Les bibliothèques en Europe, organisation, projets, perspectives
Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2013, 340 p., 24 cm
ISBN 978-2-7654-1368-4 : 45 €
Dans l’introduction, Frédéric Blin présente ce livre qu’il a dirigé comme un ouvrage de référence pour la coopération internationale, un manuel pour les étudiants, ou encore comme une sorte de guide touristique pour bibliothécaire. De fait, cette présentation est tout à fait pertinente et cet ouvrage est exactement ce qu’il se propose d’être. S’ensuit alors un catalogue de descriptions de l’histoire, de l’administration, de l’organisation et des projets des bibliothèques dans chaque pays de la zone UE.
Avec un tel objectif, les auteurs ne peuvent éviter au lecteur un sentiment de litanie, répétition et monotonie qui ressort d’une description générale de la bibliothéconomie faite à dix-huit reprises (plusieurs pays sont parfois traités dans un même chapitre, souvent avec beaucoup de justesse tant ces pays sont liés bibliothéconomiquement, parfois étrangement par simple regroupement géographique). Et, de fait, on ne peut nier que les différences entre chaque pays ne suffisent pas à masquer la répétition volontaire chapitre après chapitre : histoire, bibliothèques publiques, bibliothèque nationale, bibliothèques universitaires, autres bibliothèques… mais cela n’aura aucune importance pour le collègue qui projette une coopération avec une bibliothèque polonaise, car alors seul le chapitre consacré à la Pologne l’intéressera, ni pour les étudiants qui visent les concours car tel est le lot de la préparation, ni encore pour la chargée des relations internationales que je suis, car ce livre donne rapidement et facilement des éléments concrets pour éclairer nos projets… Je salue tout particulièrement le dernier chapitre sur la coopération intereuropéenne et l’exemple donné par la Bibliothèque du Land de Basse-Saxe et l’université de Göttingen (Allemagne) et de leur usage des fonds européens qui ne peut être que source d’inspiration pour nombre de projets français. Sans aucun doute, cet ouvrage, utile et complet, sera un ouvrage de référence pour les professionnels et les étudiants.
On y apprend ainsi une foule de choses sur les bibliothèques en Europe et à défaut de tout en retenir, on s’arrêtera dans chaque pays sur quelques étonnants projets ou d’enthousiasmantes actions, sources d’inspiration et de réflexion sur notre propre pratique française. Et pour en garder l’esprit catalogue, en voici ma sélection : la conférence annuelle des bibliothécaires hongrois de l’étranger, le programme Biblionet supporté par la Fondation Bill et Melinda Gates en Roumanie, la reconstruction de la bibliothèque du roi Mathias Corvin en Pologne, l’OPEB, agence nationale des bibliothèques pour enfants et adolescents en Grèce, la loi-cadre des bibliothèques en Slovénie, la richesse de 1 469 bibliothèques ecclésiastiques d’Italie, la collection francophone « Itinéraires balkaniques XVI-XIXe siècles » et les centres d’information européens en Bulgarie, la collection des réfugiés russes, ukrainiens et biélorusses (1918-1945) classée patrimoine mondial de l’Unesco en République tchèque, les chambres du livre dans les pays baltes, les deux musées littéraires de Slovaquie, les 15 monographies annuelles publiées par l’association des bibliothécaires polonais, le master international « Digital Libraries » de Parme, Tallinn et Oslo, le poétique nom du SIGB de la Bibliothèque nationale de Lettonie (Réseau de Lumière / Gaismas Tikls), le Scandinavian Library Quaterly Journal hébergé tous les cinq ans à tour de rôle par la Finlande, la Norvège, la Suède et le Danemark, l’accord sur la musique danoise enregistrée et diffusée qui permet l’emprunt des fichiers musicaux dans les bibliothèques du Danemark, la bibliothèque comme service municipal de base en Finlande, le réseau « La Haye – World Library Capital » qui réunit les principales associations internationales de bibliothèques (toutes basées dans la capitale des Pays-Bas), le programme « Je vis et j’apprends maintenant » aux Pays-Bas, la foire aux livres de Francfort-sur-le-Main et ses 7 500 exposants et 280 000 visiteurs, les collections « littérature de l’exil » à Leipzig et « Archives allemandes de l’exil 1939-1945 » à Francfort-sur-le-Main, la campagne de promotion « Österreich liest. Treffpunkt Bibliothek » (L’Autriche lit. Rendez-vous à la bibliothèque) qui a donné lieu à la semaine annuelle des bibliothèques, l’association professionnelle luxembourgeoise (ALBAD) qui depuis 2003 ne se consacre plus qu’au lobbying et à la recherche de financements, la création de l’association des bibliothèques patrimoniales flamandes en Belgique, l’Aslib Directory, annuaire de toutes les sources d’information en Grande-Bretagne 1…
Cependant, on regrettera que ce jeu de différences et de répétitions ne soit que peu interrogé et analysé, et que l’auteur n’en profite pas pour faire émerger ce qui fait l’Europe à travers ses bibliothèques. Pourtant la préface, bien que très politique et consensuelle, donnait quelques pistes d’analyse : l’Europe et la liberté contre la censure, l’Europe et le multiculturalisme, l’Europe et la citoyenneté (nationale et européenne), l’Europe et la mobilité… Par intérêt peut-être pour la bibliothéconomie internationale comparée, j’espérais voir dans ce livre le traitement de ces questions, mais comme je le disais, l’ouvrage annonce clairement ce qu’il est et par là même ce qu’il n’est pas.
Au fil de quelques textes, on trouvera néanmoins de quoi nourrir une réflexion plus profonde sur ces questions, notamment lorsque les auteurs des pays baltes parlent d’une nouvelle période controversée : « Plutôt qu’une presse et une production éditoriale sous le contrôle de la censure, ce sont désormais les forces du marché, les difficultés propres aux jeunes nations et l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui modèlent l’évolution du secteur. » (p. 158). Mais également quand l’auteur du chapitre sur les bibliothèques nordiques évoque la fréquentation des bibliothèques nationales et des bibliothèques universitaires comme une extension des droits traditionnels des citoyens (p. 185), alors que la collègue des Pays-Bas rappelle que « les années soixante-dix ont mis l’accent sur l’expression et le développement personnel, privilégiant la dimension de l’individu plutôt que celle du citoyen » (p. 224), et que les collègues de Belgique soulignent la séparation de plus en plus nette entre projets francophones et flamands ; et enfin quand le collègue du Royaume-Uni écrit « depuis 2010, une réelle baisse de densité du réseau est à redouter dans beaucoup de secteurs, à moins que les propositions actuelles de faire appel au volontariat local pour le maintien des activités ne rencontrent une réponse favorable » (p. 301). Ces passages, bien que rares dans la description du milieu documentaire de chaque pays, montrent combien la bibliothèque est, en tant que service de l’État ou service des municipalités, le lieu d’une tension entre un contexte politique national et un contexte européen qui a des visées économiques, sociales, culturelles et politiques propres.