Les médiations de l’écrivain, les conditions de la création littéraire

par Adrienne Cazenobe
Sous la direction d’Audrey Alvès et Maria Pourchet
Paris, L’Harmattan, 2011, 272 p., 24 cm Coll. Communication et Civilisation
ISBN 978-2-296-13911-4 : 26 €

La publication réunit les contributions des chercheurs qui ont animé la journée d’étude tenue à Metz le 7 décembre 2006 sur « Les médiations de l’auteur. Le cas de l’écrivain ». L’épicentre du questionnement sur les médiations de l’œuvre littéraire se situe nécessairement dans l’auteur lui-même. Toutefois, celui-ci se double aussi d’un écrivain soutenu par un ou des éditeurs, tout ce monde s’inscrivant dans un contexte culturel et socio-économique dominé notamment par les échos des critiques et la publicité des prix littéraires. La création littéraire ne consiste pas seulement en la production d’un écrit édité et diffusé, car, en amont et en aval de l’œuvre, s’organise un réseau complexe de médiations qui visent non seulement à communiquer l’œuvre mais aussi à la façonner et à la maintenir. Penser les médiations, écrivent en introduction générale Audrey Alvès et Maria Pourchet, « c’est admettre… que les objets sont le résultat d’un processus constructif où s’élabore continûment le sens ». Les formes et les normes de la médiation littéraire sont étudiées selon trois axes principaux qui constituent les trois parties de l’ouvrage.

L’auctorialité

La première partie, intitulée « L’auctorialité : une médiation continue », porte sur les représentations et mises en scène de l’auteur et de l’écrivain destinées à séduire et conquérir un lectorat présent et à venir. Benoît Berthou illustre la construction des figures de l’auteur (le responsable de l’œuvre) et celle de l’écrivain (celui qui la fait) dans une analyse documentée du cas de Raymond Roussel. Ce romancier contemporain de Proust s’est constitué un personnage de romancier dandy, inspiré par des voyages extraordinaires, qu’il lui a plu de démentir totalement dans un écrit posthume, Comment j’ai écrit certains de mes livres. Ainsi, entre la représentation de l’auteur et la mise en scène de l’écrivain, apparaît un écart, un véritable hiatus où s’inscrit la supercherie littéraire. La démonstration est convaincante. À sa suite, Solenne Dubas examine le jeu publicitaire de Verlaine et de ses éditeurs autour de l’image de bohème et de la figure des poètes maudits. On découvre alors une construction subtile à visée de médiation qui repose tant sur des mises en scène biographiques et iconographiques des poètes maudits que sur une approche propre à Verlaine de la création littéraire. François Provenzano opte quant à lui pour une approche de la médiation littéraire au travers du discours de l’historiographie littéraire, illustrée par les postures d’Auguste Viatte et de Jean-Louis Joubert, deux écrivains représentatifs de la littérature francophone. Autre représentation de la figure de l’auteur comme médiation littéraire, l’auto-portrait de Marcel Proust : Delphine Saurier examine avec brio les conceptions du rôle de l’écrivain dans le processus de médiation lui-même.

Les médiations pré-créatrices

La deuxième partie, « Les médiations pré-créatrices », met en lumière les processus et procédés au moyen desquels l’écrivain-auteur dialogue avec lui-même, se cherche et se découvre. L’étude remarquablement synthétique d’Oriane Deseilligny sur la fonction des marges dans le processus d’auto-motivation de l’écrivain-diariste montre comment, dans le contexte numérique, les diaristes s’efforcent de contourner les contraintes techniques pour retrouver cet avant-texte indispensable à l’établissement du texte. Myriam Ponge éclaire divers modes, voies et niveaux de l’auto-médiation de l’auteur au travers de l’œuvre expérimentale de Chloé Delaume, tandis que Gian Luigi Di Bernardini illustre l’auto-médiation dans la construction narrative savante d’André Gide. Le cas d’Ismail Kadaré exposé par Shawn Gorman est particulièrement attachant car « toutes les représentations de l’écrivain […] possèdent un élément thématique et conceptuel en commun : la médiation entre la vie et la mort ». Les paratextes, préfaces et notes, constituent autant de médiations entre l’œuvre, l’auteur et les lecteurs ; Milena Fucikova en analyse le rôle et les fonctions dans l’œuvre romanesque de Patrick Chamoiseau. L’anthologie littéraire et son appareil paratextuel sont interrogés par Suzan Kovacs qui en révèle, au terme d’une passionnante étude, tous les méandres médiatiques.

Les médiations post-créatrices

« Les médiations post-créatrices » constituent la troisième et dernière partie de cette étude exhaustive sur un sujet encore neuf. Jonathan Haudot rend compte de la réception dans la presse française des œuvres controversées d’Art Spiegelman, auteur des bandes dessinées sur la Shoah et les attentats du 11 septembre 2001. Le changement d’attitude, d’image, de l’écrivain est un jeu médiatique subtil dont les rouages mis en œuvre par la presse littéraire et les blogs font l’objet d’une étude par Bueta Manela au travers du passage de la figure d’écrivain africain à celle d’écrivain francophone. Cécile Girardin synthétise les répercussions sur la figure auctoriale désormais incarnée par l’écrivain honni, Salman Rushdie. Ce riche travail sur les médiations de l’écrivain ne pouvait faire l’impasse sur les prix littéraires, la voie royale de la médiation par excellence dans un contexte de production éditoriale en croissance exponentielle, et dont les intérêts économiques alimentent un discours médiatique où les représentations de l’auteur deviennent stéréotypées. Les éclairages savants apportés par Sylvie Ducas sur ces processus de médiation donnent la clé de l’univers complexe de la création littéraire et des évolutions de ses figures, dont la principale est celle de l’auteur contemporain « désacralisé » toujours déçu et incertain de la reconnaissance obtenue : « la seule médiation qui vaille, à savoir celle du temps, tient au malentendu littéraire que constitue une telle gratification : celui de l’impossible reconnaissance de l’écrivain ».

Les bibliothèques s’inscrivent au cœur du système de la médiation sans toujours réaliser qu’elles interviennent en aval du processus de médiation qui commence bien avant la publication, au sein même des avant-textes, pour se continuer par toutes sortes de voies, de modes et de niveaux qui influencent incontestablement les conditions de la création littéraire elle-même. Un livre à lire, à conserver et à mettre à disposition dans les rayonnages des bibliothèques publiques.