Bibliothèques et lecture publique

Quels services à quelle échelle ?

Cécile Touitou

Le jeudi 13 juin 2013, journée de grève pluvieuse et maussade, c’est à Ermont que se pressait une foule (près de 200 personnes !) joyeuse et enthousiaste pour débattre des bibliothèques et de la lecture publique à l’occasion du colloque organisé par le conseil général du Val-d’Oise, la communauté d’agglomération Val-et-Forêt, le parc naturel régional du Vexin français et l’association Cible95.

Élus, professionnels des bibliothèques et de la BDP95 se sont succédé à la tribune au cours d’une journée très vivante. En introduction  1, Dominique Lahary a rappelé le premier état des lieux réalisé il y a dix ans sur les données 2001 qui présentait le département du Val-d’Oise par commune, au sein de six territoires. Aujourd’hui, la BDP95 a réalisé une mise à jour de ces informations en présentant un découpage par commune et intercommunalité.

Une rapide présentation des indicateurs de moyens (surface, horaire, budget RH et acquisition, services numériques) et de résultats (inscrits, prêts) a permis de rappeler les deux millions d’entrées  2 que totalisent les 125 bibliothèques valdoisiennes. Cette action se met en place dans un département qui, par délibération du 17 février 2012, a défini sa politique de développement de la lecture publique à partir de deux outils principaux : la BDP et le réseau RéVOdoc  3. Leurs objectifs sont les suivants :

  • encourager et faciliter le développement des pratiques culturelles et de loisirs dans le domaine de la lecture, de la musique, du cinéma et du jeu ;
  • contribuer à l’égalité d’accès des valdoisiens aux ressources des bibliothèques et des médiathèques publiques par un maillage territorial ;
  • faciliter la maîtrise des outils d’accès à la connaissance, à l’information et à la culture ; en particulier les outils numériques ;
  • encourager l’adaptation des bibliothèques et des médiathèques aux besoins des publics et à l’évolution des modes de diffusion des œuvres et des ressources, et conforter leur rôle de lien social.

Différents réseaux intercommunaux ont été présentés par un de leurs représentants, et le dossier remis aux participants comprend une fiche détaillée pour chacun d’entre eux. La compétence « lecture publique » n’existant pas à proprement parler pour les EPCI, on voit des intercommunalités de projet plutôt que de gestion. C’est sur la diversité des solutions adaptées à chaque cas que les orateurs ont insisté (sur le plan de l’organisation de la gouvernance, de la logistique, de la desserte, etc.), la règle d’or étant que le maillage permette à chaque usager d’être à moins de quinze minutes d’une bibliothèque, tout en gardant à l’idée que les besoins sont différenciés et qu’il convient en conséquence que le maillage lui-même soit différencié et joue de la complémentarité entre équipements centraux et de proximité. Un directeur général des services a rappelé que, selon lui, le premier intérêt de la mutualisation pour un EPCI est la rationalisation des dépenses : « Il faut arrêter de penser les équipements en concurrence dans une période où les budgets sont contraints pour toutes les collectivités ! » Des professionnels ont tempéré cette remarque de gestionnaire en soulignant que cette logique de mutualisation permettait aussi aux communes les plus novices en la matière de rentrer dans le cercle vertueux du réseau et de pousser leur tutelle à se mettre au niveau des communes les plus avancées. Le cas, exemplaire par son antériorité, de Saint-Quentin-en-Yvelines a été présenté  4. Ce réseau de lecture publique y touche 30 % de la population ce qui lui donne une forte légitimité auprès de ses tutelles. Depuis trente ans qu’il existe, ce réseau continue d’innover et cherche à toujours coller aux besoins changeants du public. Le récent chantier qu’il a mené concerne la mutualisation des tâches afin de répondre aux trois missions principales : conseil, médiation, accompagnement individuel. Cette réflexion est passée par une étude sur le temps de travail des agents pour le traitement du document. Il a été estimé que 10 % du temps passé au catalogage pouvait être affecté à d’autres tâches tournées vers l’accueil du public.

L’après-midi, les participants étaient réunis en groupes de travail pour répondre et débattre des questions qui avaient été déposées par les uns et les autres sur un grand panneau blanc qui peu à peu, dans la matinée, se couvrait de Post-it interrogateurs. Les débats furent nombreux et nourris, chacun y allant de son expérience, de ses convictions, de ses questionnements et de ses réflexions :

  • Concernant les publics : si l’intercommunalité ne permet pas de capter forcément de nouveaux publics, le réseau peut lever la barrière de l’inscription pour certains usagers qui dans le passé n’appartenait pas à la « bonne » collectivité ; s’il n’est pas envisageable de penser les établissements par public cible, il est par contre possible de proposer des animations pensées pour certains publics et de les faire tourner dans le réseau.
  • Concernant les services : l’intercommunalité permet d’avancer vers l’égalité de traitement de tous les usagers en jouant sur la complémentarité des horaires d’ouverture ; elle permet d’innover en matière de navette et d’organisation de la circulation des documents (véhicule dédié ou partagé ; gestion privée ou intercommunale ; prêt/retour possible partout ou non ; fonds flottants, etc.). Mais si les ouvrages peuvent faire bouger les usagers, c’est surtout les animations qui drainent le public sur une zone plus étendue et qui renforcent l’identité du réseau.
  • Concernant l’identité des équipements et une éventuelle perte de « souveraineté » : la politique culturelle (et le spectacle vivant) reste effectivement l’apanage des communes, ce qui induit parfois une mise de côté des bibliothèques transférées… les premiers mois du transfert doivent être accompagnés de façon à ne pas isoler les bibliothèques qui témoignent d’une période de flottement (à qui dois-je m’adresser ? pourquoi les partenaires travaillent soudain sans la bibliothèque ?). Un directeur de la culture d’un EPCI évoque à cette occasion le combat toujours recommencé pour défendre la culture au sein de sa collectivité, les élus ayant quelquefois tendance – surtout pas temps de crise – à ne plus la mettre au cœur de leurs priorités.

Finalement, les discussions ont permis de conclure que si les économies d’échelle ne sont pas toujours au rendez-vous, c’est plutôt sur l’augmentation de l’intelligence collective qu’il faut compter et sur les effets vertueux d’une émulation réciproque qui tire l’ensemble des partenaires vers le « haut », c’est-à-dire des équipements plus ouverts, mieux dotés, plus accueillants pour le plus grand nombre. •

  1. (retour)↑  L’ensemble des documents mis à la disposition des participants est consultable sur le site de la BDP95 : http://www.valdoise.fr/10686-colloque-bibliotheques-et-lecture-publique.htm
  2. (retour)↑  En 2011, le département comptait 1 171 161 habitants.
  3. (retour)↑  Le réseau RéVOdoc a pour objectif de faciliter la mise en commun des ressources documentaires proposées par les bibliothèques et centres de documentation du Val-d’Oise grâce à un site web qui permet l’accès à une partie des catalogues et à des enveloppes pré-timbrées pour le prêt entre bibliothèques. La coordination en est assurée par la BDP95, et il réunit 48 membres (12 établissements de l’enseignement supérieur ou organismes spécialisés divers et 36 bibliothèques ou réseaux de bibliothèques publiques).
  4. (retour)↑  Voir son site : http://www.mediatheques.agglo-sqy.fr/agglo-sqy.fr