Les nouveaux enjeux des politiques culturelles

Dynamiques européennes

par Philippe Poirrier
Sous la direction de Guy Saez et Jean-Pierre Saez
Paris, La Découverte, 2012, 398 p., 24 cm
Collection « Recherches/Territoires du politique »
ISBN 978-2-7071-7435-2 : 24 €

Avenir et enjeux des politiques culturelles

Pour célébrer ses vingt ans, l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) de Grenoble avait en mai 2009, au sein d’une année particulièrement riche en manifestations diverses, organisé un important colloque, principalement destiné aux jeunes chercheurs et intitulé « Culture, territoires et sociétés en Europe ». Ce sont les actes de ce colloque que viennent d’éditer les Éditions La Découverte dans la collection « Recherches/Territoires du politique ». Ce fort volume, bien édité, réunit vingt contributions et trente-six chercheurs, placées sous trois grandes parties thématiques : 1/ métropolisations, 2/ européanisation et dynamiques territoriales, 3/ régulations économiques et technologiques. L’ancrage disciplinaire confirme l’intérêt des sciences sociales, dans leur diversité, pour analyser les politiques culturelles : politistes, sociologues, géographes, urbanistes et spécialistes des sciences de l’information et de la communication ont répondu à l’appel à communications. Deux textes ouvrent le volume : Jean-Pierre Saez, directeur de l’OPC, souligne notamment l’importance de la liaison entre acteurs et chercheurs, et la nécessaire appropriation des travaux afin d’alimenter les réflexions sur l’avenir des politiques culturelles. Guy Saez, dans un second texte d’une grande densité, souligne les principaux enjeux : la référence désormais dominante à la diversité culturelle et au multiculturalisme ; l’émergence d’une nouvelle gouvernance polarisée par les grandes villes ; la transversalité croissante de l’action publique ; l’affirmation de l’État qualiticien ; la large appropriation de la thématique de l’économie créative (déclinée aussi sous la forme de la ville créative) ; la multiplication des réseaux d’acteurs à l’échelle européenne. Les textes illustrent, sous la forme d’études de cas, ces transformations à l’œuvre.

La recherche sur les politiques culturelles

La grande diversité des textes fait la richesse du volume, mais en constitue aussi la limite : certains – notamment celui consacré aux « ambiances » urbaines – nous semblent un peu à la marge de la problématique, et l’analyse comparée, présentée comme une ambition forte, est rendue aléatoire par l’absence de cadre commun, même si chaque partie est introduite par un texte qui contribue à clarifier le classement retenu. Ces textes interrogent également sur le rôle de la recherche en sciences sociales sur les politiques culturelles, dans un domaine où domine la commande publique. On sait combien les postures peuvent être diverses, de la posture critique à l’expertise, de l’aide à l’action à la soumission aux modes académiques, voire à une certaine complaisance vis-à-vis du commanditaire. L’autonomie du chercheur est un combat constant, mais qui ne doit pas empêcher le dialogue avec les acteurs des mondes de l’art et de la culture. On peut, à ce titre, souligner combien l’Observatoire des politiques culturelles a su, depuis deux décennies, alimenter et maintenir ce dialogue fécond, et ainsi contribuer à une plus large circulation, auprès des élus et des acteurs des politiques culturelles, des acquis de la recherche.

Au final, l’État semble le grand absent de ces analyses : signe d’une réalité mesurée ou effet de focale lié à l’appel à communications du colloque ? Un peu des deux, sans doute : c’est particulièrement sensible dans la partie consacrée aux régulations économiques et technologiques. Aussi, l’intitulé du colloque initial nous semble plus juste que celui retenu pour la publication. Enfin, un regard sur les références bibliographiques mobilisées par ces chercheurs confirme la domination des références anglo-saxonnes, et la très large ignorance (ou du moins la très faible appropriation) des travaux publiés dans d’autres langues nationales. Ceci explique sans doute le poids des approches qui relèvent des cultural studies, au sens large, et qui confèrent une grande place aux représentations et au symbolique dans une perspective souvent essentiellement présentiste. Cette manière de faire conduit le plus souvent à négliger les logiques politiques et sociales qui président à la fabrication de ces politiques culturelles, et les caractéristiques sociales des acteurs chargés de les produire et de les mettre en œuvre. La juste analyse de Guy Saez peut se lire aussi comme un avertissement méthodologique : « Le développement culturel s’est rarement créé à partir de slogan ou d’un plan marketing aussi tonitruant fût-il. Il se crée à partir de la constitution lente d’une action collective, par des mobilisations d’amateurs, d’artistes et des revendications qui parviennent à enclencher un processus de création d’un public et des institutions en qui il se reconnaît. Ce processus d’institutionnalisation est durable, et sans doute irréversible dès qu’il est enclenché parce qu’il est perçu comme légitime par la population, au-delà des cercles sociaux qui participent à sa mise en œuvre. »

Cette situation doit également nous faire méditer sur la nécessaire traduction en anglais des travaux publiés en français, sauf à restreindre de beaucoup le lectorat dans un monde globalisé qui a fait de l’anglais la nouvelle lingua franca. Les acteurs de la chaîne du livre trouveront dans ce volume une riche matière pour enrichir leur réflexion et leur pratique.