Journée d’étude « Pédagogie universitaire et documentation »
41e Congrès de l’ADBU
Yves Desrichard
Le 41e Congrès annuel de l’ADBU 1, qui s’est tenu dans l’exquise ville de Vannes du 15 au 17 septembre 2011, était bien involontairement placé sous le signe du nouveau décret du 23 août 2011, qui remplace les décrets de 1985 et de 1991 quant à la mise en place de ce qu’on peut à nouveau appeler des « bibliothèques universitaires » – ce qui tombe bien. De ce texte, fondamental, il ne fut en fait que peu question dans un congrès qui, pour sa journée d’étude, avait choisi pour thème les liens entre « pédagogie universitaire et documentation ».
Pédagogie universitaire et documentation
Mais peut-on, vraiment, parler de thème ? Ces liens sont, en effet, l’essence même de la documentation dans les universités, même si pour autant, comme l’indiqua fort justement Pierre-Yves Cachard, directeur de la bibliothèque universitaire du Havre et hôte de ces journées, « la documentation reste une idée neuve » en France, propos qu’on rapprochera trop opportunément sans doute du « grand soir de la documentation universitaire et de recherche » convoqué par Claire Giry, chef du service de la coordination stratégique et des territoires au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pour signifier que les enjeux demeurent, de mettre en œuvre pédagogie et documentation, en s’appuyant sur les forces vives des BU.
C’est bien connu, les liens se tissent, et les divers intervenants trouvèrent, chacun et chacune, sur leur métier, des motifs différents pour aborder sous les angles les plus variés la question. Revenant aux origines du « processus de Bologne », qui permit entre autres la mise en place du LMD 2, Denis Berthiaume, de l’université de Lausanne, rappela que l’une des innovations du processus est d’inclure dans les heures de travail prises en compte non seulement les heures de cours, mais aussi celles de l’apprentissage « hors classe », dont, sans doute, de nombreuses heures passées à la BU. Mais il souligna aussi, ce n’est un secret pour personne, que le dialogue est parfois difficile à établir avec les enseignants, parfois même entre enseignants, et que, pour l’heure, l’acquisition des compétences informationnelles, indispensables pour rendre les étudiants plus actifs au regard de leurs apprentissages, s’apparente à un « cursus caché », rarement officialisé comme tel.
Avec un humour bienvenu, Hélène Josse, de l’université de Paris 3, présenta quant à elle un « cursus visible » de près de 1 400 heures budgétisées de « cours de méthodologie du travail universitaire ». Elle stigmatisa « l’effet Tupperware » d’enseignants coupés du monde – hermétiquement donc, d’étudiants pour lesquels la maîtrise approfondie de l’écrit « coince vraiment », et auxquels il faut faire « comprendre qu’on ne comprend pas [ou plutôt qu’ils ne comprennent pas] », tâche d’autant plus ardue que, pour ceux que cela concerne, « si ça se passe pas à l’agrég, ça n’existe pas ».
Les apprenants livrés à eux-mêmes
Point de découragement pour autant chez H. Josse, pas plus que chez Brigitte Pasquier, professeur de documentation à l’UFR des sciences de l’université du Havre, qui, en prolongement plus volontariste encore de D. Berthiaume, souhaite que l’étudiant devienne « acteur de sa formation ». Pour y parvenir et à vrai dire, les méthodes sembleront étonnamment orthodoxes, largement basées sur l’usage des livres, avec des objectifs d’apprentissage d’outils, de démarches, et non de connaissances.
Toutes ces méthodes supposent, et plusieurs intervenants le soulignèrent, un investissement important des équipes, « coûteux » en personnel de bibliothèque, et qui obligerait, pour être étendu, à « concevoir des formations plus économiques pour les bibliothécaires » (P.-Y. Cachard) : à ce souhait, Suzanne Rockenbach, de la bibliothèque du Land et de la bibliothèque Murhard de Kassel, proposa comme réponse le concept de « teaching library », où il s’agit de stimuler la coopération entre les apprenants… en les livrant à eux-mêmes (en simplifiant). En somme, la responsabilisation et l’autonomisation ultime de l’étudiant : et ça marche !
Sur cette approche peu traditionnelle, Vicky Gagnon-Mountzouris, bibliothécaire à l’École de technologie supérieure de Montréal, renchérit avec un discours où le « e-learning », les environnements numériques d’apprentissage (l’autre pays de l’Ena) et les plateformes de type Moodle se taillaient la part du lion, ou plutôt du Renard – réseau d’environnement numérique d’apprentissage et de recherche documentaire. Mais pourquoi former les « digital natives » à des outils qu’ils maniaient déjà dans leur berceau ou, pour les moins chanceux, dans leur couveuse ? Pour Vicky Gagnon-Mountzouris, cette soi-disant génération est un mythe commode, mais aussi autobloquant : comment convaincre qu’ils ignorent beaucoup des étudiants dont on proclame partout qu’ils savent tout ? On retrouve la question posée plus haut, platonicienne en diable, sur la certitude de l’ignorance, pour simplifier.
« Former les hommes, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », disait Aristophane, cité par S. Rockenbach. Il serait, sans doute, biblioclaste de considérer les livres, la documentation, comme le comburant du susdit feu, de même que ce serait filer abusivement et acrobatiquement la métaphore que d’incarner le bibliothécaire-formateur en allumette, au même titre que l’enseignant, premier visé. Il reste que les acquis informationnels dispensés à l’université sont, comme l’indiqua P.-Y. Cachard, « une compétence de vie capitalisable et réutilisable au-delà du parcours universitaire » ; et que, dans un monde où l’évolution scientifique oblige à un rafraîchissement constant de ses connaissances, dans tous les domaines, il s’agit décisivement d’un kit de survie indispensable dans le monde à venir – kit de survie dont la bibliothèque, modestement, peut proposer le mode d’assemblage. •