La belle histoire du Petit Prince
Paris, Gallimard, 2013, 224 p., 22 cm
ISBN 978-2-0701-412-203 : 29 €
Le 6 avril 1943 paraissait aux États-Unis, aux éditions Reynal & Hitchcock, l’édition originale du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, alors exilé à New York. Autoportrait et œuvre testamentaire, fable mythique et récit philosophique, Le Petit Prince interroge la relation de l’homme à son prochain et au monde. Le conte concentre, dans une langue pure, la longue et constante méditation de son créateur sur l’amitié, l’amour, la responsabilité et le sens de la vie, dans un contexte marqué par le conflit mondial et la détresse d’un écrivain-pilote profondément affecté par son isolement.
Cette œuvre littéraire, la plus traduite du XXe siècle, bien que d’un auteur français, a été écrite, publiée et premièrement lue sur le continent américain. Cette naissance « d’expatrié », comme la qualifie Alban Cerisier, coauteur avec Delphine Delcroix de cet ouvrage, est une des clés essentielles de l’œuvre de Saint-Exupéry dont on notera qu’une grande partie (Courrier Sud, Pilote de guerre, Lettre à un otage, etc.) a été composée dans l’éloignement que lui imposait sa vie de pilote et d’homme engagé.
Le risque de la puérilité…
Cet alter ego s’est installé, bien avant sa parution en 1943, en marge de ses manuscrits, de ses courriers, comme une présence réconfortante, une part de lui-même fidèle à une certaine vérité en ces moments où le monde se délite et où l’homme se perd de vue.
Faisant d’incessants allers-retours entre le vieux continent et les États-Unis dès 1938, Saint-Exupéry s’installera à New York à sa démobilisation en 1940 pour y retrouver ses amis les plus chers. Récompensé alors pour l’ouvrage Terre des hommes 1, son séjour sera marqué par une série d’attaques sur son prétendu soutien au gouvernement de Vichy, et ce, malgré la publication en 1942 de Pilote de guerre, puissante évocation de son engagement contre la barbarie nazie et l’antisémitisme. C’est dans ces blessures de l’âme que l’écrivain se met au travail au début de l’été 1942 comme en témoignera l’épouse séparée, Consuelo de Saint-Exupéry. Long Island servira alors de décor à la naissance du Petit Prince, et son dictaphone comme son matériel de peinture en seront les vecteurs. À la mi-octobre 1942, Curtice Hitchcock aura le manuscrit et un contrat pour le continent américain sera signé le 11 novembre 1942. L’aventure du Petit Prince peut enfin débuter.
L’écrivain portera un grand soin à l’édition de son livre : « Je sais exactement quel dessin je désire placer là, si je le désire grand ou petit, en noir ou en couleurs, confondu avec le texte ou distinct » comme il le précisera dans un courrier adressé à son éditeur américain. La parution de l’ouvrage subira cependant quelques retards en raison de l’accident dont a été victime le traducteur de Saint-Exupéry. Alors que le manuscrit conservé à New York 2 présente d’importantes variantes, il ne semble pas que l’auteur ait beaucoup repris le texte dactylographié remis à son éditeur. Seul un jeu d’épreuves corrigées de l’édition en langue française présente deux différences. L’une concerne le titre même de l’ouvrage qui n’apparaît pas alors dans la célèbre typographie script qu’on lui connaît mais dans une police de caractères très classique. Le choix d’une police enfantine, semblerait indiquer un positionnement plus tardif d’une parabole pour adultes en conte pour enfants. Le deuxième enseignement porte sur l’absence de la dédicace à Léon Werth 3 et d’épilogue alors même que cet encadrement connu de chacun porte en lui-même toute la valeur symbolique du Petit Prince.
… pour ne pas refuser sa part d’enfance
Ayant très certainement quitté le sol américain le 2 ou le 14 avril 1943 pour l’Afrique du Nord, Saint-Exupéry n’emportera avec lui qu’un exemplaire de l’édition brochée de la version américaine, laissant bien à regret son double se présenter à ses premiers lecteurs. Ce n’est qu’en avril 1946 que les éditions Gallimard feront paraître à titre posthume Le Petit Prince comme Lettre à un otage et Citadelle. Les illustrations du conte seront reprises par un aquarelliste, Gallimard ne disposant pas des dessins originaux restés aux États-Unis. Le succès sera immédiat, avec cependant une très nette accélération dans les années 1970, Paris servant de tremplin à une diffusion internationale avec plus de deux cent soixante-dix traductions.
Composé comme un livre d’or, La Belle histoire du Petit Prince, tout en offrant en son cœur le texte original, contextualise l’œuvre par touches discrètes et élégantes. Elle en donne la genèse (une naissance américaine, premières éditions, les amis du Petit Prince, etc.), les secrets (un chapitre inédit), en esquisse les esquisses (dans un élégant chapitre « Dessins et aquarelles »), en dépeint l’univers (Delphine Lacroix), en évoque les thèmes (Virgil Tanase), le mythe (Olivier Odaert) et en propose des lectures (Philippe Delerm, Philippe Forest, Quentin Blake, Pef, Joan Sfar, etc.) les confrontant avec la nôtre. Elle en fait un trésor intemporel à la douce mélancolie, une histoire au firmament de nos rêves : le mythe de l’enfant éternel.