon de quelques documents choisis pour balayer les différentes typologies et contraintes dont l’analyse limitait les risques et alimentait le dialogue avec le prestataire.
  • Le contrôle de l’échantillon client doit être réalisé au plus tôt pour pouvoir remonter au plus vite les anomalies constatées et corriger immédiatement les problèmes de la chaîne de production : la BnF s’est appuyée sur l’expertise capitalisée par l’équipe contrôle pour répondre à cet objectif contraignant.
  • En amont de ce contrôle par échantillon, un contrôle technique exhaustif doit garantir un niveau standard de qualité (défini au Plan qualité) : la BnF a mis en place une chaîne informatisée assurant les contrôles d’entrée sur chaque document. Ces traitements d’entrée garantissaient que les documents valides étaient propres et conformes à la consultation sur Gallica, et à un accès via le catalogue.

Nous avons eu une approche quantitative et qualitative au sens des études statistiques :

  • avec les contrôles du prestataire qui assuraient une observation sur un échantillon important et pertinent du point de vue statistique ;
  • avec la vérification faite par les équipes de la BnF sur un panel plus resserré et pertinent du point de vue documentaire ;
  • avec la vérification technique exhaustive.

La complémentarité de ces approches a permis de piéger très tôt toutes les anomalies et dérives qualité avant qu’elles ne prennent des proportions importantes et ne risquent de paralyser le système.

Cette méthode a permis d’identifier des anomalies imprévisibles, comme la présence de légers traits noirs verticaux de quelques pixels de haut sur certains documents. Après analyse de notre échantillon, il s’est avéré que ces documents étaient tous passés par le même scanner (l’information du scanner est dans les tags du fichier image) consacré aux petits formats à ouverture réduite. Avec ces informations, le prestataire a pu cibler rapidement la cause. Il s’agissait d’une pièce usée sur cet appareil. Le problème n’a duré en production que quatre semaines et sur un nombre limité de documents.

Nous avons aussi pu constater que certaines pages illustrées, numérisées sur un scanner couleur particulier, pouvaient de temps à autre être oubliées. L’opérateur traitait ces pages couleur une à une et pouvait parfois en sauter. Si ces planches n’étaient pas paginées, l’erreur était indétectable. Ce risque a rapidement été identifié, et les contrôles de certains départements de collections se sont particulièrement attardés sur ces documents disposant de planches couleur. La stratégie des contrôles assurés par la BnF ciblait notamment les documents dont les spécificités étaient mal maîtrisées par le processus de production.

On voit à travers ces exemples l’importance de la connaissance partagée des étapes et des contraintes pour identifier les risques et les analyser. Cette connaissance s’appuie sur la documentation systématique et détaillée des processus de travail. Ce principe s’inscrit dans un cadre plus large, celui du management de la qualité.

Le management qualité comme moyen

Recherchant la fluidité sur l’ensemble de la chaîne et la qualité du document produit, les outils et normes définis par le management de la qualité ont été retenus pour la mise en œuvre de ce projet. Si les normes ISO 9000, 9001 et 9004 ont été utilisées dans l’organisation du projet, la certification n’a jamais été une finalité. À cela nous avons privilégié l’efficience et pris ces normes comme un ensemble d’outils à utiliser selon nos besoins et pour servir nos objectifs. Évidemment, ces modalités de travail sont définies très tôt dans la chronologie du projet. Dès l’appel d’offres, il est demandé aux candidats de rendre un mémoire qualité adapté au projet.

De plus, la chronologie décrite au cahier des charges du marché était organisée en trois étapes permettant de structurer, de valider et de renforcer la démarche qualité :

  • une phase de test pendant laquelle la BnF et le prestataire définissent non seulement les modalités de travail, la qualité du document numérique, mais également toutes les règles de fonctionnement. En phase de production, cette documentation constitue le socle du plan d’assurance qualité au sens de la norme ISO 9001 : identification des indicateurs de surveillance, définition partagée des zones de risque… ;
  • une phase de galop d’essai qui permet de valider dans un contexte de production limitée, sous contrôle renforcé, les hypothèses effectuées en phase de test, et de mettre à jour le plan d’assurance qualité (PAQ) en fonction des constats pendant cette période ;
  • une phase de production à grande échelle où s’applique la qualité telle que définie dans le PAQ validé en galop d’essai. Il est possible d’adapter, d’enrichir le PAQ en fonction de nouvelles situations non prévues.

Tout au long du marché, une démarche qualité continue, fondée sur un dialogue constant entre la BnF et le prestataire est poursuivie. Une certaine transparence sur les modalités de travail de chacun est pratiquée. Il faut souligner que le premier défi dans ce type de projet est de construire et de maintenir la confiance mutuelle entre les équipes projet de la BnF et celles du prestataire. C’est une condition essentielle à la gestion d’un projet fondé sur une démarche qualité.

Les instruments de cette démarche qualité sont :

  • les instances de gouvernance du projet (comités de projet et de pilotage) ;
  • les indicateurs ;
  • les audits.

Leurs règles de fonctionnement sont définies au préalable dans le plan d’assurance qualité.

Le PAQ et la documentation

Dans ce cadre, le plan d’assurance qualité a pour objectif de définir dès le début du projet les engagements mutuels des contractants, les règles de gestion concernant les aspects de production, de pilotage et de management de la qualité. Il s’agit de définir comment la production est organisée et suivie par le prestataire, et d’aborder la manière de gérer les cas non prévus par les règles de gestion initiales.

Les règles nominales relatives aux résultats attendus pour le traitement des documents envoyés par la BnF sont rédigées étape de traitement par étape de traitement (voir tableau en fin d’article). Il s’agit de décrire non seulement le résultat attendu mais aussi les moyens mis en œuvre pour y parvenir.

Étant donné la masse de documents à numériser, la documentation du projet ne pouvait pas tout définir et tout prévoir a priori. Les règles initiales doivent permettre de régler au moins 90 % des cas de figure. Il convient aussi de définir comment régler les cas non connus. Les normes ISO 9001 et 9004 ont guidé notre démarche. Quand un cas non prévu est identifié, il faut dans des délais définis :

  • retirer le document du circuit de production ;
  • signaler le cas pour analyse et résolution ;
  • définir la nature du traitement approprié ;
  • alimenter le système documentaire pour appliquer la règle dans les cas similaires.

Ce processus enrichi la documentation et permet d’organiser l’amélioration continue des processus. Ce travail, associé à une planification de la production, sécurise une montée en charge progressive et doit permettre de rester dans des volumes d’anomalies maîtrisées tout au long du projet.

Les deux facteurs de risque, la variété des documents et la multiplicité des traitements, se combinent et multiplient les possibilités de paralysie de la production. Pour éviter ces embûches, les règles de dialogue sont définies en début de projet et la diversité documentaire bien décrite et connue des acteurs. Cette documentation sert à un dialogue encadré entre les partenaires.

La rédaction d’une documentation sous cette forme est lourde. Elle peut cependant s’adapter au contexte de marché de moindres ampleurs dans une forme plus allégée.

La gouvernance du projet et les indicateurs

Les circuits de décision opérationnels et stratégiques sont essentiels au succès d’un projet d’ampleur. Il importe de bien dissocier le niveau opérationnel (qui concerne entre autres les règles de traitement d’un document particulier ou les délais de réponses, etc.) des questions véritablement stratégiques qui décident des grands équilibres documentaires, qualitatifs et de production.

Certaines questions opérationnelles ne peuvent être résolues sans un arbitrage de niveau stratégique. Il importe qu’un organe de décision légitime et officiel soit identifié dès le lancement du projet pour pouvoir être saisi rapidement des questions.

Ces deux niveaux, comité de projet et comité de pilotage, sont classiques dans la gestion en mode projet. Une attention particulière doit être portée dans le choix des acteurs pour qu’ils puissent répondre de façon pertinente à l’ensemble des questions opérationnelles et stratégiques.

Les réunions régulières de ces comités permettent d’informer de l’avancement du projet et de répondre aux questions bloquantes. L’examen en comité de projet des points opérationnels a permis d’affiner et d’ajuster des indicateurs de suivi du projet définis dans le PAQ. Ils complètent les indicateurs de suivi de la fluidité cités précédemment (par exemple : le nombre moyen de pages de table des matières par document, la répartition des formats de document par lot, et globalement la répartition des pages numérisées en niveau de gris ou en couleur, etc.)

L’analyse des indicateurs a permis :

  • d’en valider la pertinence ;
  • de diagnostiquer des situations anormales ;
  • de comprendre les causes ;
  • d’expliquer aux équipes, notamment bibliothéconomiques, les liens entre ces indicateurs et les difficultés documentaires.

Ainsi, à mi-projet, les indicateurs de production communiqués chaque semaine et analysés à chaque comité de projet (deux fois par mois à cette époque) ont permis de constater de forts ralentissements au cours de la première étape de traitement OCR (segmentation). Ces ralentissements ont pour origine une forte proportion de documents de type presse, a priori exclus du projet, plus complexes et plus lourds à traiter pour les moteurs OCR que les documents habituels. Les équipes en charge des sélections documentaires ont identifié l’origine des documents et modifier rapidement leur flux d’envoi. Comme on peut le constater, ces indicateurs sont des outils d’alerte sur les processus du prestataire mais aussi sur le travail de la BnF. Ces compteurs communs entre le prestataire et la BnF, tout au long de la chaîne de traitement, permettent d’identifier très tôt les anomalies et ainsi de les résoudre. Ces indicateurs transverses, déjà évoqués pour la maîtrise de la fluidité, sont non seulement des outils de supervision opérationnels et stratégiques, mais aussi des outils qui favorisent un dialogue serein entre les différents acteurs de la chaîne. Ils permettent de cibler le nœud des difficultés sans ambiguïté et ainsi de les résoudre au plus vite.

Les audits

Dans le prolongement de la démarche qualité, la BnF a voulu que ces marchés puissent bénéficier d’une plus forte implication de la Bibliothèque dans les processus assumés par le prestataire. Une démarche d’audit du prestataire par le commanditaire est définie. Cette démarche est habituelle dans le cadre d’entreprise de sous-traitance. Les audits n’ont pas été pensés comme un simple outil de contrôle du prestataire mais comme un outil d’accompagnement et d’amélioration de la qualité.

Les audits et guides d’entretien sont préparés par le responsable qualité du projet de la BnF. Cette personne chargée, depuis le début du projet, du suivi qualité du marché est un élément indispensable de ce projet et de cette démarche :

  • en début de projet, il supervise de très près la rédaction du PAQ, des chartes et des procédures réalisées par le prestataire ;
  • en production, il vérifie, par des échantillons de contrôle adaptés, le respect de ces chartes.

Dans les cas difficiles, le prestataire est alerté, grâce à la veille qualité, pour mettre en place les mesures correctives.

En apportant au prestataire une méthodologie connue (les audits), un regard métier approfondi, une implication forte du client dans les processus de production, il s’agit de créer un outil de dialogue, un rituel d’examen des processus de production. Ces audits sont susceptibles de porter sur tous les processus apparaissant dans le plan qualité (voir tableau en fin d’article).

Les processus métiers ont été privilégiés : numérisation et traitement d’image, création du document numérique (exemplarisation), OCR et saisie des tables des matières sont examinés au moins deux fois, sur les deux ans et demi de durée de production du marché.

D’autres audits de processus comme la livraison des documents numériques (qui, en apparence, a peu d’enjeux métiers ou qualité) ont permis d’anticiper des difficultés et de limiter ainsi certains problèmes techniques en fin de marché.

Les audits étaient organisés en lien étroit avec le prestataire. Un audit nécessite l’implication des équipes concernées et ne peut se faire qu’avec l’accord et l’appui de l’équipe projet du prestataire.

Les points d’audits et la méthodologie sont décrits dans le PAQ en début de projet, afin de s’assurer que tous les processus soient examinés une, voire deux fois pour les processus métiers importants. Les points d’audit pouvaient être ensuite corrigés en fonction des difficultés constatées. Les audits étaient donc à la fois un outil permettant de vérifier l’ensemble des processus mais aussi d’aider le prestataire sur des difficultés identifiées et restées sans réponses dans les méthodes habituelles.

L’audit consiste en une série d’entretiens avec les chefs d’atelier (responsable d’une équipe en charge d’un processus dans la chaîne de traitement) et des entretiens plus courts avec les opérateurs de l’atelier afin de vérifier que la documentation était connue, respectée et que celle-ci permettait de répondre aux attentes de la BnF.

L’audit est un outil d’approfondissement qui va permettre d’examiner les difficultés, de déterminer le processus en cause et d’étendre l’analyse, si besoin est, sur les processus en amont et en aval. À la fin de l’audit qui peut durer deux ou trois jours, une séance invitant l’ensemble des personnes concernées, permet de faire la synthèse, de donner un premier retour, d’indiquer les premiers résultats et d’effectuer des améliorations sur des points identifiés. Dans un délai assez rapide (deux semaines idéalement), le chargé d’audit rédige un compte rendu qui va servir de base au prestataire pour mettre en place un plan d’action et parfois de programmer des améliorations dans certains processus.

Ce rapport est communiqué aux membres des comités de pilotage et de projet. Le plan d’action va leur permettre de suivre l’avancement des améliorations identifiées et les conditions de faisabilité de leur mise en œuvre. Parfois, des points identifiés comme pouvant être améliorés sont, après instruction, abandonnés car l’amélioration implique des développements et des travaux démesurés au regard du résultat. Ce travail d’analyse et d’instruction documente le processus, instruit la réflexion et aide à la décision.

Conclusion

Ce projet a permis par son ampleur, par son approche renouvelée, d’ancrer la numérisation des collections patrimoniales dans le fonctionnement de l’établissement, de partager en différents lieux, dans différentes cultures métiers une même préoccupation, un même objectif avec la démarche qualité comme outil. En outre, la production d’une documentation importante, nécessaire au projet et à la démarche qualité, a servi de base de travail facilitant la mise en place des nouveaux marchés, le transfert de savoir-faire, la mise en place de référentiels, autant d’outils bénéficiant aux projets de numérisation qui ont suivi.

De plus, à l’heure de l’automatisation grandissante des conversions à des fins de signalement, d’une dématérialisation grandissante des contenus, des projets de « big data », cette méthode adaptée aux traitements automatisés en masse trouve d’autres champs d’applications dans le monde du patrimoine et des bibliothèques, tant pour la maîtrise de la diffusion des données, et donc de ses collections, que pour garantir les conditions de préservation numérique. La maîtrise des processus permet une maîtrise de la qualité, et donc des risques, qui permet en retour des traitements automatiques à grande échelle et des corrections manuelles à petite échelle.

Illustration
Tableau récapitulatif des procédures et audits